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— Vous avez battu la petite ? explosa Gahalowood.

— Non, pas la petite : le Malin !

— Vous êtes fou, Lewis !

— Nous devions la délivrer ! Et nous pensions que nous y étions parvenus. Mais Nola s’est mise à avoir des sortes de crises. Elle et son père sont restés chez nous quelque temps et la petite est devenue incontrôlable. Elle s’est mise à voir sa mère.

— Vous voulez dire que Nola avait des hallucinations ? demanda Gahalowood.

— Pire : elle a commencé à développer une espèce de dédoublement de personnalité. Il lui arrivait de devenir sa propre mère, et elle se punissait pour ce qu’elle avait fait. Un jour, je l’ai trouvée en train de hurler dans la salle de bains. Elle avait rempli la baignoire et se tenait d’une main fermement par les cheveux et se forçait à plonger la tête dans l’eau glacée. Ça ne pouvait plus continuer ainsi. Alors David a décidé de s’enfuir loin. Très loin. Il a dit qu’il devait quitter Jackson, quitter l’Alabama, que l’éloignement et le temps aideraient certainement Nola à aller mieux. À ce moment, j’avais entendu dire que la paroisse d’Aurora se cherchait un nouveau pasteur, et il n’a pas hésité une seconde. C’est ainsi qu’il est parti se terrer à l’autre bout du pays, dans le New Hampshire.

3.

Election Day

“Votre vie sera ponctuée de grands événements. Mentionnez-les dans vos livres, Marcus. Car s’ils devaient s’avérer très mauvais, ils auront au moins le mérite de consigner quelques pages d’Histoire.”

Extrait de l’édition du Concord Herald du 5 novembre 2008

BARACK OBAMA ÉLU 44e PRÉSIDENT
DES ÉTATS-UNIS

Le candidat démocrate Barack Obama remporte l’élection présidentielle face au républicain McCain et devient le 44e Président des États-Unis. Le New Hampshire, qui avait donné la victoire à George W Bush en 2004, est revenu dans le camp démocrate […]

5 novembre 2008

Au lendemain de l’élection, New York était en liesse. Dans les rues, les gens avaient célébré la victoire démocrate jusque tard dans la nuit, comme pour chasser les démons du dernier double mandat. Pour ma part, je n’avais participé à la ferveur populaire qu’à travers le poste de télévision de mon bureau, dans lequel j’étais enfermé depuis trois jours.

Ce matin-là, Denise arriva à huit heures au bureau avec un pull Obama, une tasse Obama, un badge Obama et un paquet d’autocollants Obama. « Oh, vous êtes déjà là, Marcus, me dit-elle en passant la porte d’entrée et en voyant que tout était allumé. Vous étiez dehors hier soir ? Quelle victoire ! Je vous ai apporté des autocollants pour votre voiture. » Tout en parlant, elle déposa ses affaires sur sa table, alluma la machine à café et débrancha le répondeur, puis elle pénétra dans mon bureau. En voyant l’état de la pièce, elle ouvrit de grands yeux et s’écria :

— Marcus, au nom du Ciel, que s’est-il passé ici ?

J’étais assis sur mon fauteuil et je contemplais l’un des murs que j’avais passé une partie de la nuit à détapisser avec mes notes et les schémas de l’enquête. Je m’étais repassé en boucle les enregistrements de Harry, de Nancy Hattaway, de Robert Quinn.

— Il y a quelque chose dans cette affaire que je ne comprends pas, dis-je. C’est en train de me rendre fou.

— Vous avez passé la nuit ici ?

— Oui.

— Oh, Marcus, et moi qui pensais que vous étiez dehors, à vous amuser un peu. Ça fait si longtemps que vous ne vous êtes pas amusé. C’est votre roman qui vous tracasse ?

— C’est ce que j’ai découvert la semaine dernière qui me tracasse.

— Qu’avez-vous découvert ?

— Justement, je n’en suis pas sûr. Que doit-on faire lorsqu’on réalise qu’une personne que vous avez toujours admirée et prise en exemple vous a trahi et vous a menti ?

