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— Vous êtes marié, sergent ? C’est fou, vous êtes si désagréable que j’aurais juré que vous n’aviez pas de famille.

Il enfonça furieusement sa tête dans son double menton :

— Au nom du Ciel, qu’est-ce que vous voulez ? aboya-t-il.

— Comprendre.

— C’est très ambitieux pour un type de votre espèce.

— Je sais.

— Laissez faire la police, voulez-vous ?

— J’ai besoin d’informations, sergent. J’aime tout savoir, c’est maladif. Je suis un grand anxieux, j’ai besoin de tout contrôler.

— Eh bien, contrôlez-vous, vous !

— Pourrait-on aller dans votre bureau ?

— Non.

— Dites-moi juste si Nola est bien morte à l’âge de quinze ans ?

— Oui. L’analyse des os l’a confirmé.

— Donc elle a été enlevée et tuée au même moment ?

— Oui.

— Mais ce sac… Pourquoi a-t-elle été enterrée avec son sac ?

— Je n’en sais rien.

— Et si elle avait un sac, cela pourrait-il nous amener à penser qu’elle a fugué ?

— Si vous préparez un sac pour vous enfuir, vous le remplissez de vêtements, non ?

— Exact.

— Or là, il n’y avait que ce bouquin.

— Un point pour vous, dis-je. Votre sagacité m’éblouit. Mais ce sac…

Il m’interrompit :

— Je n’aurais jamais dû vous parler de ce sac, l’autre jour. Je ne sais pas ce qui m’a pris…

— Je n’en sais rien non plus.

— La pitié, j’imagine. Oui, c’est ça : vous m’avez fait pitié, avec votre air perdu et vos chaussures couvertes de boue.

— Merci. Si je puis me permettre encore : que pouvez-vous me dire de l’autopsie ? D’ailleurs dit-on autopsie pour un squelette ?

— Je n’en sais rien.

— Est-ce que examens médico-légaux serait un terme plus adéquat ?

— Je me contrefous du terme précis. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on lui a brisé le crâne ! Brisé ! Bam ! Bam !

Comme il accompagnait ses mots de gestes et mimait des coups de batte, je demandai :

— Alors c’était avec une batte ?

— Mais je n’en sais rien, bougre d’emmerdeur !

— Une femme ? Un homme ?

— Quoi ?

— Est-ce qu’une femme aurait pu porter ces coups ? Pourquoi forcément un homme ?

— Parce que le témoin visuel de l’époque, Deborah Cooper, a formellement identifié un homme. Bon, cette conversation est terminée, l’écrivain. Vous m’agacez beaucoup trop.

— Mais vous, qu’est-ce que vous pensez de cette affaire ?

Il sortit de son porte-monnaie une photo de famille.

— J’ai deux filles, l’écrivain. Quatorze et dix-sept ans. Je ne peux pas imaginer vivre ce que le père Kellergan a vécu. Je veux la vérité. Je veux la justice. La justice, ce n’est pas la somme de simples faits : c’est un travail bien plus complexe. Alors je vais poursuivre mon enquête. Si je découvre la preuve de l’innocence de Quebert, croyez-moi, il sera libéré. Mais s’il est coupable, soyez certain que je ne laisserai pas Roth faire au jury un de ses tours d’esbroufe dont il a le secret pour libérer les criminels. Parce que ça non plus, ce n’est pas de la justice.

Gahalowood, sous ses airs de bison agressif, avait une philosophie qui me plaisait.

— Au fond, vous êtes un chic type, sergent. Je vous paie des beignets et on continue de papoter ?

— Je ne veux pas de beignets, je veux que vous foutiez le camp. J’ai du travail.

— Mais il faut que vous m’expliquiez comment on enquête. Je ne sais pas enquêter. Comment dois-je faire ?

— Au revoir, l’écrivain. Je vous ai assez vu pour le reste de la semaine. Peut-être même le reste de ma vie.

J’étais déçu de ne pas être pris au sérieux et je n’insistai pas. Je lui tendis la main pour le saluer, il me broya les phalanges de sa grosse poigne et je m’en allai. Mais sur le parking extérieur, je l’entendis qui me hélait : « L’écrivain ! » Je me retournai et je le vis qui faisait trotter sa grosse masse dans ma direction.

— L’écrivain, me dit-il lorsqu’il m’eut rejoint, le souffle court. Les bons flics ne s’intéressent pas au tueur… mais à la victime. C’est à propos de la victime que vous devez vous interroger. Il faut commencer par le début, par avant le meurtre. Pas par la fin. Vous faites fausse route en vous concentrant sur le meurtre. Vous devez vous demander qui était la victime… Demandez-vous qui était Nola Kellergan…

— Et Deborah Cooper ?

— Si vous voulez mon avis, tout est lié à Nola. Deborah Cooper n’a été qu’une victime collatérale. Trouvez qui était Nola : vous trouverez son meurtrier et celui de la mère Cooper par la même occasion.

Qui était Nola Kellergan ? C’est la question que je comptais bien poser à Harry en me rendant à la prison d’État. Il avait mauvaise mine. Il semblait très préoccupé par le contenu de son casier de fitness.

— Vous avez tout trouvé ? me demanda-t-il avant même de me saluer.

— Oui.

— Et vous avez tout brûlé ?

— Oui.

— Le manuscrit aussi ?

— Le manuscrit aussi.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas confirmé que c’était fait ? J’étais mort d’inquiétude ! Et où étiez-vous pendant ces deux jours ?

— Je menais mon enquête. Harry, pourquoi est-ce que cette boîte se trouvait dans un casier de fitness ?

— Je sais que ça va vous paraître bizarre… Après votre visite à Aurora, en mars, j’ai eu peur que quelqu’un d’autre trouve la boîte. Je me suis dit que n’importe qui pouvait tomber dessus : un visiteur sans gêne, la femme de ménage. J’ai jugé qu’il était plus prudent de cacher mes souvenirs ailleurs.

— Vous les avez cachés ? Mais ça fait de vous un coupable. Et ce manuscrit. C’était celui des Origines du mal ?

— Oui. La toute première version.

— J’ai reconnu le texte. Il n’y avait pas de titre sur la couverture…

— Le titre m’est venu après coup.

— Après la disparition de Nola, vous voulez dire ?

— Oui. Mais ne parlons pas de ce manuscrit, Marcus. Il est maudit, il n’a attiré que le mal autour de moi, la preuve : Nola est morte et je suis en prison.

Nous nous dévisageâmes un instant. Je déposai sur la table un sac en plastique dans lequel était le contenu de mon paquet.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Harry.

Sans répondre, j’en sortis un appareil à minidisque auquel était branché un micro, permettant d’effectuer des enregistrements. Je l’installai devant Harry.

— Marcus, nom d’un chien, qu’est-ce que vous fabriquez ? Ne me dites pas que vous avez conservé cette satanée machine…

— Bien sûr, Harry. Je l’ai gardée précieusement.

— Rangez-moi ça, voulez-vous ?

— Ne faites pas votre mauvaise tête, Harry…

— Mais que diable voulez-vous faire de cet engin ?

— Je veux que vous me parliez de Nola, d’Aurora, de tout. De l’été 1975, de votre livre. J’ai besoin de savoir. La vérité, Harry, doit figurer quelque part.

Il sourit tristement. J’enclenchai l’enregistreur et je le laissai parler. C’était une jolie scène : dans ce parloir de prison, où, parmi les tables en plastique, des maris retrouvaient leur femme, des pères retrouvaient leurs enfants, je retrouvais mon vieux maître qui me racontait son histoire.