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S’adressant particulièrement à moi, il demande :

— Qu’en pensez-vous ?

Je soutiens son regard conçu et réalisé par Frigélux.

— Patron, je conçois votre humeur, et je la partage. Mais qu’y puis-je ?

« D’accord, un fichu hasard a voulu que nous soyons témoins de la macabre découverte, mais ça n’est pas nous qui menons l’enquête ! »

Il va pour exploser. Pourtant mon calme lui en impose et il retourne se chauffer les noix au radiateur.

— C’est à ce sujet que je vous ai fait appeler tous les deux… J’en ai assez de vous voir la risée de la presse. Puisque nos collègues de la Criminelle sont des incapables, c’est vous qui allez officieusement vous occuper de l’affaire…

— Nous ?

— Vous et Bérurier ! Et il me faut des résultats rapides, vous m’entendez ? Je vous accorde un congé illimité, faites-en bon usage !

Il claque des doigts.

— C’est tout !

Nous saluons d’une inclinaison du buste et nous mettons notre pied droit devant le gauche, puis le gauche devant le droit jusqu’à ce que ces opérations répétées nous aient conduits hors du burlingue.

Une fois la porte refermée, Béru m’adresse un clin d’œil.

— Dans un sens, ça ne s’est pas trop mal passé !

— Tu trouves ?

— Congé… On va bricoler là-dessus en souplesse, non ?

Je hausse les épaules.

— En souplesse, mouais ! Tu l’as entendue, cette patinoire à poux ? Il veut des résultats rapides ! Je te fiche mon billet qu’avant une heure il va appeler pour nous demander si ça avance…

Bérurier ressort son mégot et l’allume.

— Par quoi on commence ?

— Va chez les petits confrères, manière de savoir où ils en sont au juste. Demande-leur, mine de rien, si la photo du décapité a été publiée dans les journaux étrangers… Enfin, merde, ce type-là n’est pas arrivé à quarante-cinq ans sans connaître personne ! Il devait bien dire bonjour à sa concierge et s’acheter le journal !

— Peut-être qu’il habitait un terrier et qu’il savait pas lire, suggère intelligemment Béru.

Il ajoute :

— Et toi ?

— Moi, quoi ?

— Qu’est-ce que tu vas faire pendant ce temps ?

— Méditer sur ton esprit. Y a de quoi se recueillir…

CHAPITRE III

UNE VAGUE IDÉE… DERRIÈRE LA TÊTE

Bérurier parti, je me sens en proie à une angoisse étrange. Cette histoire de tête ne me dit rien qui vaille. J’aime le mystère, vous le savez, et cependant celui-ci me rebute, comme s’il était porteur de maléfices…

Ce qui m’épate, c’est qu’on n’ait pas retrouvé les restes du mort. Qu’est-ce que son assassin a bien pu en fiche ? Et pourquoi aller déposer la tête à l’endroit où nous l’avons dénichée ? Il plane dans tout cela comme une ambiance de monstrueux canular. C’est ce détail qui me fait croire que nous nous trouvons en face d’un fou. Or les dingues me flanquent les jetons. J’ai connu bien des gros méchants qui ne reculaient devant rien de ce qu’il est humainement possible d’accomplir dans le rayon du meurtre, mais ils ne m’ont jamais effrayé outre mesure. Avec un zig qui a une panne de secteur dans le transformateur, on avance dans des sables mouvants. Les fous sont les vrais seigneurs de cet univers, parce qu’ils échappent à toutes les lois humaines. Ils sont murés dans leur vérité absolue et quand vous frappez à leur lourde, c’est comme si vous attendiez que la Seine s’arrête de couler pour la traverser à pied sec.

Oui, je suis troublé.

En attendant le rapport de Béru, je descends écluser un scotch à la brasserie… Comme il est midi, j’y trouve Pinaud, l’ineffable, occupé à surveiller le corsage de la bonniche, comme un vieux matou à l’affût devant un trou de souris.

D’autres collègues éclusent des boissons fermentées. En me voyant entrer, ils se poussent du coude et, avec un ensemble de choristes noirs, font « Meueueuhh ! »

Je ravale ma rogne.

