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Un long bain à l'hôtel Bouvard et Pécuchet et je me retrouve à neuf, ivre de bonheur. Coup de turlu à Féloche afin de la rassurer. Le happy end l'éclate en sanglots de soulagement. Justement, Marie-Marie vient d'arriver, elle veut me la passer. Prudent, je coupe la communication pour ne pas entendre les imprécations de la Musaraigne. Délivrée de sa mortelle angoisse, elle va se calmer en attendant notre retour.

Petit somme réparateur en l'absence du Bronzé qui n'en finit pas de ne pas revenir. Il doit tenir la main de sa femme et lui caresser la motte (il est ambidextre). Le printemps chante en moi. Je trique en évoquant l'exquise petite assistante médicale qui m'a mis sur la bonne voie en me parlant du morceau de carte routière envolée. J'irai la visiter sans tarder. Lui placerai ma menteuse de caméléon en spirale. Comme prévu : auberge du Plat d'Etain, fenêtres sur campagne baignée de pluie, hymne du bidet puis du sommier, langue longitudinale depuis ma tête chercheuse jusqu'aux deux maracas. La vraie fiesta françoise ! Je me sens follement heureux ! Délivré ! Conquérant ! Invincible !

Quoi encore ? Non, rien ; ça va comme ça.

Retour à la clinique. Ramadé, gavée de tranquillisants, roupille. J'avais jamais remarqué combien elle est belle, cette sœur ! Dommage qu'elle soit la femme d'un ami absolu.

D'en ce qui concerne MA petite chougnette, ça boume. Elle joue en compagnie d'une infirmière qui lui a confectionné une poupée à l'aide d'une pomme, d'une chaussette et d'un mouchoir. Aucune Barbie ne saurait plaire davantage. Les enfants sont des poètes ; ils ont besoin d'inventer leurs jouets.

Je la regarde s'amuser comme un mélimélomane écoute de la grande musique dans la basilique de Vézelay. La fenêtre s'obscurcit ; les loupiotes s'allument dans l'établissement.

Soudain Blanc réapparaît.

— Où étais-tu ? le questionné-je.

Haussage d'épaules.

— Tu es retourné « là-bas » ?

Il acquiesce.

— Pour t'emparer de cette abomination de gourou ?

— Oui.

— Et alors ?

— Il a disparu. Les gendarmes l'ont laissé sans surveillance.

Je grimace et finis par murmurer :

— Baste, avec sa gueule et son obésité, il n'ira pas loin. La chiasse c'est qu'il va donner l'alerte à ses complices.

Une brève conciliabulation succède. Nous décidons de rentrer à Paname avec Antoinette. Ramadé récupérera au cours de la nuit tandis que Jérémie s'occupera de ses mômes.

* * *

Au bon accueil !

Des instants pareils, je te les recommande. Ils sont idéals pour préparer une crise cardiaque. Marie-Marie saisit sa fille dans ses bras et la presse contre elle farouchement.

— Maman, maman, gazouille la jolie chérie, heureuse de retrouver sa mère.

Cette dernière monte à l'étage sans me regarder.

Je m'assieds sur l'une des chaises du vestibule. Envie de me mettre deux doigts dans le gosier ; mais parvient-on à se dégueuler soi-même ?

Félicie s'approche, pose ses mains sur mes tempes.

— Quelle épreuve ! soupire-t-elle.

N'a pas envie de s'enquérir. Dire quoi, puisque la gosse est de retour, intacte…

De mon côté, c'est le vide, un néant tendance grisâtre. J'appuie ma tête contre le mur, près d'un tableautin représentant des potirons peints par mon dabe qui aimait barbouiller, parfois.

T'as des moments où l'existence déborde, comme une fosse d'aisance en crue.

M'man murmure :

— Que comptes-tu faire de Mme Selma ?

J'essaie de me désembrouiller les muqueuses du cerveau.

— Qui ça ?

— La nurse d'Antoinette.

Si je te disais que je l'avais oubliée, cette grosse vachasse !

