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— Je croyais que tous les mutants étaient des guérisseurs en puissance.

— Ah, vous, les normaux ! s’esclaffa Jeffers. Décidément, vous ne nous comprendrez jamais.

Vidée de ses forces, Andie s’affaissa dans les bras de l’homme. Celui-ci plaça ses mains à hauteur des tempes de la jeune femme.

— Quelle pitié ! dit-il. L’attachée de presse du sénateur Jeffers a subi une dépression nerveuse grave juste avant l’élection. Elle doit être mise sous surveillance médicale. Un vrai légume. (Subitement, il changea d’expression.) Peut-être vaudrait-il mieux l’hypnose. De cette façon, tu pourrais encore m’être utile.

Il la coucha sur le lit, et l’attira contre lui.

Elle était subjuguée, impuissante sous son regard ensorcelant.

— Tu sais que je suis innocent, dit Jeffers doucement. Tu sais que Canay a œuvré avec mes ennemis pour me discréditer. Il a falsifié tous ces documents. Et tu l’as aidé.

La voix était onctueuse, envoûtante. Il posa sa main sur la joue de la jeune femme, comme pour une caresse, et la laissa là.

— Oui, toi et ton réseau de saboteurs, vous n’avez cessé de travailler contre moi, probablement en liaison avec Horner. Tu détestes les mutants. Et tu as corrompu de jeunes hommes comme Canay, qui sont à présent animés d’une haine implacable.

— Une haine implacable ? répéta-t-elle dans son brouillard. Qui ça ?

— Ce soir, reprit-il, tu appelleras Cable News et tu feras à l’antenne une confession complète, où tu reconnaîtras ta culpabilité.

— Ma culpabilité.

Les mots commençaient à résonner dans la tête de la jeune femme. Elle aurait voulu discuter, mais sa langue était épaisse, réfractaire. Ses pensées étaient confuses. Sa culpabilité. Oui, sa culpabilité. Elle ferma les yeux.

— QUATRE-VINGT-DIX-NEUF, QUATRE-VINGT-DIX-HUIT, QUATRE-VINGT-DIX-SEPT, QUATRE-VINGT-SEIZE…

Une cacophonie lui emplit le crâne : des voix, des centaines de voix, chantant des nombres. La voix de Jeffers, hurlant après elle, s’acharnant à vouloir dominer les stridences de ce chœur infernal. Sans y parvenir.

— QUATRE-VINGT-SIX, QUATRE-VINGT-CINQ…

Jeffers relâcha sa prise. Andie n’en garda pas moins les yeux clos.

— SOIXANTE-DEUX, SOIXANTE ET UN…

Le chœur devint murmure, puis se tut.

Andie ouvrit les yeux.

Jeffers gisait sur le sol, sans connaissance.

Que le diable m’emporte, pensa Andie. Ça a marché. Sacré Skerry, sa défense mentale a marché !

Avec précaution, elle se mit debout. La pièce tournoyait. Elle passa devant Jeffers en titubant et sortit dans le couloir, attrapant son bloc-écran au passage. À chaque pas qu’elle faisait, elle retrouvait un meilleur équilibre. Lorsqu’elle atteignit le haut de l’escalier, elle courait déjà.

Elle franchit l’entrée comme une flèche, sauta une haie, pataugea dans une mare aux canards à moitié gelée dans l’arrière-cour, et bondit à nouveau par-dessus une rangée de buissons pour déboucher dans une rue étroite.

Aucun signe d’un éventuel poursuivant.

Elle courut encore pendant cinq minutes, hors d’haleine. Finalement, alors que les poumons lui brûlaient dans la nuit glaciale, elle ralentit l’allure.

Il lui fallut un petit moment pour retrouver la carte dans son sac, et un autre petit moment pour ouvrir son bloc-écran. De ses mains tremblantes, elle composa le code.

Une jeune femme souriante aux joues roses apparut à l’écran.

— F.B.I., section des délits spéciaux.

Andie avala une grande gorgée d’air.

— Rayma Esteron, dit-elle. Vite. C’est urgent.

