Выбрать главу

— C’est parce que vous êtes tous très bienvenus ! déclara Tamara qui commençait à s’inquiéter sérieusement du retard de son invité vedette.

Le soleil tapait fort. Les têtes se mirent à tourner un peu. J’ai faim, finit par dire Bobbo, qui reçut une claque magistrale sur la nuque. Puis ce fut treize heures quinze, et toujours pas de Harry.

Tamara sentit son ventre se nouer.

*

— On a poireauté, me confia Tamara au comptoir du Clark’s. Nom de Dieu ce qu’on a poireauté ! Et il faisait une chaleur à crever. Tout le monde suait à grosses gouttes…

— La soif de ma vie, hurla Robert qui essayait de participer à notre conversation.

— La ferme, toi ! C’est moi qu’on interroge, à ce que je sache. Les grands écrivains comme Monsieur Goldman ne s’intéressent pas à des ânes dans ton genre.

Elle lança une fourchette dans sa direction puis se retourna vers moi et me dit :

— Bref, on a attendu jusqu’à une heure trente de l’après-midi.

*

Tamara avait espéré qu’il avait eu une panne de voiture, ou même un accident. N’importe quoi, pourvu qu’il ne soit pas en train de lui poser un lapin. Prétextant avoir à faire en cuisine, elle était allée à plusieurs reprises téléphoner à la maison de Goose Cove, mais aucune réponse. Elle avait alors écouté les informations à la radio, mais il n’y avait aucun accident à signaler, et aucun écrivain célèbre n’était mort dans le New Hampshire ce jour-là. Par deux fois, elle entendit des bruits de voiture devant la maison et chaque fois son cœur bondit : c’était lui ! Mais non : c’était ses imbéciles de voisins.

Les invités n’en pouvaient plus : accablés par la chaleur, ils avaient finalement pris place sous la tente pour y trouver un peu de fraîcheur. Assis à leurs places, ils s’ennuyaient dans un silence de mort. « J’espère que c’est une très grande nouvelle », finit par dire Donna. « Si je bois un autre de ces cocktails, je pense que je vais vomir », déclara Amy. Finalement, Tamara pria le serveur de disposer les plats sur le buffet et proposa à ses invités de commencer le déjeuner.

À quatorze heures, le repas était bien entamé et toujours aucune nouvelle de Harry. Jenny, le ventre serré, ne pouvait rien avaler. Elle s’efforçait de ne pas éclater en sanglots devant tout le monde. Tamara, elle, tremblait de rage : deux heures de retard, il ne viendrait plus. Comment diable avait-il pu lui faire un coup pareil ? Quel genre de gentleman se comportait ainsi ? Et comme si cela ne suffisait pas, Donna se mit à demander avec instance quelle était donc cette nouvelle si importante qu’elle avait à leur annoncer. Tamara resta muette. Le malheureux Bobbo, voulant alors sauver la situation et l’honneur de sa femme, se leva de sa chaise, solennel, leva son verre et déclara fièrement à l’intention de ses invités : « Mes chers amis, nous voulions vous annoncer que nous avons une nouvelle télévision. »

Il y eut un long silence d’incompréhension. Tamara, qui ne put supporter l’idée d’être ridiculisée ainsi, se leva à son tour et annonça : « Robert a un cancer. Il va mourir. » Et tous les invités s’émurent aussitôt, y compris Bobbo lui-même qui ne se savait pas mourant et qui se demanda quand le docteur avait téléphoné à la maison et pourquoi sa femme ne lui avait rien dit. Et Robert, soudain, pleura, parce que la vie lui manquerait. Sa famille, sa fille, sa petite ville : tout ceci lui manquerait. Et tous l’enlacèrent, promettant qu’ils viendraient le visiter à l’hôpital jusqu’à son dernier souffle et qu’ils ne l’oublieraient jamais.

