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Sans avoir aucune idée de ce qui sortirait de sa bouche, Callahan se mit à hurler :

— Ils vont commencer par tuer Ote ! Ils vont le tuer sous tes yeux et te faire boire son sang !

Ote aboya en entendant prononcer son nom. Les yeux de Jake parurent soudain s’éclaircir, mais Callahan n’eut pas le temps de contempler plus longtemps le garçon.

La tortue ne les arrêtera pas, mais au moins elle retient les autres. Les balles non plus ne les arrêteront pas, mais…

Avec une forte impression de déjà-vu — et c’était compréhensible, car il avait déjà vécu tout ça, chez ce jeune garçon du nom de Mark Petrie — Callahan plongea la main dans l’échancrure de sa chemise et saisit la croix qu’il portait autour du cou. Elle émit un cliquetis en touchant la crosse du Ruger. La croix était illuminée d’un éclat blanc bleuté. Les deux monstruosités qui s’apprêtaient à fondre sur lui reculèrent avec un hurlement de douleur. Callahan vit la surface de leur peau se mettre à grésiller, puis se liquéfier. Cette vision le remplit d’une joie sauvage.

— Ne m’approchez pas ! s’écria-t-il. C’est le pouvoir de Dieu qui vous l’ordonne ! Le pouvoir du Christ ! C’est le ka de l’Entre-Deux-Mondes qui vous l’ordonne ! C’est le pouvoir du Blanc qui vous l’ordonne !

L’un d’eux n’en fonça pas moins sur lui, sorte de squelette déformé dans un smoking tout vermoulu de moisissure, qui portait autour du cou comme une très vieille médaille… une Croix de Malte, peut-être ? Il abattit une main aux ongles longs et recourbés sur le crucifix que le Père brandissait devant lui. Callahan le déroba à ses griffes au dernier moment, et les doigts du vampire le manquèrent d’un centimètre. Sans réfléchir, Callahan plongea en avant et alla planter sa croix dans la peau jaune et parcheminée du front de la créature. Le crucifix en or s’enfonça dans la chair comme une broche chauffée à blanc dans du beurre. La chose dans son costume chic lâcha un hurlement de douleur liquide et bascula en arrière. Callahan extirpa la croix de sa chair. L’espace d’une seconde, avant que l’aïeul monstrueux ne porte les griffes à son front, Callahan eut le temps d’apercevoir le trou qu’avait creusé le métal. Puis une matière jaunâtre et épaisse se mit à suinter entre les doigts de la chose. Ses genoux cédèrent et elle s’écroula au sol, entre deux tables. Ses congénères se reculèrent avec dégoût, en hurlant d’indignation. Derrière ses mains croisées, le visage de la créature commençait déjà à se distordre et à s’affaisser vers l’intérieur. Son aura fut soufflée comme une chandelle et il ne resta plus tout à coup qu’une flaque de chair jaune et liquide dégoulinant telle une vomissure des manches de sa veste et du bas de son pantalon.

Callahan s’avança vers les autres d’un pas rapide. Sa peur avait disparu. L’ombre de la honte qui planait sur lui depuis que Barlow s’était emparé de sa croix et l’avait brisée, cette ombre avait disparu elle aussi.

Enfin libre, pensa-t-il. Enfin libre, par Dieu Tout-Puissant, je suis enfin libre. Puis : ce doit être la rédemption. Et ça fait du bien, n’est-ce pas ? Oui, un bien fou.

— Repousse-la ! s’écria l’un d’eux, les mains levées pour se protéger le visage. Cette saleté de babiole du Dieu-berger, r’pousse-la, si tu oses !

Saleté de babiole du Dieu-berger, pour sûr. Pourquoi vous reculez, si ça n’est que ça ?

Contre Barlow, il n’avait pas osé relever le défi, et c’est ce qui avait causé sa perte. Au Cochon du Sud, Callahan brandit la croix en face de la chose qui avait eu l’audace de lever la voix.

— Je n’ai pas besoin de mettre ma foi à l’épreuve d’une créature telle que toi, sai, lança-t-il d’une voix claire qui résonna haut et fort dans la pièce.

