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J’ai eu pour amies des nanas de la haute, des cérébrales, des artistes, je peux donc vous en parler et vous dire tout le mal que j’en pense. Quand un tombeur comme Bibi se farcit ces filles-là, il s’expose irrémédiablement à des emmouscaillages maison ! Ces chochottes vous font payer chérot la rançon de leurs corps. Quand elles passent au décarpillage, elles ne sont pas nues pour autant. Il leur reste sur le râble une telle épaisseur de préjugés, de mondanités et de prétentions que, pour se faire reluire, on est obligé de penser à la radeuse du coin, nature et pas bêcheuse. L’amour au cinéma, c’est nécessaire. Mais le cinéma dans l’amour, moi je trouve ça débectant !

S’il est un moment où l’on doit accrocher sa gamberge au même clou que son grimpant, c’est bien celui-là, non ?

Vous aimez, vous, les locdues façon bas-bleus, qui vous expliquent le ressort secret de leur âme au moment où vous leur faites le coup du garde champêtre amoureux ? Et les autres, celles qui lèvent le petit doigt pour écluser le thé, et le petit doigt de pied pour se laisser aimer ? Parlons-en ! Et parlons-en à la troisième personne, que dis-je ! à la quatrième… Tiens, oui : il faut créer une quatrième personne pour ces cavités prétentieuses ! La quatrième personne de l’impersonnel. Une révolution dans la grammaire ! Ça les situerait illico socialement. On leur accrocherait cette quatrième personne au fignedé pour avertir les aminches : attention ! travaux littéraires ! Si pas licencié, s’abstenir, et si licencieux, voir ailleurs ! Parfaitement, les mâles devraient se rendre ce menu service. Vous chargez des bonnes femmes bien souvent sans savoir où vous portez vos lattes ! Vous faites confiance à leurs rondeurs et à leurs yeux en tire-bouchon, sans piger qu’elles vous entretiendront de leur moi second au lieu de jouer à Toi et Moi ! Ça y est, c’est dit : on fonde la ligue, hein, les potes ? La société des Amis de la paix, de l’unique, de la vraie, de celle que vous accordent les petites camarades de lit !

En attendant, croyez-moi, lorsque vous vous annoncez dans une maison bourgeoise où la baronne vous fait du rentre-dedans, n’hésitez pas une seconde : grimpez la bonne ! Avec elle, vous n’aurez pas besoin d’avoir lu Proust, ni d’avoir visité la dernière exposition de Buffet ! Et si la soubrette sent davantage l’eau de Javel que « Conquête » de Lancôme, consolez-vous en pensant que les cadeaux que vous aurez à lui faire n’amocheront pas votre budget !

Tout en philosophant, j’ai franchi la distance qui sépare mon domicile fixe de la grande taule.

La serveuse de la brasserie est déjà laga qui poireaute dans un manteau de drap qui la fait ressembler à une orpheline.

Ça, c’est comme qui dirait le revers de la médaille. Les bonnes, il faut les embarquer dans leur tenue de turbin, parce que c’est comac qu’elles sont à leur avantage. Autrement, elles ne ressemblent plus à grand-chose !

Je stoppe à sa hauteur et je délourde. Elle s’engouffre dans mon bahut comme si elle se jetait dans la Seine.

— Filez vite ! supplie-t-elle, je crois bien que mon patron se doute de quelque chose.

— Et après, votre vie privée ne le regarde pas, si ?

Elle rougit. Je comprends que ce gras-dubide lui fait faire certaines heures supplémentaires lorsqu’il a trop mis de poivre sur son steak de midi.

— Où on va ? s’informe-t-elle après que j’ai tourné le coin de la rue.

— Qu’est-ce que vous diriez d’une séance au cinoche pour commencer ?

Le programme n’est peut-être pas extravagant, mais à l’occasion je marme dans le classique.

Elle bat des mains et me demande si j’ai vu jouer « Trémolo ».

