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Je restai stupéfait un instant.

— Alors vous voulez dire que…

Alkanor acquiesça de la tête avant que je n’aie pu finir ma phrase et dit :

— Nola se battait elle-même lors de moments de décompensation.

— Mais qu’est-ce qui peut produire ces crises ? demanda Gahalowood.

— Probablement des variations émotionnelles importantes : un épisode de stress, une grande tristesse. Ce que vous décrivez dans votre livre, Monsieur Goldman : la rencontre avec Harry Quebert, dont elle tombe éperdument amoureuse, puis le rejet par celui-ci, qui la pousse même à essayer de se suicider. On est dans un schéma presque « classique », je dirais. Lorsque les émotions s’emballent, elle décompense. Et lorsqu’elle décompense, elle voit arriver sa mère, qui vient la punir de ce qu’elle lui a fait.

Pendant toutes ces années, Nola et sa mère n’avaient fait qu’un. Il nous en fallait la confirmation par le père Kellergan et le samedi 1er novembre 2008, nous nous rendîmes en délégation au 245 Terrace Avenue : il y avait Gahalowood, moi, et Travis Dawn, que nous avions informé de ce que nous avions appris en Alabama et dont Gahalowood avait demandé la présence pour rassurer David Kellergan.

Lorsque ce dernier nous trouva devant sa porte, il déclara d’emblée :

— Je n’ai rien à vous dire. Ni à vous, ni à personne.

— C’est moi qui ai des choses à vous dire, expliqua calmement Gahalowood. Je sais ce qui s’est passé en Alabama en mars 1969. Je sais pour l’incendie, je sais tout.

— Vous ne savez rien.

— Tu devrais les écouter, dit Travis. Laisse-nous donc entrer, David. Nous serions mieux à l’intérieur pour discuter.

David Kellergan finit par céder ; il nous fit entrer et nous guida vers la cuisine. Il se servit une tasse de café, ne nous en proposa pas et s’assit à la table. Gahalowood et Travis s’installèrent face à lui et je restai debout, en retrait.

— Alors quoi ? demanda Kellergan.

— Je suis allé à Jackson, répondit Gahalowood. J’ai parlé au pasteur Jeremy Lewis. Je sais ce qu’a fait Nola.

— Taisez-vous !

— Elle souffrait de psychose infantile. Elle était sujette à des crises de schizophrénie. Le 30 août 1969, elle a mis le feu à la chambre de sa mère.

— Non ! hurla David Kellergan. Vous mentez !

— Ce soir-là, vous avez trouvé Nola qui chantait sous le porche. Vous avez fini par comprendre ce qui s’était passé. Et vous l’avez exorcisée. En pensant lui faire du bien. Mais ça a été une catastrophe. Elle s’est mise à être sujette à des épisodes de dédoublement de personnalité pendant lesquels elle essayait de se punir elle-même. Alors vous avez fui loin de l’Alabama, vous avez traversé le pays en espérant laisser les fantômes derrière vous, mais le fantôme de votre femme vous a poursuivi parce qu’elle existait toujours dans la tête de Nola.

Une larme roula sur sa joue.

— Elle avait parfois des crises, s’étrangla-t-il. Je ne pouvais rien faire. Elle se battait elle-même. Elle était la fille et la mère. Elle se donnait des coups, puis elle se suppliait elle-même d’arrêter.

— Alors vous mettiez la musique et vous vous enfermiez dans le garage, parce que c’était insupportable.

— Oui ! Oui ! Insupportable ! Mais je ne savais que faire. Ma fille, ma fille chérie, elle était tellement malade.

Il se mit à sangloter. Travis le regardait, épouvanté par ce qu’il était en train de découvrir.

— Pourquoi ne pas l’avoir fait soigner ? demanda Gahalowood.

— J’avais peur qu’on me l’enlève. Qu’on l’enferme ! Et puis avec le temps, les crises s’espaçaient. Il me sembla même, durant quelques années, que le souvenir de l’incendie s’estompait et j’ai même été jusqu’à penser que ces épisodes disparaîtraient complètement. C’est allé de mieux en mieux. Jusqu’à l’été 1975. Soudain, sans que je comprenne pourquoi, elle a été de nouveau sujette à des séries de crises violentes.

