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Michael sourit. Était-il le seul à avoir vu Skerry ?

— Ces foutues crises, dit son père en se frottant les tempes. Je vais voir le guérisseur la semaine prochaine. Michael, tu sais qu’on a préparé la maison pour toi et Jena. Tu es sûr que tu ne veux pas partir une huitaine de jours ? Une lune de miel, c’est une absence justifiée, tu sais.

— Et toi, tu sais très bien qu’on est en retard sur le programme du transmetteur de micro-ondes, répliqua Michael. Ces damnés calibreurs, la moitié de la seconde livraison était bousillée. Je veux aller voir un nouveau fournisseur qui vient de s’installer en Virginie. Tu n’es pas en état de faire le voyage.

— Mais ça fait des années qu’on fait affaire avec Kortronics.

— Oui, mais ça cafouille. Tu as besoin de moi pour le travail. Je partirai en voyage de noces plus tard.

Son père lui tapota le bras.

— Tu fais ce que tu veux, Michael. Tu es adulte à présent. La lune de miel attendra bien que tu sois décidé.

Comme son père faisait mine de s’éloigner, Michael l’arrêta.

— Papa ?

— Oui ?

— Tu penses que le sénateur Jeffers a vraiment des chances d’être élu ?

— Mais certainement, repartit Ryton d’un ton péremptoire. L’homme a de réelles ambitions. Et ce ne serait pas la première fois que nous aurions un mutant au Sénat.

Il hocha la tête et s’éloigna.

Michael envoya son assiette rejoindre en douceur les autres couverts sur la nappe blanche. Était-ce un effet de son imagination, ou son père se déplaçait-il déjà avec l’allure précautionneuse d’un vieillard ?

Andie cherchait en vain Jeffers.

Pour elle, la fête avait assez duré, d’autant que Skerry l’avait quelque peu secouée.

Elle entra dans une pièce où régnait le silence, vide à l’exception d’une silhouette solitaire qui se découpait contre la fenêtre. Le marié. Il lui tournait le dos, la tête appuyée contre la vitre en plexiglas.

Andie hésita un instant. S’agissait-il d’un autre rite mutant ? Le mari en recueillement ? Oh, et puis zut !

— Michael ? Pourquoi n’êtes-vous pas en bas avec la noce ? demanda-t-elle d’une voix douce.

Il se retourna et lui sourit gentiment.

— Andie. Vous vous amusez bien ?

— Bien sûr. Vous n’avez pas répondu à ma question.

— Peut-être que j’ai besoin de passer un peu de temps seul, répondit-il en regardant à nouveau par la fenêtre. J’adore regarder tomber la neige. Ces tempêtes de février sont terribles parfois.

— Je suis ravie que vous aimiez ça. Moi, parlez-moi plutôt d’une plage ensoleillée quelque part et d’un boy attentionné.

— Bien sûr, bien sûr, approuva Michael, l’air absent.

— Vous êtes heureux ? demanda Andie.

Michael eut un sourire mitigé.

— Ce serait beaucoup dire.

— Qu’est-il arrivé ?

— Que voulez-vous dire ?

— Cette fille, cette non-mutante dont vous étiez amoureux, que s’est-il passé ?

Le regard perdu dans le vague, la mâchoire crispée, Michael se contenta de répondre :

— C’est fini.

Andie éprouva un pincement de pitié.

— Parce que vous vouliez que ça finisse ?

— Non, dit-il en fermant les yeux.

— Michael, je suis désolée.

— Moi aussi.

— Comment a-t-elle pris la chose ?

— Kelly ? Pas bien. J’ai entendu dire qu’elle était partie. À l’école de l’Armée de l’Air. Un jour, elle sera pilote de navette, sans doute.

Il y avait du défi dans sa voix. Andie lui toucha le bras.

— Vous avez envie d’en parler ?

— Pas vraiment.

— Désolée, encore une fois.

— Il n’y a pas de mal. (Puis soudain, la dévisageant :) Vous êtes amoureuse de Jeffers, n’est-ce pas ?

