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McMurdo se mit à rire.

– La loge a le bras long. Croyez-vous qu'elle ne pourrait pas l'étendre d'ici jusqu'à Philadelphie ou New York?

– Eh bien! dans ce cas, allons dans l'Ouest, ou en Angleterre, ou en Suède. N'importe où, pourvu que nous sortions de cette vallée de la peur.

McMurdo pensa au vieux frère Morris.

– Voilà la deuxième fois que j'entends ce nom, dit-il. L'ombre ne semble pourtant pas peser trop lourdement sur certains habitants de cette vallée.

– Elle obscurcit chaque instant de notre existence. Vous imaginez-vous que Ted Baldwin nous a pardonné? Si ce n'était qu'il vous craint, il nous aurait déjà anéantis. Il me suffit de voir ses yeux noirs de bête affamée quand par hasard il me rencontre!

– Ah! ah! Je lui apprendrai de meilleures manières si je l'y prends. Mais écoutez-moi bien, petite fille: je ne peux pas partir d’ici. Je ne peux pas. Enregistrez cela une fois pour toutes. Mais si vous me laissez choisir ma propre voie, j'essaierai de trouver le moyen d'en sortir honorablement.

– Il n'y a pas d'honneur dans une affaire pareille!

– Mon Dieu, cela dépend du point de vue auquel on se place! Mais si vous me donnez six mois, je m'arrangerai pour partir d'ici sans avoir honte de regarder les autres en face.

– Six mois! s'exclama la jeune fille dans une explosion de joie. C’est une promesse?

– Écoutez: ce sera peut-être sept ou huit. Mais avant un an au maximum, nous aurons quitté la vallée.

– Ettie ne put rien obtenir de plus précis; mais enfin c'était déjà quelque chose: une sorte de phare lointain qui éclairait les ténèbres de l’avenir immédiat. Elle rentra chez son père, plus allègre qu'elle ne l'avait jamais été depuis que Jack McMurdo avait fait irruption dans sa vie.

Il aurait pu penser qu'en tant que membre de la société, tous les agissements de celle-ci lui seraient connus; mais il ne tarda pas à découvrir que l'organisation était beaucoup plus étendue et plus complexe que la simple loge. McGinty lui-même ignorait beaucoup de choses, car il y avait un dignitaire appelé le délégué du district, habitant à Hobson's Patch, au bas de la voie ferrée, qui avait tout pouvoir sur plusieurs loges qu'il régentait d'une façon imprévue et arbitraire. McMurdo ne le vit qu'une fois: il avait l'air d'un petit rat timide à poils gris; il avait une démarche furtive et un regard oblique chargé de malignité. Il s'appelait Evans Pott; devant lui, le grand patron de Vermissa ressentait un peu de la répulsion et de la peur que Robespierre devait inspirer à Danton.

Un jour Scanlan, qui était le camarade de pension de McMurdo, reçut un billet de McGinty accompagnant une lettre d'Evans Pott. Le «grand patron» informait McGinty qu'il lui adressait deux hommes, Lawler et Andrews, munis d'instructions pour agir dans les environs; il lui disait aussi qu'il était préférable pour la cause de ne pas divulguer de détails quant au but de cette mission: il demandait au chef de corps de veiller à ce que ces deux exécutants fussent logés et bien traités jusqu'à l'heure de l'action. McGinty avait ajouté pour Scanlan que personne ne pouvait loger clandestinement à la maison syndicale et qu'il serait obligé à Scanlan et McMurdo d'accueillir chez la veuve MacNamara ces deux nouveaux pensionnaires.

Ils arrivèrent le soir même, chacun muni d'un sac. Lawler avait un certain âge; il avait le visage austère; il était taciturne et réservé; il était habillé d'une vieille redingote noire qui, avec son chapeau mou et sa barbe grisonnante hirsute, lui donnait l'air d'un prédicateur itinérant. Son compagnon, Andrews, n'était pas beaucoup plus qu'un enfant: il avait le visage ouvert et gai, et il ressemblait à un écolier en vacances. Tous deux ne buvaient que de l'eau, et ils se conduisirent en tous points comme des membres exemplaires de la société, à cela près qu'ils étaient l'un comme l'autre assassins patentés. Lawler avait accompli quatorze missions de meurtre, et Andrews trois.

