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Il voyait parfaitement.

– Vous connaissiez les relations de Travis et du Grec?

– Vaguement, ça datait de l'époque où Travis vivait ici avec Mme Kristensen, j'ai déjà tout raconté à Anita Van Dyke…

Hugo digéra l'information.

– Bon. D'accord. Vous ne savez pas où est Travis et vous ne savez pas où est la Manta…

– C'est ça.

– O.K. Maintenant voyons les choses sous cet angle…

Il suspendit sa phrase un instant pour jauger la curiosité qui se gravait doucement dans le regard de Pinto.

– Ne vous demandez pas où est ce putain de bateau mais où il pourrait être. Qu'est-ce que vous diriez?

L'homme plongeait son regard sombre au plus profond de lui, cherchant à le sonder pour de bon.

– Vous voulez quoi, une séance de voyance? Que je vous trouve le bateau en agitant un pendule sur une carte?

Hugo éclata de rire spontanément. Elle était bien balancée celle-là.

– Non. Mais vous connaissez Travis et vous êtes marin. En essayant d'être logique et en faisant appel à vos souvenirs, est-ce que vous verriez un endroit où Travis aurait pu monter un hangar, au bord d'une plage, avec un bateau dedans?

L'homme entra dans une profonde réflexion.

– Non, consentit-il à lâcher. Franchement ça pourrait tout à fait être n'importe où, je ne sais pas ruoi, de Setubal à… allez, Algesiras…

– Non, non, c'est au Portugal, ici, en Algarve. Un endroit qu'il aimait vraiment bien…

– Cristus, vous êtes têtu, vous… (En portugais, cette fois.)

– Oui. Écoutez je ne veux pas vous faire peur, mais le mec de tout à l'heure c'est pas un rigolo. Il faut qu'Anita et moi nous trouvions Travis avant lui, vous voyez?

– C'est en rapport avec l'affaire d'Évora? Y a eu un véritable massacre, y paraît…

Hugo réprima difficilement un sourire. La vérité serait bien pire à lui avouer, en cette circonstance.

– Ouais, ce sont des sérieux. Je pense que Travis est en danger, que vous n'êtes pas loin de l'être aussi et que le mieux que nous ayons à faire c'est de le trouver avant eux.

Le silence retomba sur la pièce, rythmé par le concerto lointain des machines à écrire et d'une sonnerie de téléphone.

Pinto s'enfonça dans son fauteuil.

– Je suis d'accord, M. Zukor – il laissa passer un long soupir- mais comme je vous l'ai dit, je ne sais vraiment rien, Travis est un homme particulier, qui disparaît périodiquement comme ça, j'ai déjà tout expliqué à Mme…

– Van Dyke, je sais. Je vous demande juste de remuer vos méninges et de me sélectionner quelques endroits où Travis aimait se rendre à l'époque bénie où vous le connaissiez bien, est-ce que vous pensez pouvoir vous en sortir?

Il fallait remettre les pendules à l'heure. Le temps pressait. On ne rigolait plus.

L'homme lui jeta un regard profond où se mêlaient des sentiments mélangés, mais rien d'agressif.

– Bon, je pense pas qu'il se rendrait à la Casa Azul, à Sagrès…

– L'ancienne maison d'Eva Kristensen?

– Ouais… ça lui aurait rappelé des mauvais souvenirs, mais en même temps…

Hugo le pria d'un simple regard de poursuivre sans toumer autour du pot.

– Comment dire? Travis était un passionné d'histoire navale. C'est à Sagrès que la première génération de grands explorateurs portugais s'est mise à contempler l'océan Atlantique et à entreprendre les expéditions vers le cap de Bonne-Espérance et la suite… Travis était fasciné par ça, je m'en rappelle, il allait souvent à la pointe de Sagrès où Henrique le Navigateur lança les premières caravelles vers Madère, les Açores, l'Afrique…

Hugo enregistra l'information, pointe de Sagrès.

– Mais bon comme je vous le disais tout à l'heure, ce n'est pas très loin de la Casa Azul et sans doute considère-t-il l'endroit comme hanté par la présence maléfique de sa femme…

– Il croit aux sorcières, à votre avis? L'homme lui jeta un regard intense.

– Vous ne connaissez pas Mme Kristensen ça se voit… De plus comme tous les marins, Travis était superstitieux, il n'aurait pas baptisé son navire à quelques encablures de la Casa Azul.

– Bon, d'accord, soupira Hugo, on raye Sagrès… Quoi d'autre?

– Ben là, franchement, c'est là que je vois plus bien…

– Faites un effort.

L'homme lui jeta un bref coup d'oeil en réprimant un sourire.

