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— Jenny-veux-tu-m’accompagner-au-bal-de-l’été-s’il-te-plaît-merci.

Robert éclata de rire.

— Bonjour, Travis, tu veux parler à Jenny peut-être ?

Travis ouvrit grands les yeux et étouffa un cri.

— M’sieur Quinn ? Je… Je suis désolé. Je suis tellement nul ! C’est juste que je voulais… Enfin, accepteriez-vous que j’emmène votre fille au bal de l’été ? Si elle est d’accord, évidemment. Enfin, peut-être bien qu’elle a déjà quelqu’un. Elle voit déjà quelqu’un, c’est ça, hein ? J’en étais sûr ! Quel imbécile je fais.

Robert donna une tape amicale sur l’épaule de Travis.

— Allons, mon garçon, tu ne pouvais pas tomber mieux. Entre.

Il conduisit le jeune officier à la cuisine et sortit une bière du frigo.

— Merci, dit Travis en posant ses fleurs sur le comptoir.

— Non, ça c’est pour moi. Toi, il te faut quelque chose de beaucoup plus fort.

Robert se saisit d’une bouteille de whisky et en servit un double sur quelques glaçons.

— Bois ça d’une traite, veux-tu.

Travis obéit. Robert reprit :

— Mon garçon, tu m’as l’air très nerveux. Tu dois te relaxer. Les filles n’aiment pas les garçons nerveux. Crois-moi, j’en sais quelque chose.

— Pourtant, je ne suis pas timide mais quand je vois Jenny, je suis comme bloqué. Je ne sais pas ce que c’est…

— C’est l’amour, fiston.

— Vous pensez ?

— Pour sûr.

— C’est vrai que votre fille, elle est formidable, M’sieur Quinn. Tellement douce, et intelligente, et si belle ! Je sais pas trop si je dois vous dire ça, mais parfois je passe devant le Clark’s juste pour la voir à travers la baie vitrée. Je la regarde… Je la regarde et je sens mon cœur exploser dans ma poitrine, comme si j’allais étouffer dans mon uniforme. C’est l’amour, hein ?

— Pour sûr.

— Et vous voyez, à ce moment-là, je veux sortir de voiture, entrer dans le Clark’s et lui demander comment elle va et si elle aurait pas par hasard envie d’aller au cinéma après son service. Mais j’ose jamais entrer. C’est l’amour aussi ?

— Nan, ça c’est la connerie. C’est comme ça qu’on passe à côté des filles qu’on aime. Faut pas être timide, mon garçon. T’es jeune, beau, t’as toutes les qualités.

— Qu’est-ce que je dois faire alors, M’sieur Quinn ?

Robert lui resservit un whisky.

— J’aurais bien fait descendre Jenny mais elle a eu une après-midi difficile. Si tu veux un conseil, avale ça et rentre chez toi : enlève cet uniforme et mets simplement une chemise. Ensuite, tu téléphones ici et tu proposes à Jenny de sortir dîner dehors. Tu lui dis que t’as envie d’aller manger un hamburger à Montburry. Il y a un restaurant qu’elle adore là-bas, je vais te donner l’adresse. Tu verras, tu pourras pas tomber mieux. Et pendant la soirée, quand tu vois que l’atmosphère est détendue, tu lui proposes une balade. Vous vous asseyez sur un banc, vous regardez les étoiles. Tu lui montres les constellations…

— Les constellations ? l’interrompit Travis, désespéré. Mais j’en connais aucune !

— Contente-toi de lui montrer la Grande Ourse.

— La Grande Ourse ? Je sais pas reconnaître la Grande Ourse ! Bon sang, je suis foutu !

— Bon, montre-lui n’importe quel point lumineux dans le ciel et donne-lui un nom au hasard. Les femmes trouvent toujours romantique qu’un garçon connaisse l’astronomie. Essaie juste de ne pas confondre une étoile filante avec un avion. Après ça, tu lui demandes si elle veut bien être ta cavalière pour le bal de l’été.

— Vous pensez qu’elle acceptera ?

— J’en suis sûr.

— Merci, M’sieur Quinn ! Merci beaucoup !