Je lui réponds que non.

On y va. C’est le grand machin en vistavision avec le concours de la maison Gevacolor et des esquimaux Gervais.

Le film narre l’histoire d’un chanteur cocu. Ses chansons sont pourtant enregistrées sur disques Haute Fidélité ! Le pauvre gars, après avoir perdu ses cheveux et sa femme, perd sa voix ! Ses ennuis s’arrêtent après la perte de ses clés.

Voilà une bande qui fait penser… (à autre chose naturellement). La perruque du ténor a été fournie par la maison Dugommier, et son absence de voix par Tino Rossi.

La rouquine est ravie.

— C’est beau, affirme-t-elle comme nous sortons.

Mon premier soin, de retour à l’air libre, c’est d’acheter France-Soir. Je vois que la bafouille de Marguerite a produit son petit effet. Elle est publiée in extenso à la une. Je me jette sur l’article qui la précède comme un lion affamé sur une entrecôte marchand de vin.

Le rédacteur annonce qu’il donne cette nouvelle sous toute réserve, il ajoute qu’il est prêt à rencontrer Marguerite M… quand et où elle le voudra. Il donne sa parole que c’est avec l’accord de la poulaillerie qu’il agit ainsi et jure qu’il viendra seul au rencart éventuel, pour débattre les conditions…

— On ne part pas ? s’impatiente ma compagne.

J’opine.

— Tout de suite, trésor chéri… Où allons-nous ? Il est trop tôt pour dîner, non ?

Elle détourne ses lampions.

— On pourrait aller chez moi, suggère-t-elle. Il doit me rester un peu d’apéritif… C’est du vin d’orange que ma mère m’envoie de la campagne !

Je saute sur l’occase à pieds joints.

— Avec joie, ma petite Margaret, seulement, auparavant, il faut que je fasse une course rue Réaumur…

Je pédale jusqu’à France-Soir et je laisse ma tire en double file en recommandant à ma donzelle de séduire les bignolons qui viendraient rôdailler à proximité.

Elle promet et, pour me montrer ses possibilités, fait jouer ses ramasse-miettes à plusieurs reprises.

— Parfait, lui dis-je. Avec un tel pouvoir de séduction, vous devriez faire du ciné, la mère Mansfield n’aurait plus qu’à aller vendre des moules !

Je fonce à la rédaction du grand journal et je demande à voir mon pote Bleau qui tient la chronique des collectionneurs de bagues de cigares à France-Soir.

Justement, il passe dans le couloir au moment où l’huissier me répond qu’il est parti. On se congratule.

— Viens au bar ! me dit-il, je t’offre un scotch…

— Pas le temps…

Je lui colle la dernière édition sous le naze.

— Tu connais le gars qui a écrit ce papier sur mon affaire des Halles ?

— Bien sûr, c’est Laroute !

— Je peux le voir, cet homme ?

— Viens…

Nous traversons des salles de rédactions jonchées de papier divers où des gars ont l’air de faire des choses mystérieuses à la lumière de leur réflecteur de bureau.

Tout en cheminant dans le labyrinthe, Bleau m’explique qu’il est heureux de sa situation. Il a droit à la sympathie de ses chefs, plus à un mois de congés payés… Et puis il va monter en grade. L’an prochain, il aura un job pépère. C’est lui qui sera chargé du résumé des bandes dessinées. Comme celui-ci ne comporte qu’une ligne il ne se fatiguera pas beaucoup.

— Tu comprends, me dit-il, c’est grâce à mon sens de la concision que je vais obtenir cet emploi. Prenons par exemple le feuilleton n° 1164 de « Juliette de mon cœur », hein ? Je lis le résumé des mille et quelques feuilletons parus…

Il s’empare d’un journal et lit effectivement :

— « Zelma croit que son mari Caroll va rendre l’argent qu’il a dérobé à la Compagnie de Construction de Devon. »

— C’est déjà beau comme raccourci, apprécié-je.