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Les gonzes continuent de s’égailler en piaillant. Vont et viennent. Ils pigent que je n’ai pas pu aller loin. Faut qu’ils m’alpaguent en vitesse.

Moi, je donnerais cher pour, tu sais quoi ? Connaître l’heure qu’il est. Je me dis que si le jour est proche je serai fait marron. Me faut encore des heures de noye pour que ces bougres se fatiguent bien, s’enrognent, se découragent.

Alors j’attends. Le sable finit par me paraître froid. Très lourd. Écrasant. N’importe, je tiendrai. Au ciel immense, la madame lune et ses demoiselles d’honneur se font reluire à tout va, bien dans les aplombs. M’est avis qu’il reste beaucoup d’obscurité à user… Very much.

* * *

Je te dirais que je finis par roupiller, t’en reviendrais pas ? Eh ben, reviens-z’en, car c’est textuel. Un dodo étouffant provoqué par ma faiblesse extrême. Lorsque je me réveille, secoué par un frisson acéré comme un coin de ferraille, il fait encore nuit, mais le grouillement a cessé. Simplement, du feu filtre dans les deux maisons (celle que j’ai quittée et celle qui sert de poste).

Pourvu qu’ils ne fassent pas venir des clébards, cette pire engeance. Tu veux parier qu’ils ont dépêché une estafette à la ville la plus proche pour faire quérir un médor renifleur ?

La tête me tourne. Mes frissons sont de plus en plus nombreux et intenses. Que faire ? Je vais pas rester dans mon sable, à évoquer les mémoires du cardinal de Retz ? Mais aller où ? Quelle planque dégauchir dans ce coin désertique ?

Je me dégage et me mets à ramper lentement, lentement, m’arrêtant tous les deux mètres pour écouter et regarder. Calme plat.

J’accélère mon allure. Tout à coup, je retiens un juron, comme on te dit dans les livres d’aventure, car j’ai failli, en jouant au lézard pressé, me filer la pipe dans un petit ravin circulaire aux parois absolument abruptes. Cela ressemble à une ancienne carrière. Ç’a été, visiblement, creusé par la main de l’homme. Au fond de l’excavation je découvre du linge mis à sécher sur des morceaux de bois. La lune a du mal à se faufiler jusqu’au cœur de ce gouffre.

Vacheté, le valdingue que j’ai failli m’offrir, mon neveu !

En me retenant, j’ai libéré une grosse motte de terre, tiens oui, au fait, à cet endroit ce n’est plus sableux. La motte constitue une minuscule avalanche qui parvient à destination avec un bruit sourd. Pourvu qu’on ne l’ait pas perçu du village !

Et voilà qu’on remue dans les profondeurs du trou. Une forme s’agite, puis une autre. Des chuchotements. Je bats en retraite. Mais ne peux m’éloigner parce que, figure-toi, une patrouille revient d’expédition avec armes et loupiotes. J’ai juste le temps de me blottir derrière une touffe épineuse. Là-bas, au village, le dromadaire blatère derechef, troublé par tout ça, ou bien qu’il appelle sa camel pour lui faire fumer le dargif ? Bon, très bien, les chiens n’aboient pas, mais la caravane passe. Tout retombe dans un calme biblique, superbe et généreux. Y’a des odeurs étranges, des sons nouveaux que je regrette de ne pas parfaitement déguster à cause de mon pansement.

Je me dis que ma mésaventure risque de tourner court. Cette manière d’être coincé à l’orée du patelin perdu aux confins du désert, tu parles. Et puis de quel désert s’agit-il, à propos ? T’as une idée, tézigue ? Note que si je suis en train de rêver, la chose importe peu. Seulement, si je ne rêve pas, dis ? Hein ?