McMurdo découvrit qu'ils ne demandaient pas mieux que de raconter leurs exploits passés; ils le firent avec cette sorte de fierté timide qu'arborent les hommes qui ont rendu de bons et loyaux services à la communauté. Mais ils se montrèrent réticents pour parler de l'affaire en cours.

– On nous a choisis parce que ni moi ni le petit ne buvons d'alcool, expliqua Lawler. On sait que nous n'en dirons jamais plus qu'il ne faut. Vous ne devez pas le prendre en mauvaise part, mais c'est aux ordres du délégué du district que nous obéissons.

– Bien sûr! répondit Scanlan.

– Si vous y tenez, nous pourrons vous raconter l'histoire de la mort de Charlie Williams, ou de Simon Bird. Mais jusqu'à ce que notre travail soit fait, nous n'en parlerons pas.

– Il y a dans les environs une bonne demi-douzaine de types à qui je dirais volontiers deux mots! déclara McMurdo en jurant. Je suppose que ce n'est pas Jack Knox qui est votre cible? J'irais au bout du monde pour le voir recevoir ce qu'il mérite.

– Non. Ce n'est pas lui. Pas encore lui.

– Ou Hermann Strauss?

– Lui non plus.

– Ma foi, si vous ne voulez rien dire, nous ne pouvons pas vous forcer à parler. Mais ça me démange!

Lawler sourit et secoua la tête. Il ne se laissait pas tirer les vers du nez.

En dépit de la réticence de leurs hôtes, Scanlan et McMurdo étaient bien décidés à assister à ce qu'ils appelaient «la bonne blague». Quand un matin très tôt McMurdo les entendit descendre l'escalier à pas feutrés, il réveilla Scanlan et tous deux s'habillèrent rapidement. Quand ils furent prêts, ils trouvèrent la porte ouverte et leurs compagnons disparus. L'aube ne pointait pas encore, mais à la lueur des lampadaires ils les aperçurent dans la rue à quelque distance devant eux. Ils les suivirent prudemment. La neige étouffait le bruit de leurs pas.

La pension de famille était située près de la lisière de la ville; bientôt ils arrivèrent à un carrefour en pleine campagne. Trois hommes attendaient; Lawler et Andrews s'entretinrent quelques instants avec eux, puis tous se mirent en route. Il s'agissait donc d’un travail important qui nécessitait du monde. À cet endroit, plusieurs chemins conduisaient à diverses mines. Les étrangers prirent celui qui menait au Crow Hill, grosse affaire aux mains énergiques et intrépides d'un directeur de la Nouvelle-Angleterre, Josiah Dunn, qui y avait maintenu l'ordre et la discipline malgré la terreur qui régnait dans la vallée.

Le jour se levait maintenant; une file d'ouvriers, isolés ou en groupe, se hâtait sur ce chemin noirci.

McMurdo et Scanlan se mêlèrent à eux, sans perdre de vue les hommes qu'ils suivaient. Une brume épaisse les entourait; un sifflet à vapeur déchira l'air: c'était le signal donné dix minutes avant la descente des cages et le début de la journée de travail.

Quand ils atteignirent l'espace à découvert devant le puits de mine, une centaine de mineurs attendaient en battant la semelle et en soufflant dans leurs doigts; le froid était en effet très vif. Les étrangers formaient un petit groupe dans l'ombre du bâtiment des machines. Scanlan et McMurdo grimpèrent sur un tas de scories, d’où ils pouvaient voir toute la scène. Ils reconnurent l'ingénieur de ma mine, un grand Écossais barbu du nom de Menzies, qui sortait du bâtiment et qui lança un coup de sifflet pour la descente des cages. Au même moment, un grand jeune homme dégingandé au visage, sérieux s'approcha de la fosse. Il aperçut le groupe immobile et silencieux qui se tenait près du bâtiment. Les hommes avaient rabattu leurs chapeaux et relevé leurs cols pour se dissimuler le visage. Pendant quelques instants, le pressentiment de la mort dut glacer le cœur du directeur. Mais il l'écarta et ne songea plus qu'à accomplir son devoir à l'égard d'intrus suspects.