— Jenny et vous, vous n’êtes pas ensemble.
— Non ! Je te dis que non.
— Alors vous ne me trouvez pas laide ?
— Laide ? Mais enfin, Nola, tu es tellement belle.
— C’est vrai ? J’ai été si triste… Je pensais que vous ne vouliez pas de moi. J’ai même eu envie de me jeter par la fenêtre.
— Tu ne dois pas dire de choses pareilles.
— Alors dites-moi encore que je suis jolie…
— Je te trouve très jolie. Je regrette de t’avoir causé du chagrin.
Elle sourit encore. Toute cette histoire n’était qu’un quiproquo ! Il l’aimait. Ils s’aimaient ! Elle murmura :
— N’en parlons plus. Serrez-moi contre vous… Je vous trouve tellement brillant, si beau, si élégant.
— Je ne peux pas, Nola…
— Pourquoi ? Si vous me trouviez vraiment belle, vous ne me rejetteriez pas !
— Je te trouve très belle. Mais tu es une enfant.
— Je ne suis pas une enfant !
— Nola… Toi et moi, c’est impossible.
— Pourquoi êtes-vous si méchant avec moi ? Je ne veux plus jamais vous parler !
— Nola, je…
— Laissez-moi maintenant. Laissez-moi, ne me parlez plus. Ne me parlez plus ou je dirai à tout le monde que vous êtes un pervers. Allez rejoindre votre petite chérie ! C’est elle qui m’a dit que vous étiez ensemble. Je sais tout ! Je sais tout et je vous déteste, Harry ! Partez ! Partez !
Elle le repoussa, dévala les marches et s’enfuit hors du cinéma. Harry, dépité, retourna dans la salle. En poussant la porte, il tomba sur le père Kellergan.
— Bonjour, Harry.
— Révérend !
— Je cherche ma fille, l’avez-vous vue ? Je l’avais chargée de nous prendre des places mais elle a comme disparu.
— Je… Je crois qu’elle vient de partir.
— Partir ? Comment ça ? Mais le film va commencer.
Après le film, ils allèrent manger une pizza à Montburry. Sur la route du retour à Aurora, Jenny rayonnait : ç’avait été une merveilleuse soirée. Elle voulait passer toutes ses soirées et toute sa vie avec cet homme.
— Harry, ne me ramène pas tout de suite, supplia-t-elle. Tout a été si parfait… Je voudrais prolonger encore cette soirée. Nous pourrions aller sur la plage.
— La plage ? Pourquoi la plage ? demanda-t-il.
— Parce que c’est si romantique ! Gare-toi près de Grand Beach, il n’y a jamais personne. Nous pourrions flirter comme des étudiants, couchés sur le capot de la voiture. Regarder les étoiles et profiter de la nuit. S’il te plaît…
Il voulut refuser mais elle insista. Il proposa alors la forêt plutôt que la plage ; la plage, c’était réservé à Nola. Il se gara près de Side Creek Lane, et dès qu’il eut coupé le moteur, Jenny se jeta sur lui pour l’embrasser à toutes lèvres. Elle lui tint la tête et l’étouffa avec sa langue sans lui en demander la permission. Ses mains le touchaient partout, elle poussait des gémissements détestables. Dans l’habitacle étroit de la voiture, elle monta sur lui : il sentit ses tétons durs contre son torse. Elle était une femme magnifique, elle aurait fait une épouse modèle, et elle ne demandait que ça. Il l’aurait épousée le lendemain sans hésiter : une femme comme Jenny était le rêve de beaucoup d’hommes. Mais dans son cœur, il y avait déjà quatre lettres qui prenaient toute la place : N-O-L-A.
— Harry, dit Jenny. Tu es l’homme que j’attendais depuis toujours.
— Merci.
— Es-tu heureux avec moi ?
Il ne répondit pas et se contenta de la repousser gentiment.
— Nous devrions rentrer, Jenny. Je n’ai pas vu qu’il était déjà si tard.
Il démarra la voiture et prit la direction d’Aurora.
