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XX
Si insignifiante, et pourtant si venimeuse, sur ses berges austères De bas aulnes rabougris venaient s’agenouiller près de l’eau agitée Et saules détrempés les jetant tête baissée En un mouvement de muet désespoir, foule suicidaire : Et le courant qui les torturait ainsi, nullement ému par leur calvaire Suivait sa route, pas un instant perturbé.
XXI
Et tandis que je passais à gué — par tous les saints, comme je craignais De poser pied sur la joue de quelque cadavre ou moribond À chaque pas, ou de sentir la lance de laquelle je sondais les fonds Prévenant les écueils, prisonnier de sa chevelure ou de sa barbe serrée Un rat d’eau sans doute, que de mon bâton je réveillai Mais Dieu ! Combien son cri rappelait le hurlement d’un nourrisson.
XXII
Et je fus trop heureux de gagner la berge opposée Le pays paraissait plus clément. Vain présage ! Qui étaient les combattants, quelle guerre menaient-ils, quel en était le visage Quel piétinement sauvage était venu écraser le sol détrempé En un frais clapotis ? Crapauds en leur cuve empoisonnée Ou chats sauvages dans leur rougeoyante cage —
XXIII
Ainsi paraissaient les traces d’un antique combat en ce décor sauvage Qui les confinait là, quand toute la plaine s’offrait à eux ? Nulle trace de pas ne menait à ce miaulement vénéneux Aucune ne s’en éloignait. Immonde saumure à l’ouvrage Leur cerveau, nul doute, comme le Turc son galérien, qu’il a fait esclave Appelle son divertissement, Chrétiens contre Juifs, en un combat odieux.
XXIV
Et plus que cela — à un furlong — si près, juste là, vraiment ! À quel funeste usage ce moteur, cette roue étaient-ils réservés ? Ou plutôt ce frein — cette herse faite pour tourner, Pour rouler et filer les cadavres comme la soie, avec l’air insouciant De l’outil du Tophet, laissé sur terre comme par égarement Ou pour affûter ces dents rouillées d’acier.
XXV
Puis apparut une lande piétinée, jadis un bois étrange, Puis marécage semblait-il, et enfin simple terre désolée Et stérile (l’idiot y trouvera raison de se gausser À créer une chose, puis à la gâter, jusqu’à ce que d’humeur il change Et le voilà reparti !) ; en un quart d’arpent, sombre mélange De marais, d’argile et de décombres, et de désolation amère et dépeuplée.
XXVI
D’impudentes taches, d’un gris sinistre colorées Des aplats où le sol ras, maigre pitance Laissait place à la mousse, pareille à des furoncles, abjectes substances Puis surgit un chêne paralysé, en son sein une profonde fissure creusée Telle une bouche distordue, fendue, déchirée Suffoquant, aspirant la mort, et mourant dans une ultime transe.
XXVII
Et toujours aussi loin de la fin ! Rien d’autre à l’horizon que le crépuscule, rien qui vienne l’œil rassurer Ou le pas guider ! À cette pensée, Je vis un grand corbeau, ami de cœur d’Apollyon, l’ange de l’abîme sans fin Passer au-dessus de moi, son aile vaste de dragon dans son vol hautain M’effleura le chef — peut-être cherchais-je à me faire inviter.