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XXVIII
Car levant les yeux, malgré moi, je pus voir, je le pus ! En dépit des ténèbres, que la plaine avait cédé la place Alentour aux montagnes — les appeler ainsi est trop de grâce Ces hauteurs bien laides, vagues bosses vite dérobées à ma vue. Pourtant combien elles m’avaient surpris — allez résoudre ce mystère ardu ! Comment m’en échapper, pas d’indice, comment faire face ?
XXIX
Pourtant je crus reconnaître quelque ruse à demi Quelque malice déjà survenue, Dieu seul savait quand — En cauchemar peut-être. Cette malice prit fin, et tout en la voyant S’éloigner, je poursuivis ma route, mais bien près de céder au renoncement et à l’oubli Je fus une fois encore éveillé de cet insidieux ennui Comme lorsque au bruit d’une trappe qui claque — vous vous savez piégé, non plus dehors, mais dedans.
XXX
Tout m’assaillit à la fois en un embrasement mémorable C’était bien là ce lieu ! Ces deux collines sur la droite couchées, Accroupies tels deux taureaux, cornes soudées en leur joute acharnée Tandis qu’à gauche une haute montagne rasée… je me trouvai pitoyable Cancre, abasourdi, pétrifié par l’instant inestimable Après toute une vie passée à esquisser cette vision, dans mon œil entraîné !
XXXI
Et au centre, quoi d’autre que la Tour unique ? Tourelle ronde et trapue, aussi aveugle que le cœur de l’idiot ahuri, Bâtie de pierre brune, et sans jumelle dressée à côté, seule surgie Seule au monde de son espèce. Ainsi l’elfe moqueur de la tempête fatidique Désigne au capitaine l’obstacle invisible, l’écueil dramatique Sur lequel il viendra déchirer son navire, au premier soubresaut ressenti.
XXXII
Nulle vision telle ? À cause de la nuit, peut-être ? — pourtant le jour reparut J’attendis la lumière ! Avant que de la voir pâlir, fugace Le crépuscule mourant vint rougeoyer à travers une crevasse : Les collines, tels des géants assistant à la chasse, bien repus Le menton dans la paume, observaient le gibier aux abois, perdu « Que d’un coup de dague on achève la bête ! Droit au cœur, qu’on la terrasse ! »
XXXIII
Aucun son ? Quand le bruit était partout ! Et j’entendis Le carillon croître à mon oreille. Ces noms à mon oreille tendue Ceux d’aventuriers perdus, Mes pairs — celui-ci était si fort, celui-là si hardi, Et l’autre si chanceux, et tous, vieux amis enfuis Perdus, perdus ! Un instant sonna le glas du malheur des ans déchus.
XXXIV
Tous, debout là, alignés le long des collines réunis, Pour me voir avant le grand départ, cadre vivant et plein d’espoir D’un ultime tableau ! Sur une feuille en flammes dans le soir Je les vis, tous je les reconnus. Et c’est alors qu’en un geste infini Intrépide je portai à mes lèvres mon cor béni Et sonnai. « Le Chevalier Roland s’en vint à la Tour Noire »

NOTE DE L’AUTEUR

J’ai parfois l’impression d’avoir plus écrit sur les romans de la Tour Sombre que sur la Tour Sombre elle-même. Ces commentaires corollaires incluent les synopsis de plus en plus volumineux (désignés par ce vieux terme étrange d’argument) en ouverture de chacun des cinq premiers volumes et les postfaces (pour la plupart totalement inutiles, et pour certaines, très embarrassantes, rétrospectivement) à la fin de tous les romans. Michael Wheelan, l’artiste hors pair qui a réalisé les illustrations du premier et du dernier volume, a prouvé qu’il n’était pas empoté non plus, pour ce qui était de la critique littéraire, quand, après la lecture d’un premier jet du Volume Sept, il a suggéré — dans des termes plutôt brusques au singulier pouvoir revigorant — que la postface plutôt légère que j’avais rédigée pour ce dernier opus était discordante et déplacée. J’y ai jeté un œil neuf, et me suis rendu compte qu’il disait vrai.

La première moitié de ce commentaire bien intentionné mais décalé se trouve désormais en introduction du premier volume de la série. Il s’intitule : « On n’est pas sérieux, quand on a dix-neuf ans. » J’avais pensé quitter le septième roman sans pirouette finale ; à laisser la découverte de Roland au sommet de sa Tour comme mon dernier mot sur le sujet. Puis j’ai compris que j’avais une dernière chose à ajouter, une chose qu’il fallait dire. Elle a à voir avec ma présence dans mes propres livres.