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— Alors ils ont tué Nola, Luther et Deborah Cooper.

— Oui. Et ils se sont arrangés pour que l’enquête n’aboutisse jamais. Harry, vous saviez que Nola avait des épisodes psychotiques, hein ? Et vous en avez parlé au révérend Kellergan à l’époque…

— J’ignorais l’histoire de l’incendie. Mais j’ai découvert que Nola avait des fragilités lorsque je suis allé chez les Kellergan pour en découdre avec eux à propos des mauvais traitements qu’ils lui infligeaient. J’avais promis à Nola que je n’irais pas voir ses parents, mais je ne pouvais pas ne rien faire, vous comprenez ? C’est là que j’ai compris que les parents Kellergan se résumaient au révérend tout seul, veuf depuis six ans et complètement dépassé par la situation. Il… Il refusait de voir la vérité en face. Je devais emmener Nola loin d’Aurora, pour la faire soigner.

— Alors la fuite, c’était pour la faire soigner…

— Pour moi, c’en était devenu la raison. Nous aurions vu de bons médecins, elle aurait guéri ! C’était une fille extraordinaire, Marcus ! Elle aurait fait de moi un grand écrivain, et moi j’aurais chassé ses mauvaises pensées ! Elle m’a inspiré, elle m’a guidé ! Elle m’a guidé toute ma vie ! Vous le savez, hein ? Vous le savez mieux que personne !

— Oui, Harry. Mais pourquoi ne m’avoir rien dit ?

— Je voulais le faire ! Je l’aurais fait s’il n’y avait pas eu ces fuites à propos de votre livre. J’ai pensé que vous aviez trahi ma confiance. J’étais en colère contre vous. Je crois que je voulais que votre livre soit un échec : je savais que plus personne ne vous prendrait au sérieux après l’histoire de la mère. Oui, c’est ça : je voulais que votre deuxième livre soit un échec. Comme le mien, au fond.

Nous restâmes silencieux un moment.

— Je regrette, Marcus. Je regrette tout. Vous devez être tellement déçu de moi…

— Non.

— Je sais que vous l’êtes. Vous aviez fondé tellement d’espoir en moi. J’ai construit ma vie sur un mensonge !

— Je vous ai toujours admiré pour ce que vous étiez, Harry. Et peu m’importe que vous ayez écrit ce livre ou non. C’est l’homme que vous êtes qui m’a tant appris de la vie. Et cela, personne ne peut le renier.

— Non, Marcus. Vous ne me regarderez plus jamais comme avant ! Et vous le savez. Je ne suis qu’une grande supercherie ! Un imposteur ! Voilà pourquoi je vous disais que nous ne pourrions plus être amis : tout est fini. Tout est fini, Marcus. Vous êtes en train de devenir un écrivain formidable, et moi je ne suis plus rien. Vous êtes un véritable écrivain, moi, je ne l’ai jamais été. Vous vous êtes battu pour votre livre, vous vous êtes battu pour retrouver l’inspiration, vous avez surmonté l’obstacle ! Alors que moi, lorsque j’ai été dans la même situation que vous, j’ai trahi.

— Harry, je…

— Ainsi est la vie, Marcus. Et vous savez que j’ai raison. Vous ne pourrez plus me regarder en face désormais. Et moi je ne pourrai plus vous regarder sans éprouver une jalousie débordante et destructrice, parce que vous avez réussi là où j’ai échoué.

Il me serra contre lui.

— Harry, murmurai-je. Je ne veux pas vous perdre.

— Vous saurez très bien vous débrouiller, Marcus. Vous êtes devenu un sacré bonhomme. Un sacré écrivain. Vous allez vous en tirer très bien ! Je le sais. À présent, nos chemins bifurquent pour toujours. On appelle ça le destin. Je n’ai jamais eu pour destin de devenir un grand écrivain. J’ai pourtant essayé de le changer : j’ai volé un livre, j’ai menti pendant trente ans. Mais le destin est indomptable : il finit toujours par triompher.

— Harry…

— Votre destin à vous, Marcus, a toujours été d’être écrivain. Je l’ai toujours su. Et j’ai toujours su que le moment que nous vivons maintenant allait arriver.

