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Depuis la survenance de Jérémie, Béru ne braque plus Blood, mais bricole dans un coin du salon.

Que fabrique-t-il ?

Je m'abstiens de le lui demander tant il semble mobilisé par sa tâche. Je désigne la cave à liqueurs trônant près d'un canapé.

— Tu devrais nous servir un petit quelque chose, Jéjé, j'ai la menteuse en os de seiche !

Il obéit avec empressement.

— Je nous prépare un Baccardi ?

— Yes, mec, avec très peu de grenadine.

Pendant qu'il manie le shaker, je me rapproche davantage du Vilain dont le tarbouif sectionné raisine sans discontinuer.

— Personne ne saurait désormais te mener par le bout du nez, plaisanté-je.

Il trouve ma remarque de mauvais goût. Elle est facile, mais quoi, on peut se relâcher après d'aussi dures aventures, non ?

— Maintenant, comme point d'orgue, parlons de la fameuse petite boîte en or, fais-je d'un ton sans réplique.

Il branle le chef. Que voudrais-tu qu'il branlât à son âge pontifical ?

— Où est-elle ? croasse le corbaque.

— Non : c'est moi qui questionne, ne l'as-tu pas encore compris, momie démaillotée ?

Il renfrogne kif un hibou au bec coupé.

— A quoi rime ce délicat objet ressemblant à quelque téléphone archiminiaturisé ?

Jérémie me présente une boisson rose décorée d'une tranche de citron (en anglais : lemon).

— Il est à ta botte, ce cocktail ?

Je goûte.

— Excellent dosage, fils.

— Tu vois, si je n'aimais pas tant mon métier de flic, barman, ça m'aurait plu.

— Tu pourras toujours t'y mettre, la retraite venue.

Puis, faisant front au père la Clapote :

— Alors, cette boîte ?

— La détenez-vous ? s'obstine-t-il.

— Admettons.

Il étanche son sang d'un revers de manche.

— Un appareil comme celui-ci, il n'en existe pas dix dans le monde !

— Ça ne m'apprend rien sur sa signification.

— Cette chose a été mise au point par le F.B.I. Elle est réservée à des individus supra-privilégiés. Son détenteur est assuré d'une protection totale sur l'ensemble de la planète. Il suffit de programmer le code pour qu'aussitôt le Bureau Fédéral d'Enquêtes intervienne et se porte au secours de son possesseur.

— Rien que ça ? réagis-je, abasourdi.

Je ramasse ma surprise et la glisse dans la poche de sûreté de mon slip exténué.

— Votre ami David Grey avait droit à l'un de ces gadgets ?

— Ça vous donne une idée de sa puissance !

— Il était de mèche avec les Fédés ?

— Sa principale qualité consistait à se rendre indispensable ; même le Président faisait appel à ses services.

Re-méditance du prodigieux Sana, l'homme capable de remplacer tout le monde mais qui reste irremplaçable.

— Vous avez mis notre univers à sang et à feu afin de vous approprier cet appareil, il est donc transmissible ?

— Il me le fallait absolument pour contrer le F.B.I., et puis je suis le successeur de Grey, non ?

— Son assassin, voulez-vous dire.

— L'Histoire fourmille d'exemples où le dauphin tue le roi pour régner.

Nouveau silence.

— Parfait, dis-je. Eh bien, je vais clore l'instruction de ce dossier.

Le Mammouth, dont l'opération brico-loisir semble achevée, s'avance.

— J' croive qu' mon heure à moi est v'nue ! assure-t-il, péremptoire.

— L'heure de quoi ? demande Blanc.

— D'arrêter l' compteur d' mossieur.

Il s'explique :

— Voiliez-vous, les gars, c't'à présent qu' les choses arrivent aux points cruciaux. C'gus, ça fait des jours qu'on rêve d'y couper les burnes et d' l'empaler su' la grille du Luxembourg. Mais, mauviettes d' l'âme tels qu' j' vous sens, v's' êtes prêts à y ach'ter un manteau fourré pou' l'hiver, pas qu'y prende froid. N'alors, le Gros Béru qu'est z'un homme just' et fort va châtimenter c't'erreur humaine comme elle' l' mérite. V'z'allez voir, c't'assez plaisant.

