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— Il doit y avoir une bonne raison, Marcus. Vous savez, Perry croit beaucoup en vous. Il dit que vous êtes quelqu’un d’exceptionnel. Ça fait trente ans que je le connais et il n’a jamais utilisé ce terme pour personne. Je suis certaine que vous n’avez pas fait n’importe quoi et qu’il y a une explication rationnelle à toute cette affaire.

Cette nuit-là, Gahalowood et moi restâmes enfermés pendant de longues heures dans son bureau, à étudier le manuscrit que Harry m’avait laissé. C’est ainsi que je découvris ce roman inédit, Les Mouettes d’Aurora, un roman magnifique au travers duquel Harry racontait son histoire avec Nola. Il n’y avait aucune date mais j’estimais qu’il avait dû être écrit postérieurement aux Origines du mal. Car si au travers de ce dernier, il racontait l’amour impossible qui ne se concrétisait jamais, dans Les Mouettes d’Aurora, il racontait comment Nola l’avait inspiré, comment elle n’avait jamais cessé de croire en lui et l’avait encouragé, faisant de lui le grand écrivain qu’il était devenu. Mais à la fin de ce roman, Nola ne meurt pas : quelques mois après son succès, le personnage central, prénommé Harry, fortune faite, disparaît et s’en va au Canada où, dans une jolie maison au bord d’un lac, Nola l’attend.

Sur le coup des deux heures du matin, Gahalowood nous fit du café et me demanda :

— Mais au fond, qu’est-ce qu’il essaie de nous dire avec son bouquin ?

— Il imagine sa vie si Nola n’était pas morte, dis-je. Ce livre, c’est le paradis des écrivains.

— Le paradis des écrivains ? Qu’est-ce que c’est ?

— C’est lorsque le pouvoir d’écrire se retourne contre vous. Vous ne savez plus si vos personnages n’existent que dans votre tête ou s’ils vivent réellement.

— Et en quoi ça nous aide ?

— Je n’en sais rien. Rien du tout. C’est un très bon livre, et il ne l’a jamais publié. Pourquoi l’avoir gardé au fond d’un tiroir ?

Gahalowood haussa les épaules.

— Peut-être qu’il n’a pas osé le faire publier parce qu’il y parlait d’une fille disparue, dit-il.

— Peut-être. Mais dans Les Origines du mal, il parlait aussi de Nola et ça ne l’a pas empêché de le proposer à des éditeurs. Et pourquoi m’écrit-il : ce livre, c’est la vérité ? La vérité à propos de quoi ? De Nola ? Que veut-il dire ? Que Nola ne serait jamais morte et qu’elle vit dans une cabane en bois ?

— Ça n’aurait aucun sens, jugea Gahalowood. Les analyses étaient formelles : c’est bien son squelette qu’on a retrouvé.

— Alors quoi ?

— Alors on n’est pas beaucoup plus avancés, l’écrivain.

Dans la matinée du lendemain, Denise me téléphona pour m’informer qu’une femme avait appelé chez Schmid & Hanson et qu’on l’avait dirigée vers elle.

— Elle voulait vous parler, m’expliqua Denise, elle a dit que c’était important.

— Important ? C’était à propos de quoi ?

— Elle dit qu’elle était à l’école avec Nola Kellergan, à Aurora. Et que Nola lui parlait de sa mère.