Si Harry ne s’était pas rendu à la garden-party organisée par Tamara Quinn, c’est parce qu’il était au chevet de Nola. Aussitôt après que Pinkas lui avait annoncé la nouvelle, il s’était rendu à l’hôpital de Montburry où Nola avait été admise. Il était resté plusieurs heures sur le parking, au volant de sa voiture, à ne pas savoir que faire. Il se sentait coupable : si elle avait voulu mourir, c’était à cause de lui. Cette pensée lui avait donné envie de se tuer lui aussi. Il s’était laissé envahir par les émotions : il était en train de réaliser l’ampleur des sentiments qu’il éprouvait pour elle. Et il maudissait l’amour ; lorsqu’elle était là, tout près de lui, il était capable de se convaincre qu’il n’y avait pas de sentiments profonds entre eux et qu’il fallait qu’il l’écarte de sa vie, mais à présent qu’il avait risqué de la perdre, il ne s’imaginait plus vivre sans elle. Nola, Nola chérie. N-O-L-A. Il l’aimait tellement.

Il était dix-sept heures lorsqu’il osa finalement entrer dans l’hôpital. Il espéra n’y croiser personne, mais dans le hall principal, il tomba sur David Kellergan, les yeux rougis par les larmes.

— Révérend… J’ai appris pour Nola. Je suis vraiment désolé.

— Merci d’être venu témoigner de votre sympathie, Harry. Vous entendrez certainement dire que Nola a essayé de se suicider : ce n’est qu’un malheureux mensonge. Elle avait mal au crâne et s’est trompée de médicament. Elle est souvent distraite, comme tous les enfants.

— Bien sûr, répondit Harry. Saletés de médicaments. Dans quelle chambre se trouve Nola ? Je voudrais aller lui dire bonjour.

— C’est très aimable à vous, mais vous savez, il est préférable qu’elle évite les visites pour le moment. Il ne faut pas qu’elle se fatigue, vous comprenez.

Le révérend Kellergan avait néanmoins un petit livret avec lui que les visiteurs pouvaient signer. Après y avoir inscrit Prompt rétablissement. H. L. Quebert, Harry fit mine de partir et s’en alla se terrer dans la Chevrolet. Il attendit encore une heure, et lorsqu’il vit le révérend Kellergan traverser le parking pour regagner sa voiture, il retourna discrètement dans le bâtiment central de l’hôpital et se fit indiquer la chambre de Nola. Chambre 26, deuxième étage. Il frappa à la porte, le cœur battant. Aucune réponse. Il ouvrit la porte doucement : Nola était seule, assise sur le rebord du lit. Elle tourna la tête et le vit ; ses yeux s’illuminèrent d’abord, puis elle eut un air triste.

— Laissez-moi, Harry… Laissez-moi ou j’appelle les infirmières.

— Nola, je ne peux pas te laisser…

— Vous avez été si méchant, Harry. Je ne veux pas vous voir. Vous voir me cause du chagrin. À cause de vous, j’ai voulu mourir.

— Pardonne-moi, Nola…

— Je ne vous pardonnerai que si vous voulez de moi. Sinon, laissez-moi tranquille.

Elle le fixa dans les yeux ; il eut un air triste et coupable et elle ne put s’empêcher de lui sourire.

— Oh, Harry chéri, ne faites pas cette tête de chien malheureux. Promettez-vous de n’être plus jamais méchant ?

— Je le promets.

— Demandez-moi pardon pour tous ces jours où vous m’avez laissée seule devant votre porte sans jamais m’ouvrir.

— Je te demande pardon, Nola.

— Demandez-moi pardon mieux. Mettez-vous à genoux. À genoux et demandez-moi pardon.

Il s’agenouilla, sans plus réfléchir, et posa la tête sur ses genoux nus. Elle se pencha et lui caressa le visage.

— Relevez-vous, Harry. Et venez contre moi, mon chéri. Je vous aime. Je vous aime depuis le jour où je vous ai vu. Je veux être votre femme pour toujours.

Pendant que dans la petite chambre d’hôpital, Harry et Nola se retrouvaient, à Aurora, où la garden-party était terminée depuis plusieurs heures, Jenny, enfermée dans sa chambre, pleurait sa honte et son chagrin. Robert avait essayé de venir la réconforter, mais elle refusait d’ouvrir la porte. Tamara, elle, emportée par une colère noire, venait de quitter la maison pour aller chez Harry et obtenir des explications. Elle rata de peu le visiteur qui sonna à la porte moins de dix minutes après son départ. C’est Robert qui ouvrit la porte, découvrant Travis Dawn, les yeux clos, en uniforme de parade, lui présentant une brassée de roses et qui récita d’une traite :