— Pour des ânes, c’est pas mal imité, conviens-je.

Je m’approche du père Pinuche dont l’œil pleure à force de fixité.

— Vieux salingue, lui dis-je, t’as pas honte de mater l’échancrure de mademoiselle ? Qu’est-ce que tu crois qu’il va en sortir : un petit oiseau ?

La serveuse glousse de contentement. Les femmes, c’est ça. Si vous avez une frime potable, comme c’est mon cas — soit dit entre nous et votre quatrième tiers provisionnel —, vous pouvez leur déballer la pacotille la plus minable… Mais si vous n’avez à leur proposer qu’un grand amour et la trogne d’hépatique à Pinuche, elles vous conseillent d’aller vous tirer une balle dans le cœur un peu plus loin pour ne pas salir la carpette !

Voilà un bout de temps que cette nana me fait du rentre-dedans. Elle a une façon de laisser traîner ses boîtes de lait Mont-Blanc sur mon bras en me servant mon petit crème vespéral qui en dit long sur ses aspirations secrètes ! Avec une bergère de ce gabarit, le feu vert est toujours mis ! Faut être timoré pour ne pas annoncer son sous-marin de poche ! Ou alors faut aimer le tournedos Rossini !

Je lui décoche une œillade qui ferait frissonner un champ de blé. Elle y répond par un regard qui appelle l’instincteur à grand rayon d’action. Pinuche vide son godet, amer.

— Avec toi, marmonne-t-il, on ne peut pas se placer. Je ne sais pas ce qu’elles te trouvent, mais dès que tu parais, ces dames se mettent à bégayer…

Au lieu de répondre, je me détranche sur la poulette. C’est une petite rouquine qui se croit blond vénitien et qui s’efforce de cacher ses taches de rousseur sous trois centimètres de fond de teint. Elle a des yeux noirs, pas trop stupides, et une bouche charnue comme je les aime.

Pour la carrosserie, c’est du petit format, mais bien enveloppé. Comme ma vie sentimentale est pour l’instant aussi déserte que l’intérieur d’un tambour, je me dis qu’une partie de tumeveux-tumas avec cette jouvencelle me changerait un peu les idées.

— On fait un 421 ? propose Pinaud.

Le voilà qui veut oublier ses désillusions dans l’enfer du jeu.

— D’accord.

Marguerite nous amène la piste cendrée. Et on malaxe les bobs sans trop de conviction.

— Tu penses à autre chose ? remarque Pinuche.

— À quoi tu le vois ?

— Puisque je gagne…

Je lui souris. Brave vieux schnock, va !

— Qu’est-ce qui te préoccupe, tu es amoureux ?

— Oui : de la princesse Margaret ! Mais la reine mère fait du suif parce que j’ai eu la rougeole étant petit !

Il mordille sa moustache de vieux rat fripé.

Alors pris de pitié, je lui casse le morceau sur la mission dont le Vieux nous a chargés. Pinaud m’écoute, attentif.

— Drôle de pastis, apprécie-t-il.

— D’après toi, c’est le turbin d’un dingue, hein, Pinaud ?

Ça vous surprend peut-être que je le consulte, mais laissez-moi vous dire que ce débris est de bon conseil en matière de police.

Il réfléchit un bout de temps, en cherchant à douze reprises le 421 sans arriver à l’obtenir.

— Je ne crois pas, murmure-t-il enfin.

— À cause ?

— J’ai lu les journaux…

— Moi aussi. C’est même ce qui m’incite à penser que seul un fou a pu agir de la sorte !

— Le comportement de l’assassin, bien sûr, plaide pour cette thèse !

Le voilà parti dans les formules chères au Boss.

Il s’adosse au zinc, toujours comme fait le Boss avec le radiateur. Il passe également deux doigts entre son cou et sa chemise, comme s’il voulait donner du jeu au col. Précaution bien superflue en ce qui concerne mon valeureux camarade, puisqu’il a toujours des limaces de taille 43 alors qu’un petit 38 suffirait à son cou de cigogne.