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Il alla ensuite à l’observatoire de Vargas dans l’Antarctique. Il y passa plusieurs heures. Vargas n’avait rien trouvé de nouveau, ces derniers temps, mais l’endroit exerçait une attirance irrésistible sur Krug ; il adorait ses instruments compliqués, l’atmosphère de découverte imminente et, par-dessus tout, le contact direct qu’il lui permettait avec les signaux venant de NGC 7293. Ces signaux continuaient à arriver, sous la forme modifiée qu’ils avaient prise quelques mois plus tôt : 2-5-1, 2-3-1, 2-1. Maintenant, Vargas avait reçu le nouveau message par radio, sur différentes fréquences, et par transmission optique. Krug s’attarda à écouter le chant étranger sur les appareils de l’observatoire, et, quand il partit, ses tonalités continuèrent sans interruption à faire retentir leur « blip-blip » dans sa tête.

Continuant sa tournée d’inspection, Krug fila à Duluth, où il regarda de nouveaux androïdes sortir de leurs containers. Nolan Bompensiero n’était pas là – l’équipe du soir, à Duluth, ne comprenait que des superviseurs alphas – mais Krug fit la visite de l’usine, guidé par l’un de ses subordonnés, plein de terreur sacrée. La production était aussi grande que jamais, bien que l’alpha mentionnât qu’ils avaient du retard sur les commandes.

En dernier, Krug alla à New York. Dans le silence de son bureau, il travailla jusqu’à l’aube, s’occupant de problèmes industriels surgis sur Callisto et Ganymède, au Pérou et à la Martinique, sur la Lune et sur Mars. Le jour naissant commença par un glorieux lever de soleil, si brillant dans sa pâle intensité que Krug fut tenté de se ruer vers la tour pour la regarder scintiller dans les feux du matin. Mais il resta. Ses collaborateurs commençaient à arriver : Spaulding, Lilith Meson et les autres membres de la direction. Il y eut des mémorandums, des coups de téléphone et des conférences. De temps en temps, Krug jetait un regard furtif sur l’écran d’holovision qu’il avait récemment fait installer sur le mur de son bureau pour lui projeter la vue en circuit fermé de la tour en construction. L’aube n’était pas si glorieuse dans l’Arctique, semblait-il ; le ciel était plombé et nuageux, comme s’il allait neiger. Krug vit Thor Watchman évoluer parmi des bataillons de gammas, dirigeant le levage d’un immense appareil de communications. Il se congratula d’avoir choisi Watchman pour diriger les travaux. Existait-il au monde un alpha plus parfait ?

Vers 0950 heures, l’image de Spaulding apparut sur le projecteur à vapeur de sodium. L’ectogène dit :

— Votre fils vient d’appeler de Californie. Il dit qu’il s’excuse d’avoir trop dormi, et qu’il arrivera avec une heure de retard à son rendez-vous avec vous.

— Manuel ? Un rendez-vous ?

— Il devait être ici à 1015. Il y a quelques jours, il a demandé que vous lui réserviez un moment.

Krug avait oublié. Cela l’étonna. Cela ne l’étonna pas que Manuel fût en retard. Lui et Spaulding modifièrent son emploi du temps de la matinée, avec quelque difficulté, pour réserver une heure à Manuel, de 1115 à 1125 heures.

Manuel arriva à 1123 heures.

Il avait l’air tendu et fatigué, et il était, pensa Krug, bizarrement vêtu, même pour Manuel. Au lieu de son habituelle tunique flottante, il portait les culottes moulantes et le pourpoint de dentelle d’un alpha. Ses longs cheveux étaient tirés en arrière et noués dans le dos. Le résultat n’était pas seyant : le pourpoint de dentelle révélait, chose aussi peu androïde que possible, l’épaisse toison de poils du torse de Manuel, pratiquement le seul trait physique qu’il eût hérité de son père.

— C’est la nouvelle mode chez les jeunes mondains ? demanda Krug. La mode alpha ?

