II
Quel autre dessein eût pu animer ce menteur diabolique ?
De son bâton dressé tel un attrape-foudre furieux
Il leurre, menace, et séduit le curieux
Qui demande son chemin. Et ce rire satanique
Graverait je n’en doute l’épitaphe véridique
Relatant ma venue en ces maudits lieux.
III
Si fort de ses conseils je devais me détourner
De ma route pour m’engager dans le sinistre chemin, où,
Comme chacun le sait, se cache la Tour Noire,
c’est pourtant sans remous,
Et docile, que je m’y aventurai. Sans nulle fierté
Ni impatience ravivée de jamais entrevoir mon but tant convoité
Ni même aucune fin — je n’avais cet espoir fou.
IV
Car après avoir sillonné le vaste monde, en entier
Et cherché en vain toutes ces longues années, qu’était-il advenu
De ma quête, de ma foi déclinantes, ces fantômes abattus,
N’eussent pu porter le poids de cet espoir trop vif, plein de témérité
Et c’est à peine si je sus réprimer le bond enchanté
Que fit mon cœur, sentant la défaite venue.
V
Et lorsque le malade approchant du trépas
Sent commencer et finir
Les larmes de peine, et qu’adieu aux amis il doit dire
Il entend l’un supplier l’autre de partir, retenir son souffle las,
Plus librement dehors (« puisque tout est achevé, que la fin est là
Et que le coup porté, aucun chagrin ne viendra adoucir »)
VI
Quand d’aucuns débattent, cherchant si place ils trouveront
Entre les tombes moussues, pour celle de ce vaillant
Et si pour porter sa dépouille il est jour plus clément
Et si, ayant soin des bannières, des écharpes
et des tristes chansons
L’homme toujours entend tout
et une seule soif berce son cœur si bon
Celle de ne pas faillir et trahir un amour si tendre, en demeurant.
VII
Ainsi, depuis si longtemps j’endurais cette quête insensée
Et voyais mon échec chanté dans poèmes et prophéties
Tant de fois, parmi la troupe, de ceux que choisit cet exil inouï,
Ces chevaliers qui à la Tour adressèrent leurs pas
et leurs rêves éthérés
Qu’échouer comme eux me paraissait galvaudé
Mais certain — car qui pourrait lutter contre ce doute assassin et si j’étais honni ?
VIII
Et muet comme le désespoir qui m’étreignait, je me détournai
De cet odieux estropié, je quittai son chemin
Pour porter mes pas dans celui qu’il vantait. Car ce jour sans fin
M’avait été bien lugubre, et avant que de voir le soir tomber
Et le clore, je souffris le regard écarlate et mauvais
Qui ensanglante la plaine, d’un éclat macabre et malin.
IX
Qu’on m’entende ! À peine m’étais-je promis le cœur loyal
À la plaine, au bout d’un pas ou deux
Alors que je me retournai pour lancer un regard d’adieu
Sur la route bien sûre qui m’avait mené en ce songe sans égal
Elle avait disparu ; plus rien d’autre que les plaines grises et étales
À perte de vue : je ne pus que poursuivre, car quoi faire en ces lieux ?
X
Aussi je marchai. Je ne crois pas avoir jamais
entrevu de mes yeux
Nature plus affamée et ignoble, rien n’y prospérait guère
Pas une fleur — comment rêver d’une cédrière !
Tandis que l’euphorbe et la chienlit, comme la loi le veut
Se propageaient à l’envi, si bien qu’au cœur ainsi un peu
De bardane égarée eût été une heureuse surprise, et bien légère