— À cause de Harry, dit Gahalowood. La rencontre avec Harry a été un trop-plein d’émotions pour elle.

— Ce fut un été épouvantable, dit le père Kellergan. Je sentais venir les crises. Je pouvais presque les prédire. C’était atroce. Elle s’infligeait des coups de règle sur les doigts et sur les seins. Elle remplissait un bac d’eau et plongeait la tête dedans, en suppliant sa mère d’arrêter. Et sa mère, par sa propre voix, la traitait de tous les noms.

— Ces noyades, c’est ce que vous lui aviez vous-même fait subir ?

— Jeremy Lewis jurait qu’il n’y avait que ça à faire ! On m’avait dit que Lewis se prétendait exorciste, mais nous n’en avions jamais parlé ensemble. Et puis soudain, le voilà qui décrète que le Malin avait pris possession du corps de Nola et qu’il fallait l’en délivrer. J’ai accepté uniquement pour qu’il ne dénonce pas Nola à la police. Jeremy était complètement fou, mais qu’aurais-je pu faire d’autre ? Je n’avais pas le choix… Ils mettent les enfants en prison dans ce pays !

— Et les fugues ? demanda Gahalowood.

— Il lui est arrivé de fuguer. Une fois, pendant toute une semaine. Je me rappelle, c’était à la toute fin juillet 1975. Que devais-je faire ? Appeler la police ? Pour leur dire quoi ? Que ma fille sombrait dans la folie ? Je m’étais dit que j’attendrais la fin de la semaine avant de donner l’alerte. J’ai passé une semaine à la chercher partout, nuit et jour. Et puis elle est revenue.

— Et le 30 août, que s’est-il passé ?

— Elle a eu une crise très violente. Je ne l’avais jamais vue dans un tel état. J’ai essayé de la calmer, mais rien n’y faisait. Alors je suis allé me terrer dans le garage pour réparer cette maudite moto. J’ai mis la musique le plus fort possible. Je suis resté caché une bonne partie de l’après-midi. La suite, vous la connaissez : lorsque je suis allé la voir, elle n’était plus là. Je suis d’abord sorti faire le tour du quartier, et j’ai entendu dire qu’une fille avait été vue en sang à proximité de Side Creek. J’ai compris que la situation était grave.

— À quoi avez-vous pensé ?

— Pour être honnête, j’ai d’abord pensé que Nola s’était enfuie de la maison et qu’elle portait les stigmates de ce qu’elle venait de se faire subir à elle-même. Je pensais que Deborah Cooper avait peut-être vu Nola en pleine crise. Après tout, c’était le 30 août, la date de l’incendie de notre maison de Jackson.

— Avait-elle déjà eu des épisodes violents à cette même date ?

— Non.

— Alors, qu’est-ce qui aurait pu déclencher une pareille crise ?

David Kellergan hésita un instant avant de répondre. Travis Dawn comprit qu’il fallait l’inciter à parler.

— Si tu sais quelque chose, David, tu dois nous le dire. C’est très important. Fais-le pour Nola.

— Lorsque je suis entré dans sa chambre, ce jour-là, et qu’elle n’y était pas, j’ai trouvé une enveloppe décachetée sur son lit. Une enveloppe à son nom. Elle contenait une lettre. Je pense que c’est cette lettre qui a provoqué la crise. C’était une lettre de rupture.

— Une lettre ? Mais tu ne nous as jamais parlé de cette lettre ! s’exclama Travis.

— Parce que c’était une lettre écrite par un homme dont l’écriture indiquait qu’il n’était visiblement pas en âge de vivre une histoire d’amour avec ma fille. Que voulais-tu ? Que toute la ville pense que Nola était une traînée ? À ce moment-là, j’étais certain que la police la retrouverait et la ramènerait à la maison. Alors je l’aurais fait soigner pour de bon ! Pour de bon !