— Vous resterez toujours mon ami, Harry.

— Marcus, achevez votre livre. Ce livre sur moi, achevez-le ! Maintenant que vous savez tout, racontez la vérité au monde entier. La vérité nous délivrera tous. Écrivez la vérité sur l’Affaire Harry Quebert. Délivrez-moi du mal qui me ronge depuis trente ans. C’est la dernière chose que je vous demande.

— Mais comment ? Je ne peux pas effacer le passé.

— Non, mais vous pouvez changer le présent. C’est le pouvoir des écrivains. Le paradis des écrivains, vous vous souvenez ? Je sais que vous saurez comment faire.

— Harry, vous êtes celui qui m’a fait grandir ! Vous avez fait de moi celui que je suis devenu !

— Ce n’est qu’une illusion, je n’ai rien fait, Marcus. Vous avez su grandir tout seul.

— Non ! C’est faux ! J’ai suivi vos conseils ! J’ai suivi vos trente et un conseils ! C’est comme ça que j’ai écrit mon premier livre ! Et le suivant ! Et tous les autres ! Vos trente et un conseils, Harry ? Vous vous rappelez ?

Il eut un sourire triste.

— Bien sûr que je me rappelle, Marcus.

*

Burrows, Noël 1999

— Joyeux Noël, Marcus !

— Un cadeau ? Merci, Harry. Qu’est-ce que c’est ?

— Ouvrez-le. C’est un enregistreur sur minidisque. Il paraît que c’est à la pointe de la technologie. Vous passez votre vie à prendre des notes de tout ce que je vous raconte, mais après, vous perdez vos notes et je dois tout répéter. Je me suis dit que comme ça, vous pourriez tout enregistrer.

— Très bien. Allez-y.

— Quoi ?

— Donnez-moi un premier conseil. Je vais enregistrer précieusement tous vos conseils.

— Bon. Quel genre de conseils ?

— Je ne sais pas… des conseils pour les écrivains. Et pour les boxeurs. Et pour les hommes.

— Tout ça ? Bien. Combien en voulez-vous ?

— Au moins cent !

— Cent ? Il faut bien que j’en garde pour moi pour avoir encore des choses à vous enseigner ensuite.

— Vous aurez toujours des choses à m’enseigner. Vous êtes le grand Harry Quebert.

— Je vais vous donner trente et un conseils. Je vous les donnerai au fil de ces prochaines années. Pas tous en même temps.

— Pourquoi trente et un ?

— Parce que trente et un ans, c’est un âge important. La dizaine vous façonne en tant qu’enfant. La vingtaine en tant qu’adulte. La trentaine fera de vous un homme, ou non. Et trente et un ans signifie que vous aurez passé ce cap. Comment vous imaginez-vous quand vous aurez trente et un ans ?

— Comme vous.

— Allons, ne dites pas de bêtises. Enregistrez, plutôt. Je vais aller dans l’ordre décroissant. Conseil numéro trente et un : ce sera un conseil à propos des livres. Alors voilà, 31 : le premier chapitre, Marcus, est essentiel. Si les lecteurs ne l’aiment pas, ils ne liront pas le reste de votre livre. Par quoi comptez-vous commencer le vôtre ?

— Je ne sais pas, Harry. Vous pensez qu’un jour j’y arriverai ?

— À quoi ?

— À écrire un livre.

— J’en suis certain.

*

Il me regarda fixement et sourit.

— Vous allez avoir trente et un ans, Marcus. Voilà, vous y êtes arrivé : vous êtes devenu un homme formidable. Devenir le Formidable, ce n’était rien, mais devenir un homme formidable a été le couronnement d’un long et magnifique combat contre vous-même. Je suis très fier de vous.

Il remit sa veste et noua son écharpe.

— Où allez-vous, Harry ?

— Je dois partir maintenant.

— Ne partez pas ! Restez !

— Je ne peux pas…

— Restez, Harry ! Restez encore un peu !

— Je ne peux pas.

— Je ne veux pas vous perdre !

— Au revoir, Marcus. De toute ma vie, vous avez été la plus belle des rencontres.