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– Non… ce n'est pas ça. Heu… Les meurtres… Ce sont mes parents. Ce sont eux qui tuent des gens.

Anita Van Dyke retint son souffle dans le silence qui clouait la pièce comme un cercueil.

Après quelques instants de stupéfaction, Anita avait analysé la situation et avait aussitôt mis en place un premier plan d'opérations, qui assurerait ses arrières.

– Bien, maintenant si tu ne veux pas être venue pour rien, il faut que tu m'écoutes attentivement, d'accord?

Alice avait acquiescé de la tête.

– Bon… tu vas d'abord me raconter les grandes lignes, de quoi il s'agit exactement. Ensuite nous ferons une première déposition que tu devras signer. Puis si tu le veux bien et si tu n'es pas trop fatiguée on reprendra les choses plus en détail, d'accord?

Un nouveau signe de la tête. Il y avait comme un premier accord tacite, une sorte de premier étage de la confiance qui se scellait doucement et Anita comprit qu'elle suivait la bonne voie.

– Bien, reprit-elle d'un ton plus cool, franchement amical. Tu ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on enregistre notre conversation?

Elle ouvrait un tiroir d'où elle sortait un petit dictaphone japonais.

Alice réfléchit une demi-seconde avant de faire non de la tête.

Anita posa le magnétophone sur son bureau, appuya sur la touche record et alluma son ordinateur.

Alice contempla un instant, fascinée, le tube bleu de l'appareil jeter ses reflets spectraux sur le visage de la femme-policier.

– Bon, ensuite je dois te dire que tu as tout à fait le droit à un avocat, dès maintenant, et que je vais devoir prendre ta déposition sous la foi du serment, d'accord?

– Oui, d'accord, émit-elle à l'attention du magnétophone… Je n'ai pas besoin d'avocat… Je…je viens juste témoigner de quelque chose…

Sa voix se bloqua, étranglée.

Anita lui envoya un petit sourire complice de reconnaissance et enchaîna:

– Bon, tout d'abord tu vas me donner ton nom, ton adresse, le nom de tes parents et leur profession, d'accord.

– Oui, fit-elle d'une petite voix enrouée. Je m'appelle Alice Barcelona Kristensen. Je porte le nom de ma… maman, Eva Kristensen. J'ai douze ans et demi et je vis au 55 Rembrandt Straat avec mes parents, enfin c'est-à-dire avec… maman et mon nouveau père, mon beau-père, Wilheim Brunner… Mes parents dirigent des sociétés…

Le bruit mat des touches sur lesquelles volaient les doigts d'Anita Van Dyke emplit la pièce et Alice contempla, fascinée, la vélocité et l'agilité avec lesquelles la jeune femme aux cheveux cuivrés faisait courir ses index effilés sur le clavier de la machine.

– Parfait, dit-elle. Maintenant raconte-moi tout, depuis le début.

Elle pivota et lui fit face à nouveau. Elle se logea bien au fond du fauteuil rapiécé.

Son visage était calme et concentré, attentif, Alice le décela parfaitement.

– Voilà, commença la jeune adolescente qui semblait avoir répété son texte pendant des heures, voire des jours durant. Ça a vraiment commencé l'année dernière, enfin non à la fin de l'année d'avant. C'est là que je me suis rendu compte qu'il se passait des choses bizarres… Et puis, en fait un peu avant…

C'est pendant l'été de ses dix ans qu'Alice Kristensen entendit pour la première fois mamie s'engueuler avec maman.

Du haut de l'escalier, l'immense escalier qui menait de l'étage vers le vestibule de l'immense salon blanc Arts déco, elle avait entendu mamie ouvrir une porte en précédant maman. Puis mamie avait déclaré:

– Tu n'es qu'une traînée. Et ton Autrichien est un benêt…

– Mais enfin maman, avait répondu la jeune femme blonde, enveloppée dans la soie d'une splendide robe de soirée, il a de l'argent, son père est un industriel qui a réussi en Allemagne, il a hérité d'une grosse fortune et. d'affaires très rentables…

– Non… ce type ne me plaît pas… Il me semble faux, hypocrite, il respire quelque chose que je n'aime pas…

– Voyons maman… Nous nous entendons bien pourtant lui et moi…

– C'est ce que je disais, tu n'es qu'une traînée, une traînée de luxe mais une traînée quand même, et le mot avait résonné longuement aux oreilles d'Alice.

– Crois-tu vraiment que ce type puisse s'occuper d'Alice, reprenait mamie. Il ne sait que conduire des voitures de sport et sortir dans des boîtes à la mode, avec des filles futiles… Il sera incapable d'élever l'enfant, crois-tu que c'est cela qu'aurait voulu ton père? Bon sang Eva, comment ce type pourrait faire un père décent…

– Il vaudra bien le vrai, avait répondu sa mère et Alice avait comprit qu'elle parlait de l'homme de ses souvenirs et de la photo. Stephen Travis, son père. L'Anglais de Barcelone comme l'appelait sa mère, parfois.

