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Tamara, trop occupée par son déjeuner, était l’une des rares habitantes de la ville à ne pas être en train de s’agiter devant le domicile des Kellergan. En début de matinée, elle avait appris la nouvelle, comme tout le monde, et elle avait eu peur pour sa garden-party : Nola avait essayé de se tuer. Mais grâce à Dieu, la petite avait lamentablement raté son suicide, et elle s’était sentie doublement chanceuse : d’abord parce que si Nola était morte, il aurait fallu annuler la fête ; ce n’aurait pas été correct de célébrer un événement en pareilles circonstances. Ensuite, c’était une bénédiction que l’on fût dimanche et non samedi, parce que si Nola avait essayé de se tuer un samedi, il aurait fallu la faire remplacer au Clark’s et cela aurait été très compliqué. Nola était décidément une brave petite d’avoir fait son affaire un dimanche matin et d’avoir échoué de surcroît.

Satisfaite de l’arrangement extérieur, Tamara s’en alla contrôler ce qui se passait à l’intérieur de la maison. Elle trouva Jenny à son poste, dans l’entrée, prête à accueillir les invités. Il fallut cependant houspiller avec vigueur ce pauvre Bobbo qui était en chemise-cravate mais n’avait pas encore mis son pantalon, parce que le dimanche il avait le droit de lire son journal en caleçon dans la véranda, et qu’il aimait quand les courants d’air venaient danser dans son caleçon parce que ça rafraîchissait à l’intérieur, surtout les parties velues, et que c’était très agréable.

— C’est fini ces histoires de se montrer tout nu ! le gronda sa femme. Alors quoi ? Quand le grand Harry Quebert sera notre gendre, tu te promèneras aussi en caleçon ?

— Tu sais, répondit Bobbo, je crois qu’il n’est pas comme on pense qu’il est. Au fond, c’est un garçon très simple. Il aime les moteurs de voiture, la bière bien fraîche, et je pense qu’il ne s’offusquerait pas de me voir en tenue du dimanche. D’ailleurs je le lui demanderai…

— Tu ne vas rien demander du tout ! Tu ne dois pas prononcer une seule sornette durant ce repas ! D’ailleurs, c’est bien simple : je ne veux pas t’entendre. Ah, mon pauvre Bobbo, si c’était légal, je te coudrais les lèvres ensemble pour que tu ne puisses plus parler : chaque fois que tu ouvres la bouche, c’est pour dire des imbécillités. Le dimanche, désormais, c’est pantalon-chemise. Point final. Plus question de te voir traîner en petite culotte dans la maison. Nous sommes désormais des gens très importants.

Tandis qu’elle parlait, elle remarqua que son mari avait griffonné quelques lignes sur une carte posée devant lui, sur la table basse du salon.

— Qu’est-ce que c’est ? aboya-t-elle.

— C’est quelque chose.

— Montre-moi !

— Non, se rebiffa Bobbo en attrapant la carte.

— Bobbo, je veux voir !

— C’est du courrier personnel.

— Oh, Monsieur écrit du courrier personnel maintenant. Montre-moi, je te dis ! C’est quand même moi qui décide dans cette maison, oui ou crotte ?

Elle arracha des mains de son mari la carte qu’il essayait de dissimuler sous son journal. L’image représentait un chiot. Elle lut à voix haute sur un ton moqueur :

Bien chère Nola,

Nous te souhaitons un bon rétablissement et nous espérons te retrouver très vite au Clark’s.

Voici des bonbons pour mettre de la douceur dans ta vie.

Bien à toi.

Famille Quinn

— Qu’est-ce que c’est que cette nullité ? s’écria Tamara.

— Une carte pour Nola. Je vais aller acheter des douceurs et lui mettre avec. Ça lui fera plaisir, tu ne penses pas ?

— Tu es ridicule, Bobbo ! Cette carte avec ce petit chien est ridicule, ton texte est ridicule ! Nous espérons te retrouver très vite au Clark’s ? Elle vient d’essayer de se foutre en l’air : tu penses vraiment qu’elle a envie de retourner servir le café ? Et des bonbons ? Qu’est-ce que tu veux qu’elle fasse avec des bonbons ?

— Elle les mangera, je pense que ça lui fera plaisir. Tu vois, tu saccages tout. C’est pour ça que je ne voulais pas te montrer.

— Oh, arrête de pleurnicher, Bobbo, s’agaça Tamara en déchirant la carte en quatre morceaux. Je vais envoyer des fleurs, des fleurs chic d’un bon magasin de Montburry, pas tes bonbons de supermarché. Et je ferai le mot moi-même, sur une carte blanche. J’écrirai, d’une belle écriture : Meilleur rétablissement. De la part de la famille Quinn et de Harry Quebert. Enfile ton pantalon maintenant, mes invités ne vont plus tarder.

Donna Mitchell et son mari sonnèrent à la porte à midi pile, rapidement suivis par Amy et le Chef Pratt. Tamara ordonna au serveur d’apporter les cocktails de bienvenue, qu’ils burent dans le jardin. Le Chef Pratt raconta alors comment il avait été tiré du lit par le téléphone :

— La petite Kellergan a essayé d’avaler des tas de cachets. Je crois qu’elle a avalé tout et n’importe quoi, dont quelques somnifères. Mais rien de bien grave. Elle a été conduite à l’hôpital de Montburry pour un lavage d’estomac. C’est le révérend qui l’a trouvée, dans la salle de bains. Il assure qu’elle était fiévreuse et qu’elle s’est trompée de médicament. Moi, ce que j’en dis… L’important c’est que la petite aille bien.

— Une chance que ça se soit passé le matin et pas à midi, dit Tamara. Ç’aurait été dommage que vous ne puissiez pas venir ici.

— Justement, qu’as-tu de si important à nous annoncer ? demanda Donna qui n’y tenait plus.

Tamara eut un large sourire et répondit qu’elle préférait attendre que tous les invités soient présents pour faire son annonce. Les Tirsten arrivèrent peu après, et le couple Carlton à midi vingt, justifiant son retard par un problème dans la direction de leur nouvelle voiture. Tout le monde était là désormais. Tout le monde, sauf Harry Quebert. Tamara proposa de prendre un second cocktail de bienvenue.

— Qui attend-on ? demanda Donna.

— Vous allez voir, répondit Tamara.

Jenny sourit ; ç’allait être une journée magnifique.

À midi quarante, Harry n’était toujours pas là. On servit un troisième cocktail de bienvenue. Puis un quatrième, à midi cinquante-huit.

— Encore un cocktail de bienvenue ? se plaignit Amy Pratt.