Выбрать главу

J’eus une moue et je lui dis :

— Je ne suis pas convaincu, Roy. J’aimerais avoir le temps de creuser encore.

— Mais vous n’êtes jamais convaincu, mon pauvre vieux ! Nous n’avons pas le temps de « creuser » comme vous dites. Vous êtes un poète, vous pensez que le temps qui passe a un sens, mais le temps qui passe, c’est soit de l’argent qu’on gagne, soit de l’argent qu’on perd. Et je suis un fervent partisan de la première solution. Néanmoins, vous êtes peut-être au courant, mais nous avons depuis hier un nouveau Président, beau, noir et très populaire. D’après mes calculs, on va entendre parler de lui à toutes les sauces pendant une bonne semaine. Une semaine où il n’y aura de la place que pour lui. Inutile donc que nous communiquions avec les médias durant cette période, nous n’aurions droit, au mieux, qu’à un entrefilet dans la rubrique des chiens écrasés. Je ne contacterai donc la presse que dans une semaine, ce qui vous laisse un peu de temps. À moins évidemment qu’une équipe de Sudistes à chapeaux pointus ne zigouille notre nouveau Président, ce qui nous empêcherait d’avoir la une pour un bon mois. Ça oui, un bon mois. Imaginez le désastre : dans un mois c’est la période de Noël, et là, plus personne ne prêterait attention à nos histoires. Dans une semaine donc, on diffuse l’histoire de psychose infantile. Suppléments dans les journaux, et tout le tralala. Si j’avais plus de marge, je ferais éditer en urgence un petit livre pour les parents. Du genre : Dépister la psychose infantile ou comment éviter que votre enfant soit la nouvelle Nola Kellergan et ne vous brûle vif durant votre sommeil. Ça pourrait marcher du tonnerre. Mais bref, on n’a pas le temps.

Je n’avais qu’une semaine avant que Barnaski ne déballe tout. Une semaine pour comprendre ce qui m’échappait encore. Il s’écoula alors quatre jours ; quatre jours stériles. Je téléphonais sans cesse à Gahalowood, qui ne pouvait que s’avouer vaincu. L’enquête était dans une impasse, et il n’avançait pas. Puis, dans la nuit du cinquième jour, un événement allait changer le cours de l’enquête. C’était le 10 novembre, peu après minuit. Au hasard d’une patrouille, l’agent de la police de l’autoroute Dean Forsyth prit en chasse une voiture sur la route Montbury-Aurora, après avoir constaté qu’elle avait brûlé un stop et qu’elle roulait au-dessus de la vitesse autorisée. Ç’aurait pu être une banale contravention si le comportement du conducteur du véhicule, qui semblait agité et transpirait abondamment, n’avait pas intrigué le policier.

— D’où venez-vous, Monsieur ? avait demandé l’officier Forsyth.

— Montburry.

— Que faisiez-vous là-bas ?

— J’étais… j’étais chez des amis.

— Leurs noms ?

L’hésitation et la lueur de panique qu’il décela dans le regard du conducteur intriguèrent plus encore l’officier Forsyth. Il braqua sa lampe de poche sur le visage de l’homme et remarqua une griffure sur sa joue.

— Que vous est-il arrivé au visage ?

— La branche basse d’un arbre que je n’avais pas vue.

L’officier n’était pas convaincu.

— Pourquoi rouliez-vous si vite ?

— Je… Je le regrette. J’étais pressé. Vous avez raison, je n’aurais pas dû.

— Avez-vous bu, Monsieur ?

— Non.

Le contrôle éthylométrique indiqua que l’homme n’avait effectivement pas consommé d’alcool. Le véhicule était en règle et, en balayant l’intérieur du faisceau de sa lampe de poche, l’agent ne vit aucune boîte de médicaments vide ou autres emballages qui jonchaient en général les banquettes arrière des voitures de toxicomanes. Pourtant, il avait une intuition : quelque chose lui faisait penser que cet homme était beaucoup trop agité et calme à la fois pour ne pas enquêter davantage. Il remarqua soudain ce qui lui avait échappé : ses mains étaient sales, ses chaussures couvertes de boue et ses pantalons trempés.

— Sortez de votre véhicule, Monsieur, intima Forsyth.

— Pourquoi ? Hein ? Hein ? balbutia le conducteur.

— Obéissez et sortez de votre véhicule.

L’homme tergiversa, et l’officier Forsyth, agacé, décida de le sortir de force et de procéder à son arrestation pour refus d’obtempérer. Il le conduisit à la station centrale de police du comté, où il se chargea lui-même de la prise des photos réglementaires, puis du relevé électronique des empreintes digitales. L’information qui s’afficha alors sur l’écran de son ordinateur le laissa perplexe un instant. Puis, bien qu’il soit une heure trente du matin, il décrocha son téléphone, considérant que la découverte qu’il venait de faire était suffisamment importante pour qu’il sorte de son lit le sergent Perry Gahalowood, de la brigade criminelle de la police d’État.

Trois heures plus tard, aux environs de quatre heures trente du matin, je fus réveillé à mon tour par un coup de téléphone.

— L’écrivain ? C’est Gahalowood à l’appareil. Où êtes-vous ?

— Sergent ? répondis-je à moitié comateux. Je suis dans mon lit, à New York, où voulez-vous que je sois ? Que se passe-t-il ?

— Nous avons notre oiseau, dit-il.

— Je vous demande pardon ?

— L’incendiaire de la maison de Harry… Nous l’avons arrêté cette nuit.

— Quoi ?

— Vous êtes assis ?

— Je suis même couché.

— Tant mieux. Parce que ça va vous faire un choc.

2.

Fin de partie

“Parfois le découragement vous gagnera, Marcus. C’est normal. Je vous disais qu’écrire c’est comme boxer, mais c’est aussi comme courir. C’est pour ça que je vous envoie tout le temps battre le pavé : si vous avez la force morale d’accomplir les longues courses, sous la pluie, dans le froid, si vous avez la force de continuer jusqu’au bout, d’y mettre toutes vos forces, tout votre cœur, et d’arriver à votre but, alors vous serez capable d’écrire. Ne laissez jamais la fatigue ni la peur vous en empêcher. Au contraire, utilisez-les pour avancer.”

Je pris un vol pour Concord le matin même, complètement sonné par ce que je venais d’apprendre. J’atterris à treize heures, et une demi-heure plus tard, un taxi me déposait devant le quartier général de la police. Gahalowood vint me chercher à la réception.

— Robert Quinn ! m’exclamai-je en le voyant, comme si je n’y croyais toujours pas. Alors c’est Robert Quinn qui a mis le feu à la maison ? C’est donc lui qui m’aurait envoyé ces messages ?

— Oui, l’écrivain. C’étaient ses empreintes sur le bidon d’essence.

— Mais pourquoi ?

— Si je le savais. Il n’a pas ouvert la bouche. Il refuse de parler.

Gahalowood me conduisit dans son bureau et m’offrit du café. Il m’expliqua que la brigade criminelle avait perquisitionné la maison des Quinn aux premières heures du matin.