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Il monte dans sa voiture et nous fait signe de le rejoindre.

— On pourrait aller chez Grodu, me dit-il. Il va nous faire notre gratinée aux petits oignons !

Je ne réponds pas… Je continue de penser à toute cette abracadabrante story.

Soudain, j’attaque le Gros :

— Toi, qui as fait presque tous les services, Béru, tu connais des petits dessalés appelés Bob l’Espiègle et Magnin Beau-Sourire ?

— Magnin ! tonne le Gros. Il demande si je connais Magnin ! Je suis t’été à l’école ensemble, tu juges ?

Je crois qu’il plaisante, mais je m’aperçois que non.

— C’est vrai ?

— Ben alors ? Qu’est-ce que tu t’imagines, que les gangsters tombent d’une planète ? Il faut bien qu’ils soyent de quèque part, hein, Pinaud ? Magnin est de mon pays… Pour tout te dire, c’était le fils au bureau de tabac. Une forte tête… Tiens, ce machin-là que j’ai à l’arcade… C’est lui… Un fer à cheval qu’il m’a balancé dans la gueule un jour…

— Ça porte bonheur, ironisé-je. Et dis-moi, Gros…, tu sais où il pioge ?

— Oui, il a un appartement, boulevard Berthier, dans le dix-septième…

— Qu’est-ce qu’il maquille ?

— Son chopin, à lui, c’est les courses…

— Il joue ?

— Oui, mais le cheval gagnant, exclusivement… C’est un gars à idées !

— Paraît qu’il était pote avec le Turc…

— Ah oui ?

— C’est la môme Marie-Jeanne qui m’a dit ça… Tu ne penses pas qu’il aurait trempé dans cette combine ?

— Magnin ? T’es louf, San-A. Il est bien trop futé pour se mouiller dans l’équarrissage !

— En tout cas, les amis de nos amis sont intéressants à interroger parfois. Je propose qu’on aille le virer des toiles, non ?

Le Gros accepte.

— D’ac… Après ou avant la gratinée ?

— Avant !

— Tu sais, s’il est chez lui, il ne se dézone pas avant midi, alors rien ne presse.

Je martyrise le tableau de bord.

— J’ai dit tout de suite ! Vu ?

— O.K…

En rongeant son frein (ce qui est dangereux en voiture), le Bérurier des familles nous pilote boulevard Berthier.

Il se range devant le 112.

— Comment se fait-il que tu connaisses son adresse ? demandé-je, suspicieux.

Il hausse les épaules.

— Il m’a demandé des coups d’épaule quelquefois quand les collègues lui cherchaient des noises.

— La franc-maçonnerie de clocher, quoi !

— Bah ! faut bien s’entraider…

Le Gros s’arrête au troisième étage et se met à frapper à la lourde. Pinuche est à la bourre d’un étage. Il se radine en soufflant comme un train du Texas.

Un long moment se passe.

— Le zoziau s’est envolé, dis-je, déçu.

— Mais non, fait Bérurier. Seulement on t’ouvre pas comme si ce serait la lourde d’un bistrot ! Faut comprendre…

Il tambourine encore, un peu plus fort, mais toujours sur un rythme aimable.

Tout à coup, sans que nous ayons perçu le moindre bruit de pas, une voix d’homme interroge :

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est moi, Bérurier, dit le Gros.

Son ton contient toute la satisfaction qu’il éprouve à être effectivement Bérurier… Le flic le plus cocu de France.

La porte s’ouvre. Il y a, dans la pénombre du vestibule, un grand type maigre, avec un gros nez, et des rides très profondes de chaque côté de la bouche. Il est en pyjama de soie blanche… Ses cheveux rares sont décoiffés et il se gratte la poitrine en nous considérant sans joie.

— Tu permets que j’ose ? fait Bérurier en l’écartant.

Magnin nous considère, Pinuche et moi comme si nous étions deux vilains cacas de chien oubliés sur son paillasson.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demande-t-il à Bérurier.

— Des aminches, fait le Gros.

Magnin n’insiste pas… Il doit de toute évidence son pseudonyme de Beau-Sourire à ces rides marquées qui lui font une babine de boxer en crosse !

Nous refermons la porte et suivons ces messieurs dans une salle à manger cossue, délicatement meublée Barbès. Beau-Sourire s’affale dans un fauteuil club. Il examine la pendulette suisse qui fait tic tac au mur. Un coucou égrillard vient chanter huit heures pour saluer Bérurier.

Celui-ci (pas le coucou, Bérurier, du reste ça revient au même), me désigne du pouce.

— Commissaire San-Antonio, présente-t-il. Un crack, mon cher et néanmoins ami… Il voudrait te demander un tuyau…

Magnin a des yeux sombres, ardents, pas commodes.

— Pour les courses ? questionne-t-il.

— Non, fais-je. Je n’encourage pas la race chevaline, je suis pour la motorisation des champs de courses !

Je tire une chaise de sous la table, l’approche du fauteuil de notre hôte et je m’assieds en face de lui, nos genoux se touchant presque.

— Vous avez lu naturellement l’affaire de la tête coupée des Halles ?

Il hésite, bat des paupières.

— Un sacré bidule, renchérit Bérurier, gêné de cette visite collective à son pays. Y a qu’à moi que ça arrive, des trucs pareils…

— Ferme-la ! crié-je.

Puis, revenant à Magnin Beau-Sourire :

— Nous (je désigne mon groupe) appartenons aux services secrets. Rien à voir avec la Criminelle… Jamais nous ne nous serions occupés de cette histoire si le hasard ne nous y avait mêlés de force…

— Où voulez-vous en venir ? fait Magnin. Pourquoi me réveiller pour me raconter votre curriculum ?

— Minute ! Nous avons enquêté, et conclusion…

Je lève un doigt :

— Le Turc ! Le Grenoblois !

J’en lève un autre :

— De même que Marie-Jeanne, sa gagneuse…

Enfin, je dresse mon majeur :

— Plus le Grenoblois… Pas mal, comme tableau de chasse, hein ?

Il est vert bouteille, tout à coup.

— Le Turc ! Le Grenoblois !

— Oui…

— Mais pour le Turc, le journal…

— Considérez les précédentes éditions comme nulles et non avenues et lisez les prochaines, elles vous confirmeront mes dires…

— On te berlure pas, certifie Béru, parole de pays !

Magnin se gratte le sommet du crâne.

— Oh ! je te crois… Seulement, ça fait quelque chose d’apprendre tout ça…

— Ce « tout ça » poursuis-je, nous a menés à un cadavre sans tête bouclé dans un kiosque à loterie de la gare de Lyon. Nous sommes venus ici, Magnin, pour vous poser une simple question… Répondez-y, je sais que vous le pouvez puisque vous étiez l’ami des deux gars cités… Si vous le faites, l’affaire est classée… Sinon, l’enquête continue… Et ça risquerait de vous apporter pas mal de déboires…

Je prends un temps. Il ne me quitte pas des yeux.

— Eh bien ! dites…

— Je veux savoir qui est l’homme décapité…

Magnin détourne lentement les yeux… Il ne répond pas.

— Accouche, conseille Bérurier, du moment que San-Antonio te promet le silence, t’es paré si t’as trempé dans le bain !

— Je ne veux même pas le savoir… Je m’en fous… Trois morts pour un, c’est assez dans une enquête officieuse.

Magnin réalise tout le bien-fondé de nos arguments.

— D’accord, fait-il, j’ai confiance, je vais vous casser le morceau.

Et il y va de sa tartine de confidences :