Elle eut un instant de réflexion puis elle me dit :

— Ça m’est arrivé. Avec mon premier mari. Je l’ai retrouvé dans un lit avec ma meilleure amie.

— Et qu’avez-vous fait ?

— Rien. Je n’ai rien dit. Je n’ai rien fait. C’était dans les Hamptons, on était partis pour le week-end avec ma meilleure amie et son mari, dans un hôtel du bord de l’océan. Le samedi, en fin de journée, je suis allée me promener le long de l’océan. Toute seule, parce que mon mari m’avait dit qu’il était fatigué. Je suis revenue beaucoup plus tôt que prévu. Se promener toute seule n’était pas si amusant finalement. Je suis retournée à ma chambre, j’ai ouvert la porte avec la clé magnétique et là, je les ai vus, dans le lit. Lui étalé sur elle, sur ma meilleure amie. C’est fou, avec ces clés magnétiques, vous pouvez entrer dans les chambres sans faire le moindre bruit. Ils ne m’ont ni vue, ni entendue. Je les ai regardés quelques instants, j’ai regardé mon mari se secouer dans tous les sens pour la faire gémir comme un petit chien, puis je suis ressortie de la pièce sans faire de bruit, je suis allée vomir dans les toilettes de la réception et je suis repartie me promener. Je suis rentrée une heure plus tard : mon mari était au bar de l’hôtel en train de boire un gin et de rire avec le mari de ma meilleure amie. Je n’ai rien dit. On a tous dîné ensemble. J’ai fait comme si de rien n’était. Le soir, il s’est endormi comme une masse, il m’a dit que ne rien faire, ça l’épuisait. Je n’ai rien dit. Je n’ai rien dit pendant six mois.

— Et finalement, vous avez demandé le divorce…

— Non. Il m’a quittée pour elle.

— Vous regrettez de ne pas avoir agi ?

— Tous les jours.

— Donc je devrais agir. C’est ce que vous essayez de me dire ?

— Oui. Agissez, Marcus. Ne soyez pas une pauvre gourde trompée de mon espèce.

Je souris.

— Vous êtes tout, sauf une gourde, Denise.

— Marcus, que s’est-il passé la semaine dernière ? Qu’avez-vous découvert ?

*

5 jours plus tôt

Le 31 octobre, le professeur Gideon Alkanor, l’un des grands spécialistes en pédopsychiatrie de la côte Est et que Gahalowood connaissait bien, confirma ce qui était désormais une évidence : Nola souffrait de troubles psychiatriques importants.

Le lendemain de notre retour de Jackson, Gahalowood et moi descendîmes en voiture jusqu’à Boston, où Alkanor nous reçut dans son bureau du Children’s Hospital. Sur la base des éléments qui lui avaient préalablement été transmis, il considéra que l’on pouvait établir un diagnostic de psychose infantile.

— En gros, qu’est-ce que ça veut dire ? trépigna Gahalowood.

Alkanor retira ses lunettes et en nettoya les verres lentement, comme pour réfléchir à ce qu’il allait dire. Il finit par se tourner vers moi :

— Ça veut dire que je crois que vous avez raison, Monsieur Goldman. J’ai lu votre livre, il y a quelques semaines. À la lumière de ce que vous décrivez et des éléments que m’a rapportés Perry, je dirais que Nola perdait parfois pied avec la réalité. C’est probablement dans un de ces moments de crise, qu’elle a mis le feu à la chambre de sa mère. Cette nuit du 30 août 1969, Nola voit son rapport à la réalité faussé : elle veut tuer sa mère mais à ce moment précis, pour elle tuer ne signifie rien. Elle accomplit un geste dont elle n’a pas conscience de la portée. À ce premier épisode traumatique, s’ajoute ensuite celui de l’exorcisme dont le souvenir pouvait parfaitement être le déclencheur de crises de dédoublement de personnalité où Nola devient la mère qu’elle a elle-même tuée. Et c’est là que tout se complique : lorsque Nola perdait pied avec la réalité, le souvenir de la mère et de son acte venait la hanter.