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Je ne l’écoute plus. Je fais signe au loufiat pour douiller l’orgie du bonhomme et je me lève sans m’occuper de la vieille ganache. Avant de sortir, il me vient une petite idée. Les idées poussent dans mon bocal comme la pénicilline sur les champignons pourris.

Je descends au sous-sol afin d’interviewer la préposée aux téléphone-lavatory.

Car ma petite idée m’en provoque une plus importante. C’est comme ça que les grandes inventions ont été faites. La gamberge en chaîne. Ça commence par des flageolets et ça finit par Hiro-shima !

CHAPITRE XIV

Dans lequel, après m’être mis le doigt dans l’œil, je le colle dans celui de la vérité

La dame des lavabos a fait une brillante carrière dans les chasses d’eau et elle la termine, non moins brillamment, en composant des numéros de bigophone à une cohorte de gens pressés qui pensent avoir des choses essentielles et tarifées à dire à d’autres bipèdes aussi glands qu’eux !

Elle tricote son huit cent soixante-douzième pull-over (un pull-over avec cotte de mailles, maille à partir et poche revolver extensible).

Je m’approche d’elle.

— Un instant, murmure-t-elle en me désignant une cabine, à travers la vitre de laquelle on aperçoit le dos d’un monsieur.

Le quidam a une voix qui conviendrait admirablement à un commissaire-priseur : puissante, persuasive et marquée d’inflexions spirituelles.

Il est en train d’utiliser ce bel organe pour raconter à une dame que, pour la bonne règle, je subodore être la sienne, le menu qu’il s’est cogné ce soir au banquet des nouveaux anciens futurs combattants du treizième zouave et du quatorzième arrondissement réunis.

— Y avait : cymballe de fruits de mer ; tournedos Charpini (un splendide morceau dans la culotte, précise-t-il) ; Port-Salubre ; et omelette norvégienne, importée directement du Brésil.

La tripoteuse de cadran écoute religieusement l’énoncé de ce menu pantagruélique en salivant sur son pull-over.

Enfin, l’homme dont la digestion doit s’avérer laborieuse quitte la cabine et s’élance dans l’escalier.

— Quel numéro demandez-vous ? me fait l’aimable personne.

Je lui montre ma carte. Elle la prend, distraite, lit le numéro d’immatriculation qui y figure et murmure :

— Je ne vois pas le central.

— Le central, c’est Police, fais-je.

Elle pouffe.

— Suis-je linotte !

Puis réalisant :

— Vous avez des ennuis ? me demande-t-elle.

— Non : j’en fais aux autres !

Nous rions de conserve, ce qui est préférable à se nourrir de conserves.

— Chère madame, je vois à votre œil malicieux que rien ne vous échappe. C’est pourquoi je me permettrai de vous poser quelques menues questions auxquelles vous ferez, j’en suis certain, de pertinentes réponses.

L’ayant de la sorte amorcée, il ne me reste plus qu’à faire tremper mon asticot.

— Je suis à votre disposition, dit-elle très simplement en caressant sa moustache.

— Eh bien voilà ! Dans la soirée, une jeune fille est venue téléphoner… Elle vous a demandé Kléber 03–11…

Je lui décris Josée. Mais le numéro de tube a suffi à cette personne expérimentée.

— Je vois, je vois, affirme-t-elle.

— Fort bien. Je me rends compte que, de votre chaise, vous entendez toutes les conversations…

Elle se rembrunit, ce qui est une sage précaution car elle commence à grisonner.

— Oh ! vous savez…

Je calme ses scrupules d’un geste olympien.

— Ne vous excusez pas ; ce n’est pas votre faute si les cabines ne sont pas insonorisées et si le Créateur, dans son infinie bonté, a doté vos ravissantes oreilles de deux tympans dernier modèle.

Elle se trémousse.

— Vous êtes amusant !

— J’ai été clown dans une vie antérieure…

— En somme, vous aimeriez savoir ce que la jeune fille a dit à Kléber ?

— Très exactement, oui !

Voilà Mme Necoupezpas qui se concentre comme une tomate chez Olida.

On entend craquer l’armature de sa coupole.

— Elle a demandé une dame qu’avait un nom rigolo, récite-t-elle, le masque marqué par l’effort.

— Bisemont ?

— C’est ça !

— Alors ?

— On a dû lui dire que la personne que vous causez n’était pas là car elle a fait comme ça : « Et monsieur, il est là ? » On a dû lui répondre oui. « Passez-le-moi », qu’a dit la jeune fille.

— Alors ?

Elle lève sur moi son beau regard éploré.

— Je n’ai pas entendu la suite. Y a un Anglais qu’est venu me demander s’il pouvait téléphoner à London. Il causait mal français et je m’en suis vu comme quatre pour lui expliquer qu’on avait l’urbain, le régional, mais pas l’international… Quand l’Anglais est parti, la demoiselle est sortie de la cabine.

Je me dis que le sort qui avait l’air de me faire une fleur s’est montré chichois en fin de parcours. Dommage que cet Anglais soit venu nous refaire Trafalgar ! Vous parlez d’une crèpe !

— Je suis navrée ! s’excuse la dame.

Là-dessus, descente de Pinaud qui vient libérer son organisme surmené.

— T’es en train de flirter ! bavoche-t-il, en me voyant en communication avec la téléphoniste.

Il rit comme un fromage entamé et pénètre dans un box où un architecte prévoyant a placé une compatissante sébile de porcelaine.

Tout en accomplissant son destin d’homme, Pinaud me révèle sa façon de penser.

— Vois-tu, San-A., la fille, on n’aura pas de mal à la retrouver… Ce soir, un type est venu lui apporter du flouze. Quand il a été barré, elle a mis les voiles… Si tu veux me croire, elle a couru à une gare… Elle…

Je l’interromps.

— Ferme ça, Pinuche !

— Mais…

Je me tourne vers la dame.

— Avez-vous une feuille blanche et une enveloppe ?

— Mais certainement.

Elle ouvre son tiroir.

— Une carte-lettre, ça vous va ?

— À merveille.

Je m’empare de la feuille cernée de papier gommé. Puis j’hésite sur le texte à lui confier. La dame des gogues se lève, et va décrocher son manteau…

— La journée est finie ? je demande.

— Pas trop tôt : il est deux heures !

Tandis qu’elle se fringue, je la contemple d’un œil songeur.

— Dites-moi, chère amie…

J’ai droit à son sourire polisson.

— Oui ?

— Si je vous demandais une heure pour m’aider à démasquer un assassin, que répondriez-vous ?

Elle devient grave.

— Vous plaisantez, je pense.

— Non. Le temps presse. Je sens que je peux, cette nuit, conclure une affaire difficile. Si je n’aboutis pas avant le jour, elle va traîner en longueur… Le criminel saura s’organiser…

— Pourquoi me dites-vous ça à moi ?

— Parce que j’ai besoin d’une femme et que je n’en ai pas d’autres sous la main. Je puis vous affirmer que vous ne courez aucun danger. Si ça réussit, demain il y aura votre photographie à la une dans les journaux !

C’est l’argument qui emporte le morcif. Elle se voit arrachée par la gloire du lieu d’aisance où elle s’étiole.

— Bon… De toute façon, mon mari dort, soupire-t-elle avec regret.

Je comprends que, depuis belle lurette, le monsieur ne s’éveille plus lorsque sa bergère rentre.

— Merci, vous êtes un ange…

Je me fends d’un billet de cinq raides qui va encore faire bramer ceux qui épluchent mes notes de frais.