*

Cambridge, Massachusetts, samedi 25 octobre 2008

Elle figurait dans le yearbook de l’année 1975 du lycée d’Aurora, sous le nom de Stefanie Hendorf ; on la trouvait deux photographies avant celle de Nola. Elle faisait partie de ceux dont Erne Pinkas n’avait pas retrouvé la trace. Pour avoir épousé un Polonais d’origine, elle s’appelait désormais Stefanie Larjinjiak et vivait dans une maison cossue de Cambridge, la banlieue chic de Boston. C’est là que Gahalowood et moi la rencontrâmes. Elle avait quarante-huit ans, l’âge qu’aurait dû avoir Nola. C’était une belle femme, mariée deux fois, mère de trois enfants, qui avait enseigné l’histoire de l’art à Harvard et qui s’occupait désormais de sa propre galerie de peinture. Elle avait grandi à Aurora, elle avait été en classe avec Nola, Nancy Hattaway et quelques autres que j’avais rencontrées au cours de mon enquête. En l’entendant revenir sur sa vie passée, je me dis qu’elle était une survivante. Qu’il y avait Nola, assassinée à l’âge de quinze ans, et qu’il y avait Stefanie, qui avait eu le droit de vivre, d’ouvrir une galerie de peinture et même de se marier deux fois.

Sur la table basse de son salon, elle avait étalé quelques photos retrouvées de sa jeunesse.

— Je suis l’affaire depuis le début, nous expliqua-t-elle. Je me rappelle du jour où Nola a disparu, je me souviens de tout, comme toutes les filles de mon âge qui vivaient à Aurora à cette époque, j’imagine. Alors, quand ils ont retrouvé son corps et que Harry Quebert a été arrêté, je me suis évidemment sentie très concernée. Quelle affaire… J’ai beaucoup aimé votre livre, Monsieur Goldman. Vous y racontez tellement bien Nola. Grâce à vous, je l’ai un peu retrouvée. C’est vrai qu’ils vont faire un film ?

— La Warner Bros veut acheter les droits, répondis-je.

Elle nous montra les photos : une fête d’anniversaire à laquelle Nola participait également. C’était l’année 1973. Elle reprit :

— Nola et moi, nous étions très proches. C’était une fille adorable. Tout le monde l’aimait à Aurora. Sans doute parce que les gens étaient touchés par l’image qu’elle et son père renvoyaient : le gentil pasteur veuf et sa fille dévouée, toujours souriants, jamais à se plaindre. Je me rappelle que lorsque je faisais des caprices, il arrivait à ma mère de me dire : « Prends exemple sur la petite Nola ! La pauvre, le Bon Dieu lui a repris sa mère, et pourtant elle est toujours aimable et reconnaissante. »

— Bon sang, dis-je, comment n’ai-je pas compris que sa mère était morte ? Et vous dites que vous avez aimé le livre ? Vous avez surtout dû vous demander quel genre d’écrivain de pacotille j’étais !

— Mais pas du tout. Au contraire justement ! J’ai même pensé que c’était voulu de votre part. Parce que j’ai vécu ça avec Nola.

— Comment ça, vous avez vécu ça ?

— Un jour, il s’est passé quelque chose de très étrange. Un événement qui m’a conduite à m’éloigner de Nola.

*

Mars 1973

Les parents Hendorf tenaient le magasin général de la rue principale. Parfois, après l’école, Stefanie y emmenait Nola et, en cachette, elles allaient se gaver de bonbons dans la réserve. C’est ce qu’elles firent cet après-midi-là : cachées derrière des sacs de farine, elles avalèrent des fruits en gomme jusqu’à en avoir mal au ventre et elles riaient, la main sur la bouche pour qu’on ne les entende pas. Mais soudain, Stefanie remarqua que quelque chose n’allait pas chez Nola. Son regard avait changé, elle n’écoutait plus.

— Nol’, ça va ? demanda Stefanie.

Aucune réponse. Stefanie répéta sa question et finalement, Nola lui dit :

— Je… je… dois rentrer.

— Déjà ? Mais pourquoi ?

— Maman veut que je rentre.

Stefanie crut mal comprendre.

— Hein ? Ta mère ?

Nola se leva, paniquée. Elle répéta :

— Je dois partir !

— Mais… Nola ! Ta mère est morte !

Nola se dirigea précipitamment vers la porte de la réserve, et comme Stefanie essayait de la retenir par le bras, elle fit volte-face et l’agrippa par sa robe.

— Ma mère ! hurla-t-elle, terrifiée. Tu ne sais pas ce qu’elle va me faire ! Quand je suis méchante, je suis punie !

Et elle s’enfuit en courant.