Andie se mit à rougir.

— Michael, je…

— Non, c’est bon. Je ne veux pas entrer dans votre vie privée. Mais promettez-moi, Andie, que vous suivrez ce que vous dicte votre cœur. Que rien ne viendra vous en dissuader. Promettez-le-moi.

— C’est promis. Promis.

Il se tourna une nouvelle fois vers la fenêtre, vers la neige qui tombait au-dehors et les ténèbres qui gagnaient.

— C’est ce qu’il y a de plus important. De plus difficile aussi. Savoir ce qu’il y a dans votre cœur et vous y tenir.

La nuit avançait et les invités s’attardaient. Michael ne pouvait les en blâmer. Ce n’était pas si souvent que les mutants avaient une telle occasion à célébrer.

Il avait rejoint la fête pour découvrir Halden, dans un coin, qui faisait l’animation. Le Gardien du Livre grattait son vieux banjo en beuglant les couplets d’une chanson paillarde. Une douzaine de mutants, assis autour de lui, tapaient dans leurs mains et chantaient à l’unisson.

Avec l’aide de Tela, Zenora fit léviter la table pour la ranger contre le mur et ménager ainsi un espace de danse. Les mutants s’élancèrent avec allégresse dans les airs, montant jusqu’au plafond et planant quelques secondes, avant de redescendre pour reprendre leurs évolutions, effectuer des voltiges et autres figures complexes et finir le visage rouge et le souffle court. Ceux que la nature n’avait point dotés du pouvoir de lévitation se voyaient soulever par les plus doués du groupe.

Sans réfléchir, Michael se lança au milieu de la mêlée, et se mit à bondir et à tournoyer.

— Voilà le marié ! cria quelqu’un. Où est la mariée ?

— Elle est en haut, annonça une autre voix. Allons la chercher !

Conduit par Chavez, le groupe fit léviter Jena dans l’escalier. Elle riait aux éclats lorsqu’ils la déposèrent sur ses pieds, à côté de Michael. Celui-ci fit une profonde révérence.

— Ma chère, voulez-vous m’accorder cette danse ?

— J’en serai flattée, répondit-elle en lui prenant la main.

Ensemble, ils s’élevèrent, décrivant peu à peu un arc dans l’espace. La robe de Jena flottait, légère, autour d’elle. La jeune femme adressa à Michael un regard coquin puis, d’un signe entendu, fit mine d’aguicher Halden au moment où ils passaient au-dessus de lui.

— Pas de ça, dit Michael en feignant de jouer les maris jaloux.

Il l’attira à lui, la regarda un instant dans les yeux, puis l’embrassa tendrement. En dessous, les spectateurs applaudirent.

Tout compte fait, se dit Michael, ce ne sera peut-être pas si difficile que ça. En fait, ce pourrait être agréable.

Entourant sa femme de ses bras, il l’embrassa une deuxième fois. Puis une troisième…

23

Après le mariage, Jeffers passa trois jours à collecter des fonds et faire des discours sur la côte Est, visitant toutes les communautés de mutants entre Baltimore et Bangor. Lorsqu’il ramena Andie de l’aéroport de la navette, ils étaient l’un et l’autre à bout de fatigue.

Andie s’adossa contre le siège du glisseur, goûtant la douceur du luxueux capitonnage bleu foncé.

Jeffers négocia un virage avec précision. Décidément, il faisait tout à la perfection. Bercée par le rythme du moteur, elle glissa dans une somnolence béate où elle revit en pensée leurs vacances à Santorin. La voix de Jeffers la tira de sa rêverie.

— Je me demande comment Ben s’est débrouillé au bureau.

— Bien, j’en suis sûre, dit Andie en ouvrant aussitôt les yeux.

Jeffers lui décocha un regard oblique.

— Je voudrais que tu saches mieux l’apprécier.

Agacée, Andie se redressa.

— Mais je l’apprécie, protesta-t-elle.

— Il m’a été extrêmement utile.