Il a tout préparé pour l'accomplissement de son noir projet, Bibendum : des liens, naturellement, sans lesquels rien n'est réalisable de manière confortable. Il saucissonne Blood sur son fauteuil, le dos plaqué au dossier. Une seconde partie de l'entravage consiste à maintenir sa tronche rigoureusement fixe. Ensuite, il va quérir l'appareil qu'il a confectionné à l'écart. Un truc indécis, bizarre, sans utilité apparente.

Le parfait adepte du système « D » pince ce qui subsiste de tarin à Blood.

— Ouv' grand la gueule, bonhomme. Allons ! Plus large qu' ça, feignasse ! Moui ! Ça doit boomer. Montre voir ? Jockey ! N'à présent, j' te place mon engin.

Il enquille dans cette gueule dégarnie et béante la chose réalisée avec le bac à glaçons métallique. Ce n'est ni plus ni moins qu'un ouvre-bouche comme en usent les dentistes pour maintenir la trappe de leurs clilles ouverte.

Tu verrais la Terreur U.S., t'en resterais comme le bandage herniaire de Maurice Druon sur son serviteur muet. Terrible et cocasse à la fois. Tragique, en tout cas !

Le Dark et moi suivons, fascinés, les moindres gestes de notre confrère.

Ces préparatifs achevés, le Yéti des comptoirs va délivrer notre prisonnière de la cage à rat qui tant la terrorise. Elle tremble (non : je ne dirai pas « comme une feuille ») comme la pointe de tes seins lorsque je les titille de ma langue.

Le révérend Machopine entrouvre la nasse et coule sa formidable dextre à l'intérieur.

— Tu vas te faire mordre ! lance Jérémie.

— On voye qu' t'as pas été zélevé à Saint-Locdu ! riposte Sa Bedonnance. Moive, les ratons, qu'y soyent laveurs ou non, y m'ont à la bonne.

Effectivement, il se saisit du rongeur, par-derrière, comme un pêcheur de truites, l'index et le pouce formant collier.

— Qu'est-ce que tu maquilles ? balbutié-je, craignant de piger.

Le Gros ne répond pas. Il engage la tête du muridé dans la bouche béante du Ricain, puis pousse l'animal au maximum en direction de sa gorge. Blood vagit de terreur, éructe, libère des spasmes monstrueux.

— Bon gu ! Tu vas rentrer à bout ! fait le bourreau en comprimant le cul du gaspard.

Il parvient à ses fins sans trop de mal. Dans l'impossibilité où elle se trouve de reculer, la bestiole avance, étouffant le roi de la pègre étasunienne.

— Eh bien ! nous y sont ! annonce Alexandre-Benoît en retirant son ouvre-bouche. Ce qu'j'voulais organiser dans la chaglatte à Mam'selle Dolly, j' l'ai fait dans l'clapoir à M'sieur !

Maintenant il utilise la cravate du « patient » pour le bâillonner.

Scène atroce !

Le vieux bandit se trémousse, émet des sons rauques abominables. Il violit ! L'asphyxie jointe à l'horreur causée par son locataire le plonge dans des affres indicibles.

— Il faut faire quelque chose ! éclaté-je.

— C'est fait, rétorque le Valeureux, non sans humour.

Je tire sur la cravate qui muselle le forban, mais rien ne se passe : le rat descend déjà dans ses profondeurs.

34.

LA GRANDE PURIFICATION

Question : le rat va-t-il mourir d'asphyxie, lui aussi ? Probable. C'est un mammifère comme nous, extrêmement semblable même, puisqu'on l'utilise pour des expériences scientifiques à la place des humains.

Le Négus et moi restons là, inertes, glacés d'effroi.

Crimes et châtiments, répété-je.

Mais quels crimes ! Et surtout quels châtiments !

— Nom de Dieu de garce ! clame tout à coup le Mammouth !