– Ben, on peut dire que vous lâchez pas facilement prise vous…

– Je vous assure être parfaitement social et civilisé mais je suis, comment dire, sous la pression des événements, vous saisissez?

– Oui, je crois. L'homme lâcha un petit rire. Vous savez, ne vous en faites pas trop pour moi.

Il ouvrit un tiroir et ressortit sa main armée d'un pistolet automatique grisâtre, qu'il posa sur le bureau.

Hugo reconnut un Tokarev russe. Il hocha lentement la tête en signe d'assentiment.

– Ça ne sera pas du luxe… Bon, et pour cet endroit?

Il se devait d'honorer sa réputation.

Pinto soupira.

– Je n'sais pas… Peut-être un vague truc…

– Je vous écoute.

– Avant leur départ pour Barcelone, il m'avait parlé d'un coin vers Odeceixe, je crois, qu'il aimait bien et où il allait souvent. Y a trois ans environ, avant qu'y m' demande des conseils pour son bateau je l'ai rencontré par hasard dans le coin.

– Odeceixe?

– Oui, enfin un peu plus au nord, l'embouchure du Mira, vers le cap de Sines. On s'est croisé sur la route et on a discuté le coup.

Ça commençait à être une information digne de ce nom, ça.

– Parlez-moi en kilomètres.

– Par la 125 puis la 120 comptez deux cents bornes. Après Odeceixe il faudra bifurquer vers la mer, par une petite départementale.

Hugo se mit à réfléchir à toute vitesse.

– D'accord… Disons deux-trois heures.

Il regarda sa montre, le plus calmement possible.

Oh, putain, six heures passées, déjà…

Il enfonça son regard dans celui de Pinto et lui offrit le sourire le plus humain qu'il se connaissait.

– Dites-moi, Joachim, vous avez prévu quelque chose ce soir?

Assis à côté de lui, l'ancien skipper brésilien se mit à éclater de rire tout seul, alors qu'ils arrivaient en vue des environs de Tavira.

– Ah ça, on peut dire que vous êtes le type le plus persuasif que je connaisse…

Hugo fit un vague sourire en passant une vitesse.

– Vous aviez quelque chose de plus essentiel à faire, sinon?

Pinto posa sa nuque contre l'appuie-tête.

– Non, évidemment… Si Travis est dans la merde il est normal que je fasse quelque chose pour l'en tirer.

Et il tapota doucement le flingue passé à sa ceinture.

Hugo enclencha sans rien dire une cassette de Hendrix dans le lecteur.

À la sortie de la ville il aperçut une cabine téléphonique et se gara devant.

– Il faut que j'appelle Anita, lâcha-t-il en ouvrant sa portière.

Il composa le numéro et exécuta avec une impatience presque fébrile, ce qui l'étonna, la trop longue séquence de codes de sécurité.

À la quatrième sonnerie de la deuxième salve, Anita décrocha.

Son image flottait déjà dans son esprit alors que sa voix prenait possession du combiné.

– Anita, j'écoute…

Il pouvait percevoir son souffle, et la photo vaguement vivante prit plus de consistance. Ses cheveux qui tombaient en boucles fauves sur les epaules. La silhouette aux formes délicates drapées par le polo noir, ce bras nu dépassant du bandage et de la manche coupée, gainé de carbone noir, comme un exosquelette étrangement guerrier.

– Anita, j'écoute.

Seigneur. Il fallait revenir sur le plancher des vaches. La voix d'Anita s'était faite plus inquiète, là, à l'instant.

– Hugo… hello. Tout va bien, un petit problème de pièces… Bon j'ai des news. Et vous?

– Je viens de rappeler l'inspecteur de Faro. Il a téléphoné dans presque tous les ports de la province, pour l'instant il n'a détecté aucune Manta dans les registres…

– C'est normal.

– Comment ça, c'est normal?

– Il ne faut pas chercher en Algarve. Il faut essayer plus haut, dans le Baixa Alentejo, Odeceixe, cap de Sines, vous voyez?

– Bon dieu, mais comment vous avez appris ça?

– C'est un peu long… Pinto s'est rappelé quelque chose et nous allons fureter par là-bas…

– Vous allez fureter? Qu'est-ce vous voulez dire?.

– Ce que j'ai dit. Pinto m'accompagne…

– Vous êtes dingue.

Il soupira.

Elle avait lâché ça sur un ton de désespoir authentique.

– Je ne suis pas si dingue que ça. Pinto connaît le coin, c'est un marin, il est immergé dans la culture de ce pays et il connaît Travis. Avec ça je multiplie mes chances de trouver le père d'Alice avant les autres. Un des ces quat' je vous parlerai des cours d'Ari Mos… de Bilbo.

Putain il avait faillit lâcher la véritable identite d'Ari.

– Harry Moss de Bilbo?