Il avait contraint ces antiquités à reculer quasiment jusqu’à l’arcade par laquelle elles étaient entrées. De grosses tumeurs sombres étaient apparues sur le visage et les mains de celles situées en première ligne, entamant leur peau de papier comme de l’acide.

— Et de toute manière, jamais je n’abandonnerais une si vieille amie. Mais la repousser ? Si fait, si tu veux.

Et il fit glisser la croix dans l’encolure de sa chemise.

Plusieurs vampires se jetèrent en avant sur-le-champ, leurs bouches jalonnées de crocs s’entrouvrant en ce qui devait ressembler à un sourire de triomphe. Callahan tendit les mains vers eux. Ses doigts (et le canon du Ruger) scintillaient comme s’il les avait trempés dans un feu glacé. Les yeux de la tortue s’étaient eux aussi remplis de lumière ; sa carapace miroitait.

— Ne m’approchez pas ! hurla Callahan. C’est le pouvoir de Dieu et le Blanc qui vous l’ordonnent !

7

Quand ce terrible chamane se tourna vers les Aïeux, Meiman des tahines sentit l’horrible et délicieux glam de la tortue faiblir quelque peu. Il constata que le garçon avait disparu, ce qui le remplit de désarroi, mais du moins s’était-il enfoncé plus avant, au lieu de s’enfuir, aussi tout allait peut-être pour le mieux. Mais si le garçon trouvait la porte vers Fedic et l’empruntait, alors Meiman se retrouverait sans doute en très délicate posture. Car Sayre rendrait compte de la situation à Walter o’Dim, et Walter la rapporterait au Roi Cramoisi en personne.

Peu importait. Chaque chose en son temps. D’abord, régler son compte au chamane, lâcher les Aïeux contre lui. Puis partir à la poursuite du garçon, peut-être lui crier que son ami avait besoin de lui, finalement, ça pourrait marcher…

Meiman (l’Homme Canari, comme l’aurait appelé Mia, ou Titi, pour Jake) rampa jusqu’à Andrew — le gros homme en smoking à revers écossais — et l’empoigna d’une main, de l’autre saisissant sa gueuse, plus grosse encore. Il leur désigna Callahan, qui leur tournait le dos.

Tirana secoua la tête avec véhémence. Meiman ouvrit le bec et lui adressa un sifflement violent. Elle eut un mouvement de recul. Detta Walker avait déjà planté ses doigts dans le masque que portait Tirana, et ses joues et sa mâchoire pendaient en lambeaux. Au milieu de son front, une plaie rouge s’ouvrait et se refermait comme les branchies d’un poisson à l’agonie.

Meiman se tourna vers Andrew, le relâcha le temps de pointer le doigt en direction du chamane, puis fit glisser les serres qui lui servaient de doigts devant les plumes de sa gorge en un geste funeste et explicite. Andrew acquiesça et repoussa vivement les mains potelées de sa femme, qui tentaient de le retenir. L’ignoble en smoking criard rassembla visiblement son courage. Puis il s’élança avec un cri étranglé, saisissant Callahan à la gorge, non pas avec ses mains, mais en le garrottant de ses avant-bras grassouillets. Au même instant, sa gueuse plongea et fit voler la tortue des mains du Père, le tout en hurlant. La sköldpadda roula sur le tapis rouge sombre, rebondit sous l’une des tables et là (comme certain bateau en papier que quelques-uns parmi vous se rappelleront peut-être)[2], sortit de cette histoire pour toujours.

Les Aïeux demeuraient en arrière, tout comme les Type Trois qui dînaient dans la grand-salle, mais les ignobles flairèrent un moment de faiblesse et tentèrent une approche, d’abord furtivement, puis gagnant progressivement en confiance. Ils encerclèrent Callahan, marquèrent un temps d’arrêt, puis fondirent sur lui en nombre.

— Laissez-moi, au nom de Dieu ! s’écria Callahan, ce qui n’eut bien sûr aucun effet.

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2

Dans Ça, autre roman de Stephen King, l’intrigue s’ouvre sur l’image d’un bateau en papier journal dévalant un caniveau débordant d’eau de pluie. Un petit garçon court derrière et se fait massacrer par un clown ignoble dissimulé dans la bouche d’égout dans laquelle disparaît son bateau. (N.d.T.)