Un glissement. Je bondis pour une volte car ça se passe derrière moi. Je vois alors une forme sortir du sol à quelques mètres de là. Celle d’une femme drapée dans des voiles. O.K., d’accord, c’est bien d’un songe qu’il s’agit. Une fille splendide, à la peau sombre, cuivrée, aux yeux de jade, de jais, de braise, de velours, d’anthracite, de feu et encore tu peux en rajouter une tinée, elle le mérite, d’autant que les mots sont faits pour servir, t’admets. Faut jamais chialer sur les substantifs, les utiliser sans vergogne ni arrière-pensée, qu’autrement ils rancissent. Cette femme, tu croirais la sainte Vierge Marie pleine de grâces dont le Seigneur est avec elle ; tellement son visage est pur, d’une nobilité naturelle impressionnante, oh là là, je comprends, ben mon vieux, des comme ça, merde ! Elle me regarde. Je aussi. Me sourit, ce qui me conforte inexplicablement. Tout ça dans un magistral clair de lune que même au Châtelet t’auras jamais vu le pareil.

Dans ses voiles clairs, elle fait apparition. Elle est incomplètement sortie du sol. S’y trouve encore enfoncée jusqu’aux mollets. Un petit instant bizarre s’écoule. La femme m’oblitère un geste. Très simple. Très noble, qui signifie « Tu ne m’inspires nulle crainte, bel étranger, et les circonstances qui font de toi un homme traqué par les miens ne sont pas de mes oignons. Accorde-moi ta confiance et suis-moi au royaume souterrain d’où je sors et où je retourne. Garde l’espérance en ton cœur que je sens inquiet. Je veux être pour toi source d’espoir et de guérison. » Voilà à peu près ce que veut dire son geste, alors tu vois qu’il n’y a pas de quoi nous en chier une pendule Empire, hein ?

Fasciné, j’approche d’elle.

M’aperçois, pour lors, qu’elle a toutes les commodités pour jaillir du sol, vu qu’une rampe en pente douce est creusée, qui descend dans l’excavation mentionnée à très peu de paragraphes au-dessus.

Je lui cueille la menotte. Une main fraîche, lisse, nerveuse…

Et on dévalle ce raidillon à contre-sens. Qu’au bout d’un certain nombre de mètres, tu sais quoi ? Nous voilà parvenus dans le fond du cratère. Et je m’aperçois que des portes sont pratiquées dans la terre crayeuse. S’agit d’une habitation troglodyte, ni plus ni moins. Sur le seuil de l’une d’elles, un très vieux type barbu de blanc, strié de rides, guette notre retour. Il virgule un mot à la personne pas feignante, elle lui en répond deux, me désigne une porte surélevée par rapport à celle du gars Mathusalem dont on accède par cinq marches taillées en biais dans le roc tendre. Je m’annonce dans une pièce-caverne qui fouette la tanière. Des brindilles flambent dans un âtre de fortune, en dégageant simultanément une lueur de tableaux hollandais et une fumée qui l’estompe et te pique la gorge, le nez, les roupettes, tout partout, quoi. Sur un tas de hardes, un enfant dort. Une fillette aux cheveux frisés serrés, visage d’ange sombre. On est en plein mysticisme, tu vois : la vierge, les anges, toute la panoplie, quoi ! C’est marrant, non ? Moi, ça me plaît assez, comme histoire. Y’a mieux, je t’accorde (à sauter), mais c’est Blücher. Alors, la dame des Millunenuits me désigne quelques vieux tapis accumulés dans un angle de la pièce. J’y laisse choir ce pourquoi je me bats et débats avec tant de farouche énergie depuis des lustres : moi. Ouf ! Une impression de douce sécurité m’amollit. Je me sens comme après un bain prolongé… Tu te souviens : est-ce que les personnages des rêves parlent français, toi ?

Manière d’en avoir le cœur net, je demande à la belle hôtesse si elle cause la langue de Molière. Elle me bajaffe quèque chose en arabe. J’essaie alors de l’anglais. The bide. J’aurais ma méthode à six mille d’arabe, secco je la potasserais pour pouvoir allumer une converse, mais ta bibliothèque te suit rarement dans les délires, tu remarqueras.