— C’est une fantaisie, père. Pas une mode – pas encore. Manuel se força à sourire. Pourtant, si on me voit ainsi, cela pourrait devenir une mode.

— Je n’aime pas ça. Y a-t-il du bon sens à se promener habillé en androïde ?

— Je trouve que c’est joli.

— Pas moi. Qu’est-ce que Clissa en pense ?

— Père, je ne suis pas venu pour discuter de mon costume.

— Pourquoi, alors ?

Manuel posa un cube informatif sur le bureau de Krug.

— J’ai récemment obtenu cet objet en visitant Stockholm. Voudriez-vous l’examiner ?

Krug prit le cube, le tourna plusieurs fois dans sa main et l’activa. Il lut :

Et Krug présida à la Duplication, et toucha les fluides de Sa main, et leur donna forme et esprit.

« Que les hommes sortent des Cuves, » dit Krug, « et que les femmes en sortent, et qu’ils vivent parmi nous, robustes et travailleurs, et qu’ils portent le nom d’Androïdes. »

Krug fronça les sourcils.

— Qu’est-ce que c’est que ça, nom de Dieu ? Un roman ? Un poème ?

— C’est une bible, père.

— De quelle religion imbécile ?

— De la religion des androïdes, dit calmement Manuel. On m’a donné ce cube dans une chapelle androïde du quartier bêta de Stockholm. Déguisé en alpha, j’y ai assisté à un service. Les androïdes ont inventé une religion très complexe, dans laquelle, père, vous êtes la déité. Il y a un hologramme de vous, grandeur naturelle, au-dessus de l’autel. Manuel joignit le geste à la parole. Voilà le signe Krug-soit-loué. Et cela (il fit plusieurs autres gestes) c’est le signe Krug-nous préserve. Ils vous rendent un culte, père.

— C’est une plaisanterie. Une aberration.

— C’est un mouvement mondial.

— Qui comprend combien de membres ?

— La majorité de la population androïde.

Fronçant des sourcils menaçants, Krug dit :

— Tu en es sûr ?

— Il y a des chapelles partout. Il y en a une sur le chantier de la tour, cachée parmi les dômes de service. Cela dure depuis au moins dix ans – religion clandestine, inconnue de l’humanité, et captivant les émotions des androïdes à un degré tel que j’ai eu du mal à y croire. Et voilà ses écritures.

Krug haussa les épaules.

— Et alors ? C’est amusant, mais quoi ? Ce sont des gens intelligents. Ils ont leur propre parti politique, leur argot, leurs petites coutumes bien à eux – et maintenant, leur religion. En quoi cela me regarde-t-il ?

— Cela ne vous touche pas de savoir que vous êtes un dieu pour eux, père ?

— Ça me rend malade, si tu veux savoir la vérité. Moi, un dieu ? Il y a erreur sur la personne.

— Mais ils vous adorent. Ils ont construit toute une théologie autour de vous. Lisez le cube. Vous serez fasciné, père, de voir quel personnage sacré vous êtes pour eux. Vous êtes le Christ, Moïse, Bouddha et Jehovah en une seule personne. Krug le Créateur, Krug le Sauveur, Krug le Rédempteur.

Un frisson de malaise agita l’échine de Krug. Il trouvait toute cette histoire de mauvais goût. Est-ce qu’ils se prosternaient devant son image dans ces chapelles ? Est-ce qu’ils lui marmonnaient des prières ?

Il dit :

— Comment as-tu obtenu ce cube ?

— C’est un androïde que je connais qui me l’a donné.

— Si c’est une religion secrète…

— Elle a pensé qu’il fallait que je sois au courant. Elle a pensé que je pourrais aider ses frères.

— Elle ?

— Oui, elle. Elle m’a emmené dans une chapelle, pour que j’assiste aux services, et en partant, elle m’a donné ce cube, et…

— Tu couches avec cette androïde ? demanda Krug.

— Qu’est-ce que cela a à voir avec…

— Si tu es tellement lié avec elle, tu dois coucher avec elle.