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— Vu.

— Charge-toi, hein ? Du sérieux, ça pourrait vaser ! Et puis prends quelqu’un avec toi, plus on est de fous plus on rit…

— Pinaud ?

— Pourquoi pas, il est encore dans les azimuts ?

— On tapait la belote ensemble… Tout atout-sans atout ! C’en fait deux que je lui mets dans le…

Il ne précise pas.

— Remisez vos brèmes et préparez l’expédition… Vous n’êtes pas biturés au moins ?

Le Gros se met en boule :

— Qu’est-ce que c’est que ces sous-entendus à la graisse d’oie, hein ? Biturés, Pinuche et moi ? À cause de dix malheureux apéros ! Non, ma parole, tu nous prends pour des dames…

— Comment se fait-il que vous ne soyez pas chez vous à cette heure ?

— La femme au père Pinuche est en vacances chez sa sœur, et la mienne est invitée chez une amie.

J’ai l’impression que l’amie de Berthe Bérurier doit ressembler à Alfred, le coiffeur.

— Montons, fais-je à Marie-Jeanne.

En passant devant la caisse je lance à la mère Trois-et-deux-cinq :

— Vous décrochez pas la matière grise, ma brave dame, je suis de la Rousse. Tout ce que je vous demande, c’est de continuer vos additions comme si de rien n’était !

CHAPITRE XI

DEUX TÊTES AU TABLEAU

De retour à la chambre, j’explique avec ménagement à ma collaboratrice ce qui s’est passé dans l’après-midi dans mon bureau.

Elle ne chiale pas, ne dit rien. J’ai l’impression que mon récit lui apporte une sorte de calme. Lorsque je me tais, elle va ouvrir la porte. Puis elle me la montre.

— Fous le camp, poulet !

J’en suis baba !

— Fous le camp si tu ne veux pas que je saute par la fenêtre, moi aussi. Ah ! on peut dire que tu m’as flouée avec ton blabla, salopard ! Alors t’as conduit mon homme au suicide et tu viens me faire jouer cette sale comédie ! Je peux plus te voir… Envoie-moi au combron si tu veux, tout, pourvu que je n’aie plus ta gueule de flic devant les yeux ! Elle me donne envie de te mordre…

À propos de mordre, c’est le gars Bibi qui se mord les doigts pour avoir donné dans l’épanchement… Le courrier du cœur, c’est pas ma rubrique !

Ça vous prouve, mes petits lapins roses, qu’en matière de flicaillerie il faut garder l’œil ouvert et le cœur sec !

Pour éviter le scandale, je quitte la carrée.

En bas, je téléphone pour demander qu’on poste quelqu’un dans le hall de l’hôtel pour empêcher cette pétasse de calter…

Après quoi, j’attends en lisant le baveux que la femme de chambre est allée m’acheter. Je peux apprécier la régularité de Laroute. Mais à travers les lignes, je hume son impatience. Si je n’éclaircis pas cette histoire dans les douze heures qui viennent, il se déchaînera. Et alors votre petit San-Antonio bien-aimé pourra s’acheter un peigne fin pour aller coiffer les girafes dans un bled tranquille.

Un garçon blond et gentil se présente. Un novice du bureau voisin. Il vient à moi, déférent :

— Berthier, monsieur le commissaire…

— O.K. Vous allez faire sisite là et surveiller l’escalier. Une femme que madame (je désigne la mactée) vous désignera éventuellement, essaiera peut-être de sortir ou de téléphoner. Votre rôle consiste à l’en empêcher par tous les moyens, d’accord ? Si elle regimbe, passez-lui les poucettes ou attachez-la dans son lit…

« Allez, bye ! »

Je vais renifler l’air humide du dehors.

Il fait une belle notche, avec des bribes de brouillard çà et là, autour des becs électriques. Paris, en cette nuit de printemps, est d’une émouvante douceur.