Lorsqu’il la déposa devant chez elle, il ne remarqua pas qu’elle pleurait. Pourquoi ne lui avait-il pas répondu ? Ne l’aimait-il pas ? Pourquoi se sentait-elle si seule ? Elle ne demandait pourtant pas grand-chose : tout ce dont elle rêvait, c’était d’un homme gentil, qui l’aime et qui la protège, qui lui offre des fleurs de temps en temps et qui l’emmène dîner. Même des hot-dogs, s’il n’avait pas beaucoup de moyens. Juste pour le plaisir de sortir ensemble. Au fond, qu’importait Hollywood du moment qu’elle trouvait quelqu’un qu’elle aime et qui l’aime en retour. Depuis la marquise, elle regarda la Chevrolet noire s’éloigner dans la nuit et elle éclata en sanglots. Elle cacha son visage entre ses mains pour que ses parents ne l’entendent pas : surtout sa mère, elle ne voulait pas devoir lui rendre de comptes. Elle attendrait que les lumières s’éteignent à l’étage pour rentrer chez elle. Elle entendit soudain un bruit de moteur et releva la tête, pleine d’espoir que ce soit Harry qui revenait pour la prendre contre lui et la consoler. Mais c’était une voiture de police qui venait de s’arrêter devant la maison. Elle reconnut Travis Dawn, que le hasard de sa patrouille avait conduit devant chez les Quinn.
— Jenny ? Tout va bien ? demanda-t-il par la fenêtre ouverte de la voiture.
Elle haussa les épaules. Il coupa le moteur et ouvrit sa portière. Avant de sortir du véhicule, il déplia un morceau de papier précieusement rangé dans sa poche et relut rapidement les mots :
MOI : Salut, Jenny, ça va ?
ELLE : Salut, Travis ! Quoi de neuf ?
MOI : Je passais par là par hasard.
— IMPROVISER —
Lui proposer une balade et/ou un milk-shake.
Il la rejoignit sous la marquise et s’assit à côté d’elle.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta-t-il.
— Rien, dit Jenny en s’essuyant les yeux.
— C’est pas rien. Je vois bien que tu pleures.
— Quelqu’un me fait du mal.
— Quoi ? Qui ? Dis-moi qui ! Tu peux tout me dire… Je vais lui régler son compte, tu verras !
Elle sourit tristement et posa la tête sur son épaule.
— Ce n’est pas important. Mais merci, Travis, t’es un chouette type. Je suis contente que tu sois là.
Il osa passer un bras réconfortant autour de ses épaules.
— Tu sais, reprit Jenny, j’ai reçu une lettre d’Emily Cunningham, celle qui était avec nous au lycée. Elle vit à New York maintenant. Elle a trouvé un bon emploi, elle est enceinte de son premier enfant. Parfois, je réalise que tout le monde est parti d’ici. Tout le monde sauf moi. Et toi. Au fond, pourquoi on est restés à Aurora, Travis ?
— Je sais pas. Ça dépend…
— Mais toi, par exemple, pourquoi t’es resté ?
— Je voulais rester près de quelqu’un que j’aime bien.
— Qui ça ? Je la connais ?
— Eh bien, justement. Tu sais, Jenny, je voulais… Je voulais te demander… Enfin, si tu… À propos…
Il serra sa feuille dans sa poche et essaya de rester calme : lui proposer d’être sa cavalière pour le bal. Ce n’était pas sorcier. Mais à cet instant, la porte de la maison s’ouvrit à grand fracas. C’était Tamara, en robe de chambre et bigoudis.
— Jenny chérie ? Mais qu’est-ce que tu fais dehors ? Il me semblait bien avoir entendu des voix… Oh, mais c’est ce gentil Travis. Comment vas-tu, mon garçon ?
— Bonsoir, M’dame Quinn.
— Jenny, tu tombes bien. Rentre m’aider, veux-tu ? Je dois enlever ces machins de ma tête et ton père est complètement incapable. À croire que le Seigneur lui a collé des pieds à la place des mains.