24

Ben Canay fut arrêté l’après-midi même. Stephen Jeffers, toutefois, se révéla plus habile à jouer les fantômes. On ne le revit pas à son bureau et les appels à son domicile restèrent sans réponse. Lorsque le F.B.I. fit irruption dans sa villa, celle-ci était déserte, et l’écran et les fichiers avaient disparu. Le sénateur mutant s’était évanoui dans la nature, sans laisser la moindre trace.

Une semaine plus tard, le F.B.I. posait les scellés sur son bureau et Andie put retourner travailler. Lorsqu’elle ouvrit la porte, elle resta abasourdie devant le désordre qui régnait partout. Les chaises renversées, les tiroirs à moitié arrachés, les papiers, les cartouches, les disques éparpillés, tout était sens dessus dessous. Ben Canay avait eu le temps de mettre à sac les locaux avant l’arrivée du F.B.I. Apparemment, les policiers n’avaient pas jugé bon de faire le ménage.

Andie se tenait plantée là devant ce capharnaüm, lorsqu’un appel retentit d’un écran, quelque part, elle ne savait où. Elle préféra l’ignorer.

Son écran à elle gisait carbonisé, en miettes.

Une chance que je n’aie pas été là quand ils sont venus arrêter Canay, se dit-elle. Ce salaud a eu un peu trop de temps pour détruire toutes les pièces à conviction. Dieu merci, il y a l’ordinateur de Karim.

Des bruits de pas. Elle se tourna vers l’intrus. C’était Skerry, debout dans l’entrée, en contemplation devant le désastre.

— Un beau gâchis, commenta-t-il. M’est avis que le typhon Andie est passé par là.

La jeune femme se planta devant lui, mains sur les hanches.

— J’aurais dû deviner que vous ne vous pointeriez qu’après la fin des hostilités !

Il sourit et l’étreignit avec la force d’un ours polaire. Elle en perdit le souffle.

— Ouaou ! Doucement, haleta-t-elle. Je suis encore convalescente après ma course dans la jungle du Maryland.

— Vous avez réussi, ma belle ! Vous avez confondu Jeffers !

Il exultait et Andie ne put s’empêcher de le serrer à son tour dans ses bras.

— Grâce à « contre-chœur ». Skerry, votre suggestion a marché à merveille ! Sinon, à l’heure qu’il est, je ne serais qu’un zombie sous hypnose, détenue dans quelque prison fédérale, en train de s’accuser d’avoir manigancé le meurtre de Jacobsen. Jeffers a bien failli m’avoir.

Le mutant hocha la tête d’un air sinistre et soulagé à la fois.

— Je savais que c’était une mauvaise fréquentation, dit-il. On a une idée de l’endroit où il se terre ?

— Cable News a annoncé qu’il aurait été vu à Panama, à Séoul, aux îles Fidji, sur la station lunaire et à Pigalle. Pour ma part, je crois qu’on devrait regarder du côté de Sao Paulo. Ou du Potomac.

Skerry se pencha par-dessus un bureau renversé.

— Bon, qu’est-ce que vous allez faire, maintenant ?

Andie haussa les épaules.

— Je vais être témoin à charge lors du procès de Canay. Et on m’a demandé d’aider le F.B.I. dans son enquête sur les complicités dont a pu bénéficier Jeffers. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais ils ont investi sa villa. Bien sûr, il avait filé depuis longtemps. En emportant son argent et ses fichiers.

— Ils vont le retrouver, dit Skerry d’un ton lugubre. Ou alors ce sera nous.

— Je l’espère, dit Andie en frissonnant. Je ne sais pas si je me sentirai en sécurité tant que Jeffers ne sera pas arrêté.

— Vous avez encore « contre-chœur » pour vous protéger. Et si vous avez besoin de moi, envoyez un message sur l’écran de Halden.

— Après ce que j’ai fait, est-ce qu’un seul mutant voudra encore me parler ?

Une lueur s’alluma dans les yeux du jeune homme.

— Les mutants qui réfléchissent un peu se rendent bien compte que vous nous avez tous sauvés. Les imbéciles passeront leur temps à lécher leurs blessures et à pleurer la perte de leur roi couronné. Il y en a aussi sans doute quelques-uns qui sont d’accord avec ce que Jeffers tentait d’instaurer. Mais ne vous inquiétez pas pour eux. (Il lui effleura doucement la joue.) Prenez bien soin de vous, ma belle, c’est tout ce qui compte. On reste en contact.