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Sur le chapitre de l’humain, Stock était imbattable. Souriante, débonnaire, rassurante, elle n’avait pas son pareil pour mettre en confiance les témoins — et les suspects. Un interrogatoire de Nathalie offrait toujours plus de résultats que celui de n’importe quel autre flic.

Le troisième de groupe, celui que Corso appréciait le moins, s’appelait Ludovic Landremer. 35 ans, titulaire d’un master de sciences économiques, ce Toulousain brillant avait gravi les échelons sans difficulté. Un look de vendeur de voitures — costard cintré et pompes pointues —, une touffe de cheveux crépus et roux sur la tête, une seule passion avouée, le rugby. Quand on l’interrogeait sur ses origines, il répondait : « L’Ovalie ».

Sa faille intime était les sites de rencontre. Célibataire, il ne vivait que pour ses plans nocturnes. Sa devise : « Une femme par soir, un match par week-end. » On avait dû brider son ordinateur et son portable perso restait au vestiaire.

Son atout de flic, c’était la patience. Il pouvait écumer des immeubles entiers, sonner à toutes les portes, poser mille fois les mêmes questions sans se lasser ni se déconcentrer. Ludo le « Chalut », comme les autres l’appelaient, savait retenir dans ses filets l’élément décisif, la petite incohérence qui pouvait faire basculer une enquête.

Enfin, il y avait Krishna Valier. Ses parents babas cools, qui lui avaient donné le nom d’une divinité hindouiste, devaient être désespérés de voir ce que leur rejeton était devenu : un flic certes, mais « un fonctionnaire avant tout ». Un procédurier qui passait ses journées dans son bureau (il en avait un pour lui tout seul, que les autres surnommaient « le cachot ») à rédiger des PV d’auditions, des rapports, des notes. Doté d’une maîtrise en droit, il était le seul à parler le langage des juges et à pouvoir démêler les tracas administratifs. C’était lui aussi qui gérait les archives et se fadait le Salvac, gigantesque base de données consacrées aux crimes de sang, qu’il fallait nourrir à chaque affaire en remplissant un questionnaire interminable.

Les autres n’étaient pas hindouistes mais ils vénéraient Krishna — le leur — car il leur permettait de passer bien plus de temps sur le terrain que derrière un ordinateur.

Krishna avait le physique de son métier, à moins que ça ne soit l’inverse. Petit et frêle, chauve à moins de 35 ans, il avait misé sur ses lunettes pour habiller son visage : il portait une monture d’écaille à angles droits, d’une marque prestigieuse, qui lui donnait l’air d’avoir été bricolé en Lego. On ne savait rien de sa vie privée mais avec une tête pareille, elle devait tenir sur un Post-it.

Il ne participait pas aux réunions, ne menait aucune enquête, ne sortait jamais de son bureau, mais il était un élément vital du groupe. Sa patience n’avait pas de limites, notamment vis-à-vis de ses collègues qui, au lieu de frapper à sa porte, s’obstinaient à lui lancer un « Hare Krishna » en guise de salut.

— Bon, attaqua Corso en frappant dans ses mains, on a réglé le tout-venant ?

— Je finis les queues du dossier Martel, dit Barbie, Ludo a rédigé les derniers PV sur l’atelier coréen. On attend toujours le rapport d’expertise du parking d’Aubervilliers. On a levé le pied pour les convocs de témoins du lynchage de Château-Rouge…

Le mot « lynchage » lui rappela le pendu de la veille — et ses propres crimes, à lui. Il se prit une suée à l’idée qu’on puisse saisir son groupe pour compter les morts de la dalle de Pablo-Picasso. Mais Lambert le tiendrait sans doute à l’écart. Il ferait sa cuisine avec la SDPJ 92 — que chacun balaie devant sa porte.

— On peut donc se consacrer à fond à l’affaire du Squonk ?

Stock, mains dans les poches (elle ne prenait jamais de notes), intervint :

— L’idée, c’est quoi ?