Après avoir renvoyé Travis chez lui, Robert s’employa à faire sortir Jenny de sa chambre. Ils mangèrent de la glace à la cuisine.

— Avec qui vais-je aller au bal maintenant, Pa’ ? demanda Jenny, malheureuse. Je vais être seule et tout le monde se moquera de moi.

— Ne dis pas des horreurs pareilles. Je suis certain qu’il y a des tas de garçons qui rêvent de t’y accompagner.

Jenny avala une énorme cuillerée de glace.

— J’aimerais bien savoir qui ! gémit-elle la bouche pleine. Parce que moi, je n’en connais aucun !

À cet instant, le téléphone sonna. Robert laissa sa fille répondre et l’entendit dire : « Ah, salut, Travis », « Oui ? », « Oui, avec plaisir », « Dans une demi-heure, c’est parfait. À tout de suite ». Elle raccrocha et s’empressa de venir raconter à son père que c’était son ami Travis qui venait d’appeler pour lui proposer d’aller dîner à Montburry. Robert s’efforça de prendre un air surpris :

— Tu vois, lui dit-il, je t’avais bien dit que tu n’irais pas toute seule au bal.

Au même instant, à Goose Cove, Tamara fouinait dans la maison déserte. Elle avait longuement tambouriné contre la porte, sans réponse : si Harry se cachait, elle allait venir le trouver. Mais il n’y avait personne et elle décida de procéder à une petite inspection. Elle commença par le salon, puis les chambres et enfin le bureau de Harry. Elle fouilla parmi les feuillets épars sur sa table de travail, jusqu’à trouver celui qu’il venait d’écrire :

Ma Nola, Nola chérie, Nola d’amour. Qu’as-tu fait ? Pourquoi vouloir mourir ? Est-ce à cause de moi ? Je t’aime, je t’aime plus que tout. Ne me quitte pas. Si tu meurs, je meurs. Tout ce qui importe dans ma vie, Nola, c’est toi. Quatre lettres : N-O-L-A.

Et Tamara, effarée, empocha le feuillet, bien décidée à détruire Harry Quebert.

19.

L’Affaire Harry Quebert

“ Les écrivains qui passent leur nuit à écrire, sont malades de caféine et fument des cigarettes roulées, sont un mythe, Marcus. Vous devez être discipliné, exactement comme pour les entraînements de boxe. Il y a des horaires à respecter, des exercices à répéter : gardez le rythme, soyez tenace et respectez un ordre impeccable dans vos affaires. Ce sont ces trois Cerbères qui vous protégeront du pire ennemi des écrivains.

— Qui est cet ennemi ?

— Le délai. Savez-vous ce que signifie un délai ?

— Non.

— Ça veut dire que votre cervelle, qui est capricieuse par essence, doit produire en un laps temps délimité par un autre. Exactement comme si vous êtes livreur et que votre patron exige de vous que vous soyez à tel endroit à telle heure très précise : vous devez vous débrouiller, et peu importe qu’il y ait du trafic ou que vous soyez victime d’une crevaison. Vous ne pouvez pas être en retard, sinon vous êtes foutu. C’est exactement la même chose avec les délais que vous imposera votre éditeur. Votre éditeur, c’est à la fois votre femme et votre patron : sans lui vous n’êtes rien, mais vous ne pouvez pas vous empêcher de le haïr. Surtout, respectez les délais, Marcus. Mais si vous pouvez vous payer ce luxe, jouez avec. C’est tellement plus amusant.”

C’est Tamara Quinn elle-même qui me raconta avoir volé le feuillet chez Harry. Elle me fit cette confidence le lendemain de notre discussion au Clark’s. Son récit ayant piqué ma curiosité, je pris la liberté d’aller la trouver chez elle pour qu’elle parle encore. Elle me reçut dans son salon, très excitée de l’intérêt que je lui portais. Citant sa déclaration faite à la police deux semaines plus tôt, je lui demandai comment elle avait été au courant de la relation entre Harry et Nola. C’est à ce moment qu’elle me parla de sa visite à Goose Cove le dimanche soir après la garden-party.