— Elle est toujours menottée à son lit, reprend ma mère. Ce n'est pas très pratique… Heureusement, j'avais conservé le bassin de grand-mère.

— Comment réagit-elle ?

— Elle pleure sans discontinuer ; tu sais, je ne pense pas que ce soit une mauvaise femme.

Je pose un baiser sur le dos de sa main.

— Avec toi, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !

Je vais pour grimper l'escadrin lorsque je vois déboucher Marie-Marie, notre mouflette d'une main, une valise de l'autre.

— Où allez-vous ? demandé-je.

Mais ne le sais-je pas déjà !

Elle me contemple longuement, avec une émotion contenue.

— Vois-tu, Antoine, je regrette de t'avoir appris ta paternité. Je viens de comprendre, et de cruelle façon, que tu n'es pas fait pour être père. Un homme comme toi, ça reste solitaire, avec une maman qui l'attend et des femmes à chaque carrefour. Ta seule épouse, c'est l'aventure ; ton seul ami, le danger. Nous retournons en Suède où je chercherai une autre nurse.

« Quand l'envie te prendra (si elle te prend) de revoir Antoinette, viens à Stockholm. Peut-être qu'un jour, te sentant vieillissant et n'ayant plus ta mère, tu décideras de raccrocher. En ce cas tu pourras te réfugier sur les rives du lac Mälaren ou de la Baltique. Il se peut que je me sois remariée, mais quelle importance, puisque tu es pour toujours l'homme de ma vie ? »

Et voilà.

M'man pleurait ; moi également.

J'ai serré ma petite fille sur mon cœur pour sentir battre le sien.

Je n'ai rien dit.

Il n'y avait rien à dire.

Elles sont parties.

La vie c'est comme ça.

28.

CHASSE À CORPS

Je me souviens d'un taureau qui ne voulait pas mourir ; à l'époque où j'aimais encore la corrida. Je m'imaginais que c'était l'un des derniers vrais spectacles au monde, avec la boxe. J'étais sensible au cérémonial, aux habits de lumière, au sang. Au sang, surtout !

Je revois ce lourd taureau noir écumant, percé de toutes parts, hérissé de banderilles multicolores, l'épée enfoncée de guingois dans son dos invincible.

Un torero de mes fesses, conspué par la foule, tentait de lui planter la lame de la puntilla dans le cerveau, mais l'animal, transcendé par son agonie méprisante s'obstinait à rester campé sur ses pattes. Il refusait moins sa mort que la victoire du triste héros chamarré affolé par ses honteuses maladresses.

En cet instant, c'est moi le taureau blessé, à l'agonie dodelinante.

Moi, qui titube, soûlé de chagrin. Mais personne ne m'acclame. Au contraire, un silence me condamne.

Comment fait-on pour continuer sa vie après une pareille estocade ?

Heureusement, le Seigneur est là, qui vigile.

Une bourrasque déboule, aux senteurs d'ail. Une voix, évoquant un concours de pets dans une contrebasse, éclate :

— Toive, alors, tu m' la copyright ! La journée à morfonde dans c' putain d' camion rital !

Je pose sur lui un regard plus lointain que Pluton.

Le Mastard poursuit ses incriminations :

— Je croivais qu'tu m'avais laissé un message sur où vous alliez, mais chibre ! Et c' tordu dont t'as zingué les fumerons qu'en finissait pas de gueuler, n'au point qu' j'ai dû lu farder les pommettes av'c la crosse d' mon riboustin pour l'endormir ! Pourtant, ça n'a pas été du temps complètement perdu !

Il me guigne, dans l'attente d'une rafale de questions. Mon apathie (laquelle ne vient pas qu'en mangeant) le déconcerte.

— Secouve-toi, Grand, murmure-t-il, on la retrouvevera, ta mouflette !

Pauvre connard ! Il ne sait pas encore que je viens de la perdre pour la seconde fois !

— Bon, j' vais t' dire…

Il remet sa couille droite en place, c'est-à-dire à gauche du bénoche, vu qu'il porte côté cœur.