— Je vous l’ai dit hier : on nous refile le bébé dans l’espoir qu’on fasse avancer les choses.

— On a tous lu le dossier, dit Ludo. Bornek et ses gars ont fait du bon boulot.

— Mais on peut faire mieux, assura Corso.

Silence approbateur : l’orgueil, le nerf de toutes les guerres.

— On se fout à 500 % sur ce dossier, tous les quatre, nuit et jour au moins jusqu’à lundi. Si on a rien trouvé, le délai de flagrance s’achèvera, un juge sera nommé et le soufflé retombera de lui-même.

— On est le baroud d’honneur ? sourit Nathalie.

— Exactement. Vous avez tous vu les photos de la victime. On va pas laisser cet enculé se branler en repensant à ses faits d’armes ni lui permettre de remettre ça.

Hochements de tête. Corso chauffait sa salle.

— Donc, on reprend l’enquête de zéro, en montant tous les curseurs. Ils ont interrogé les commerçants de la rue de Nina ? On secoue ceux du quartier. Ils ont analysé les fadettes du mois précédent ? On se farcit celles du trimestre. Etc.

Ludo leva les yeux de son ordinateur.

— On cherche quel profil ?

— Tout nous prouve que le meurtre était prémédité. L’assassin connaissait donc sa victime, soit de près, soit de loin.

— Et un quart d’heure avant sa mort, Nina était vivante.

Corso ne releva pas la vanne :

— Il faut chercher parmi tous ceux qui la côtoyaient, ses proches mais aussi ceux qui l’ont simplement croisée lors d’un spectacle ou d’un stage.

— Ça fait du monde.

— C’est pour ça qu’on doit partir de son emploi du temps à elle. Un salopard a flashé sur elle, et de la pire des façons. Ce gars-là est dans le tableau, on doit le repérer. On va dérouler le film à l’envers, en s’arrêtant image par image.

Les flicards se regardèrent : ce discours ronflant était bien beau mais, en termes de boulot, cela allait se traduire par des centaines d’heures d’enquête harassantes et fastidieuses. Et sans doute pour peau de balle…

— Qui fait quoi ? demanda Barbie sans enthousiasme.

— Tu t’occupes des fadettes, de ses comptes personnels, de son ordinateur. Tu passes au peigne fin le moindre de ses mails, ses contacts, etc. Vois avec les geeks du service s’il y a moyen de récupérer des trucs effacés.

— Son portable n’était pas dans les scellés.

Corso acquiesça et en profita pour souligner :

— Le cadavre était nu et on n’a retrouvé ni son sac ni aucun objet personnel. C’est peut-être rien, ou au contraire le signe que le tueur ne voulait pas qu’on accède à son agenda. D’où l’importance des fadettes.

— Les gars de Bornek ont déjà fait tout ça.

— Je parle français ou quoi ? demanda-t-il en montant la voix. S’ils n’ont rien trouvé, c’est que le grain de sable est plus ancien, ou plus petit. Appelle l’opérateur et surpasse-toi.

Puis, se tournant vers Nathalie, debout, adossée au chambranle de la porte :

— Toi, tu t’occupes des commerçants, des voisins, des proches. Ensuite, tu élargis le cercle : Nina était naturiste, fan de yoga, ce genre de conneries. Qui sait ? Notre tueur est peut-être un nudiste.

La blague tomba à plat. Pas grave. Un briefing se jugeait à l’énergie qu’on était capable d’insuffler à ses troupes.

— Un détail, fit-il encore à l’adresse de Stockos. Sophie Sereys est née sous X. Rechercher ses parents biologiques, c’est mission impossible, mais Bornek a fait une demande pour connaître les foyers et les familles d’accueil où elle a grandi. Vois où on en est de ce côté.

— Tu penses à une histoire aussi ancienne ?

— On sait jamais. Le mobile remonte peut-être à l’enfance, la frustration d’un autre môme abandonné.