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Lorsqu’il eut écrit à en avoir mal au poignet et que le whisky lui fit tourner la tête, il descendit sur la plage, malheureux, et s’affala contre un grand rocher pour contempler l’horizon. Il entendit soudain des bruits de pas derrière lui.

— Harry ? Harry, que vous arrive-t-il ?

C’était Nola, dans sa robe bleue. Elle se précipita près de lui et s’agenouilla sur le sable.

— Harry, au nom du Ciel ! Êtes-vous souffrant ?

— Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu fabriques ici ? demanda-t-il pour toute réponse.

— Je vous ai attendu après le spectacle. Je vous ai vu partir pendant les applaudissements et je ne vous ai plus retrouvé. Je me suis inquiétée… Pourquoi êtes-vous parti si vite ?

— Tu ne devrais pas rester là, Nola.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai bu. Je veux dire : je me suis un peu saoulé. Je le regrette maintenant, si j’avais su que tu viendrais, je serais resté sobre.

— Pourquoi avez-vous bu, Harry ? Vous avez l’air si triste…

— Je me sens seul. Je me sens horriblement seul.

Elle se blottit contre lui et pénétra son regard de ses yeux éclatants.

— Harry, enfin, il y a tellement de gens autour de vous !

— La solitude me tue, Nola.

— Je vais vous tenir compagnie, alors.

— Tu ne devrais pas…

— J’en ai envie. Sauf si je vous dérange.

— Tu ne me déranges jamais.

— Harry, pourquoi les écrivains sont-ils des gens si seuls ? Hemingway, Melville… Ce sont les hommes les plus seuls du monde !

— Je ne sais pas si ce sont les écrivains qui sont seuls ou si c’est la solitude qui pousse à écrire…

— Et pourquoi les écrivains se suicident-ils tous ?

— Tous les écrivains ne se suicident pas. Seulement ceux dont on ne lit pas les livres.

— J’ai lu votre livre. Je l’ai emprunté à la bibliothèque municipale et je l’ai lu en une nuit ! J’ai adoré ! Vous êtes un très grand écrivain, Harry ! Harry… cet après-midi, j’ai chanté pour vous. Cette chanson, je l’ai chantée pour vous !

Il sourit et la regarda ; elle passa sa main dans ses cheveux avec une tendresse infinie avant de répéter :

— Vous êtes un très grand écrivain, Harry. Vous ne devez pas vous sentir seul. Je suis là.

25.

À propos de Nola

“Au fond, Harry, comment devient-on écrivain ?

— En ne renonçant jamais. Vous savez, Marcus, la liberté, l’aspiration à la liberté est une guerre en soi. Nous vivons dans une société d’employés de bureau résignés, et il faut, pour se sortir de ce mauvais pas, se battre à la fois contre soi-même et contre le monde entier. La liberté est un combat de chaque instant dont nous n’avons que peu conscience. Je ne me résignerai jamais.”

L’inconvénient des petites villes de l’Amérique profonde est qu’elles ne disposent que de brigades de pompiers volontaires, moins rapides à mobiliser que les professionnels. Le soir du 20 juin 2008, alors que je voyais les flammes s’échapper de la Corvette et se propager à la petite annexe qui servait de garage, il s’écoula ainsi un certain laps de temps entre le moment où je prévins les secours et leur arrivée à Goose Cove. Il relève donc du miracle que la maison elle-même n’ait pas été touchée, même si, aux yeux du capitaine des pompiers d’Aurora, le miracle tint surtout au fait que le garage consistait en un bâtiment séparé et que ceci avait permis de circonscrire l’incendie rapidement.

Tandis que police et pompiers s’activaient à Goose Cove, Travis Dawn, qui avait été alerté également, arriva à son tour.

— T’as pas de mal, Marcus ? me demanda-t-il en se précipitant vers moi.

— Non, moi ça va, à part que la maison tout entière a bien failli brûler…

— Que s’est-il passé ?

— Je rentrais de la plage de Grand Beach et en m’engageant dans le chemin, j’ai vu une silhouette qui s’enfuyait à travers la forêt. Puis il y avait ces flammes…

— Tu as eu le temps d’identifier cette personne ?

— Non. Tout est allé tellement vite.

Un policier arrivé sur les lieux en même temps que les pompiers et qui était en train de fouiller les abords de la maison nous héla soudain. Il venait de trouver, coincé dans l’embrasure de la porte, un message sur lequel était écrit :

Rentre chez toi, Goldman.

— Bon sang ! J’en ai reçu un autre hier, dis-je.

— Un autre ? Où ça ? demanda Travis.

— Sur ma voiture. Je me suis arrêté dix minutes au magasin général et en revenant, il y avait ce même message coincé derrière l’essuie-glace.

— Tu penses que quelqu’un te suit ?

— Je… J’en sais rien. Je n’y ai pas prêté attention jusque-là. Mais qu’est-ce que ça signifie ?

— Cet incendie ressemble furieusement à un avertissement, Marcus.

— Un avertissement ? Pourquoi voudrait-on me lancer un avertissement ?

— Il semblerait que quelqu’un n’apprécie pas ta présence à Aurora. Tout le monde sait que tu poses beaucoup de questions.

— Alors quoi ? Quelqu’un qui craindrait ce que je pourrais découvrir à propos de Nola.

— Peut-être. En tout cas, je n’aime pas ça. Toute cette affaire sent la poudre. Je vais laisser une patrouille ici pour la nuit, c’est plus sûr.

— Pas besoin de patrouille. Si ce type me cherche, qu’il vienne : il me trouvera.

— Du calme, Marcus. Il y aura une patrouille qui restera ici cette nuit, que tu le veuilles ou non. Si, comme je le pense, il s’agit d’un avertissement, cela signifie qu’il y aura d’autres actions à venir. Il va falloir être très prudent.

À la première heure du lendemain, je me rendis à la prison d’État pour rapporter cet incident à Harry.

— Rentre chez toi, Goldman ? répéta-t-il lorsque je lui mentionnai la découverte du message.

— Comme je vous dis. Écrit à l’ordinateur.

— Qu’a fait la police ?

— Travis Dawn est venu. Il a pris la lettre, il a dit qu’il la ferait analyser. Selon lui, ce serait un avertissement. Peut-être quelqu’un qui n’a pas envie que je creuse plus avant dans cette affaire. Quelqu’un qui voit en vous le coupable idéal et qui n’a pas envie que je mette mon nez là-dedans.

— Celui qui aurait tué Nola et Deborah Cooper ?

— Par exemple.

Harry avait un air grave.

— Roth m’a dit que je passerais devant le Grand Jury mardi prochain. Une poignée de bons citoyens qui vont étudier mon cas et décider si les accusations sont fondées. Apparemment, le Grand Jury suit toujours le procureur… C’est un cauchemar, Marcus, chaque jour qui passe, j’ai l’impression de m’enfoncer davantage. De perdre pied. D’abord on m’arrête, et je me dis que c’est une erreur, l’affaire de quelques heures, et puis je me retrouve enfermé ici jusqu’au procès, qui aura lieu Dieu sait quand, à risquer la peine de mort. La peine capitale, Marcus ! J’y pense tout le temps. J’ai peur.