– Ahh, avait rugi mamie, ses boucles d'oreilles dorées tintinnabulant dans l'immense pièce silencieuse. Tu compromets tout… Tu mériterais de finir dans le ruisseau…

– Ne me dis pas que tu as pensé à me rayer du testament de papa?

Mamie haussa les épaules:

– Tu sais bien que ce ne serait pas légal, donc impossible… Notre cher disparu possédait plus des trois quarts de tout cela (elle embrassa la maison et tout ce qui s'étendait au-dehors, d'un seul geste). Son testament spécifiait bien qu'à ma mort tout ce qui lui appartenait devait te revenir… Mais…

Mamie fixait sa fille, toute droite sur le grand tapis:

– Mais, reprit-elle, de moi tu ne recevras qu'une part symbolique, le reste je l'aurai transféré à une fondation pour enfants leucémiques que tu connais…

Le sourire de mamie brillait comme une lampe. Eva Kristensen, la mère de la petite Alice, eut une lueur étrange dans le regard à cet instant. Une lueur que personne n'aperçut, sauf Alice qui percevait sa silhouette et son visage dans l'immense miroir qui tenait lieu de mur, au fond de la pièce.

Alice fut frappée par sa froide et haineuse intensité.

C'est au cours du Noël suivant que mamie tomba malade, Alice était chez mamie lorsqu'il fallut appeler le médecin dans la nuit. Ce fut elle qui s'en chargea. Mamie fut hospitalisée et Alice rentra chez elle, un 27 décembre neigeux et froid, avec sa mère qui lui expliquait que c'étaient sûrement ses dernières vacances chez Mamie.

Mamie mourut au début du mois de février, quelques semaines plus tard.

Eva Kristensen, Alice Kristensen et Wilheim Brunner emménagèrent dans la grande maison d'Amsterdam, le 15 mai 1991, dans la matinée. Alice allait sur ses onze ans.

Désormais, lui avait dit sa mère, nous vivrons ici, dans la maison de mon père. Et tu passeras l'été en Suisse chez nos amis de Zurich.

Lorsqu'ils revinrent de leurs vacances d'été, les parents d'Alice semblaient en pleine forme, faisant allusion en riant à l'expérience qu'ils avaient connue lors de leur séjour sur la côte espagnole.

C'est à partir de cette rentrée que M. Koesler fit son apparition. Et ne quitta plus ses parents.

M. Koesler était l'assistant de Wilheim Brunner. Il l'assistait en tout, conduisant la nouvelle voiture, une grosse Mercedes gris métallisé, aux reflets ambre. S'occupant du jardin, passant la tondeuse et le désherbant.

M. Koesler était un grand homme blond, d'une quarantaine d'années, aux yeux gris-bleu, athlétique et silencieux. Alice l'avait froidement détesté, instinctivement. D'une certaine manière il lui faisait peur. Elle sentait confusément une aura de brutalité sous les traits trop symétriques.

En plus de conduire la voiture et de faire le jardin, il ramenait des trucs, des cartons fermés avec du Scotch, dans une grosse camionnette bleue, avec plein de phares devant.

Un jour qu'elle avait demandé à sa mère ce que contenaient les cartons, celle-ci avait négligemment répondu, observant la surface parfaite de ses ongles rougis par le petit pinceau: «Oh rien du tout, des trucs pour les grandes personnes, ma petite chérie.»

Alice réussit un jour à apercevoir le contenu d'un des cartons.

Et elle se demanda ce que les grandes personnes pouvaient faire avec autant de cassettes vidéo.

Les cartons furent entreposés dans une pièce blindée du sous-sol dont seuls ses parents et M.Koesler possédaient une clé qu'ils enfermaient dans un coffre protégé par des systèmes d'alarme sophistiqués. Durant la même période ses parents s'étaient mis à parler du Studio qu'ils achetaient à la campagne, une grande maison isolée qu'elle ne visita jamais mais dont elle aperçut quelques polaroïds, une fois, au moment de la transaction.

Sa mère finit par lui expliquer qu'elle et Wilheim, en plus de leurs affaires habituelles, réalisaient maintenant des programmes de télévision pour des chaînes étrangères. Sa mère lui avait fièrement montré une carte de visite tarabiscotée où les mots Directrice de Production s'affichaient en lettres sérieuses et élégantes sous son nom complet, Eva Astrid Kristensen.

Six mois plus tard environ Mlle Chatarjampa fut engagée par sa mère comme préceptrice afin de compléter l'éducation de sa fille. Mlle Chatarjampa devait travailler pour se payer ses études à l'université.