Je respire profondément, manière de me désintoxiquer les éponges. Il est neuf heures et demie. C’est-à-dire que je peux d’ores et déjà me préparer à intervenir…

Je boutonne ma gabardine jusqu’au col et je rabats mon bada sur mon front. C’est rare que je porte un bitos… J’aime pas ça… Ça fait minus… Mais il y a des circonstances dans la vie qui vous obligent à vous camoufler au maxi…

Je monte dans mon char et, peinardement, je vais jusqu’à Clichy écluser quelques coups de pousse-au-crime avant l’heure H. À dix heures moins cinq, je me remets au volant et je descends à Saint-Augustin par la rue du Rocher. Je fais un premier viron autour de l’église, sans apercevoir la moindre tire en stationnement. Et cependant les dix coups viennent de dégouliner du clocheton… Qu’est-ce à dire ? Le Grenoblois aurait-il changé d’avis ?

Je contourne le square, ce qui me permet d’apercevoir Béru et Pinuche dans leur tire… Leurs deux bouilles d’ahuris se détachent en pâle derrière la vitre du pare-brise… Je ralentis pour me faire repérer par eux, puis j’entreprends un second tour de l’église. Lorsque je l’ai fini, ô bonheur ! je découvre une 404 grise stationnée à droite de l’édifice. Il y a un mec à l’intérieur dont je vois la silhouette par la glace arrière.

Je freine, stoppe à dix mètres de lui et je fais jouer les phares à trois reprises… Le zig met alors son moulin en route et démarre en souplesse. Je l’imite… Dans ma poitrine, il y a un grand radio-crochet sous le patronage des Petits Chanteurs à la Croix de bois ! Cette fois, mes petits camarades, je tiens le superbon bout…

Fier comme Bar-Tabac, je suis mon guide… Nous remontons le square… Il met sa flèche pour virer à droite, mais à cet instant je vois déboucher une silhouette de femme qui galope en gesticulant… Le Grenoblois met ses phares pour la faire sortir du passage. Je pousse un juron, c’est la môme Marie-Jeanne qui arrive… Le Grenoblois la reconnaît en même temps que moi et stoppe. Elle s’engouffre dans la bagnole ! J’en chialerais ! Fini, c’est tordu, liquidé ! Elle le met au parfum de ce qui se passe… Cette garce, assoiffée de vengeance, est parvenue à feinter le toquard de Berthier…

Je décide de jouer mon va-tout, c’est-à-dire d’alpaguer le Grenoblois… De lui peut encore jaillir la lumière…

Je fonce pour le doubler, mais il vient de faire un démarrage très sec et, pour le rattraper, il faut mettre le grand développement.

J’appuie sur le champignon aussi fort que possible. Ma bagnole pousse un rugissement et se précipite… Mais le Grenoblois a de l’avance… Il fonce à tombeau ouvert par la rue du Général-Foy qui n’a jamais vu une telle corrida… Il tourne dans la rue de Monceau, puis dans la rue de Constantinople et enfin il oblique à mort dans le boulevard de Courcelles… Son intention initiale, je m’en rends compte, était de virer sur la droite, mais un autobus qui débouche l’en dissuade et c’est à gauche qu’il vire après avoir décrit une embardée qui manque envoyer aux prunes l’agent du carrefour… Ce dernier embouche son instrument de travail et donne en plein air un récital de trémolos baveurs… Tout le monde s’en branle… Tout le monde, c’est-à-dire le Grenoblois, San-Antonio et Laurel et Hardy qui s’escriment à maintenir l’ordonnance du cortège à bord de leur chiotte.

Ce Grenoblois conduit comme Fangio en personne… Bien que ma chignole soit plus puissante que la sienne, je n’arrive pas à le remonter…

Il grille un feu rouge et je tente de l’imiter, mais un taxi trop pressé se fout devant moi, je l’emplâtre de plein fouet et nous faisons l’un et l’autre un magistral tête-à-queue… La guindé des deux ballots freine à ma hauteur. Je m’y jette, laissant le Popoff du taxi s’égosiller devant les débris de nos voitures…