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Pendant l'heure du déjeuner, un garçon de cabine promenait son aspirateur en laisse dans la coursive quand une odeur âcre désobligea son olfactif. Troublé, il frappa à la porte. Nul ne répondant, il utilisa son passe.

Il devait se rappeler longtemps le spectacle : face à l'entrée, une femme cambrée dans un fauteuil d'acajou, le buste renversé, les jambes écartées à l'extrême, la craquette béante.

— Oh ! pardon, bredouilla le marin-valet de chambre, un Jaune de trente-deux ans qui en paraissait douze.

Il relourda précipitamment. Son cœur s'accéléra malgré l'impassibilité asiate. C'était son premier con français, d'un châtain harmonieux ; il en fut profondément troublé. Il demeura immobile un bout, ressassant le gracieux tableau. Ensuite, l'esprit de réflexion lui revint, lesté de questions. Pourquoi cette personne si ouverte n'avait-elle pas répondu à ses « toc-toc », ni réagi à son intrusion. D'où provenait l'insidieuse odeur ? Comment se faisait-il que le vieux bonhomme occupant la cabine soit absent ?

Il donna un sucre à son aspirateur, ponctué d'une petite tape amitieuse sur la carène en lui demandant de se tenir tranquille et s'en fut alerter le commissaire du bord.

* * *

La croisière s'achevait le lendemain à Toulon. Les autorités étaient parvenues à tenir l'aventure secrète. On avait drivé M. Félix à l'infirmerie où la jeune assistante du médecin fut stupéfiée par l'ampleur de son membre. En cachette, elle réalisa des photos à l'intention de ses amies.

L'on plaça la pauvre Valérie Demeuil à la morgue dans un modeste cercueil de bois blanc en attendant que sa famille choisisse une boîte plus compatible avec son niveau social.

L'aumônier, un vieux routard de l'Église, prononça une prière évasive. Il ne la fit pas de bon cœur car il avait appris les circonstances entourant ce trépas.

Une fois à terre, une commission rogatoire procéda à un brouillon d'enquête qui se révéla négative.

Et l'on transporta le doux Galochard à l'hôpital où son état fut jugé sérieux. Le normalien anomalien avait été incommodé par le gaz plus gravement qu'il ne le pensait.

Au cours de son transfert du bateau à l'établissement public, l'ambulance fut suivie par une fourgonnette jaune frappée du sigle des Postes.

Mais que ce détail reste entre nous !

9.

S'IL EXISTE DES SURHOMMES, SALAMI EST UN SURCHIEN

Ingratitude humaine. Accaparé totalement par les tragiques événements relatés plus avant, j'ai totalement oublié Salami. C'est lui, l'adorable hound, qui vient gratter à la porte pendant que « nous nous occupons » de l'abominable Selma.

— Viens, mon bon chien ! fais-je, la main flatteuse, la voix caressante.

Il entre et se plante devant la menottée, émet un sourd aboiement.

— Tu as compris que cette femme est un vieux lavement expulsé ? lui demandé-je.

D'un grondement il acquiesce. Puis s'approche du petit lit vide de ma fille, le hume longuement.

— Pendant quelques heures, il y a eu là un autre enfant, lui précisé-je. Il se trouve présentement à la cuisine, tu pourras établir la différence ?

Il dégaine sa queue de sous son ventre pour la brandir trompette.

— Nous allons tout mettre en œuvre pour récupérer la petite au plus vite, t'es d'accord ?

Nouvelle approbation canine.

— Je compte sur tes dons exceptionnels pour nous aider dans cette tâche.

Tu sais quoi ?

Ce prodigieux animal me virgule un regard de compassion, puis me file un coup de menteuse sur le dos de la main. N'ensuite, se met au turbin. Renifle la carrée avec minutie, s'attardant sur la poupée qui gît dans un coin pour, de là, se pointer à la fenêtre fermée.

Fermée par qui ? Par la nurse, naturellement !

Il manifeste le désir que je l'ouvre.

Ce dont.

Marrant de le voir dressé sur ses courtes pattes arrière. Le hound hume à s'en faire craquer la truffe. Allant jusqu'à se pencher sous la barre d'appui. Puis il se retire précipitamment et quitte la chambre.

Bérurier, terrassé par la masse d'émotions qui lui a chu sur la coloquinte, dort en travers du plumard près de la nurse assise et menottée.

Charmant couple ! Que j'abandonne provisoirement afin de rejoindre mon doux clébard, sous la fenêtre par laquelle s'est perpétré le rapt.

A cet endroit, un massif d'iris, fleur que m'man affectionne particulièrement, à cause de son côté demi-deuil, probable.

Salami explore les touffes rigides de façon frénétique en geignant d'excitation. Quelques-unes ont été brisées et les marques d'une échelle se lisent dans la plate-bande. Mon quadrupote ragaillardise rapidement. Il n'est que de le voir saccager les iris féliciens pour s'en rendre compte, marquis ou duc ! Il s'enrogne : cette façon d'émettre des gémissements exaspérés ! l'on dirait qu'il traque une taupe. Ses pattes antérieures se mettent de la partie.

Il finit par obtenir ce qu'il cherche avec tant de véhémence : une carte magnétique remplaçant la clé de la chambre, dans certains hôtels.

Je la lui prends des babines, terreuse et dégoulinante de salive. Sur le rectangle de plastique figure le blase de l'établissement :

Hôtel des Horizons
128, rue Joseph de Maistre. PARIS 18e.

Cette trouvaille me rend songeur. Se peut-il qu'un kidnappeur laisse son adresse sur les lieux du rapt ?

Je sais que l'existence est pleine de ratés et que les criminels les mieux organisés ont souvent été trahis par des détails stupides. Je glisse le sésame dans ma vague et suis mon compagnon qui pattoune en direction de la grille. « Bon, songé-je, il va flairer le caniveau, me « dire » qu'il a retapissé la guinde ayant servi à l'enlèvement ; puis après ? Je serai gros Jean Valjean comme devant ! »

Eh bien, ton pauvre Sana, cher ami, se carre l'index dans le lampion jusqu'au petit juif. Une fois hors de la propriété, mon chien renifle effectivement les abords, mais au lieu de tourner en rond ou de décrire des allées et venues, il continue sa route à pas comptés, kif le toutou de dessin animé prenant l'air innocent pour s'approcher d'un chat assoupi.

Il va de la sorte jusqu'au square Gandelin-Morbaque planté de marronniers, en bordure duquel se dresse le kiosque à journaux tenu par Mme Auculuis, personne d'un âge certain, aux mains irrémédiablement souillées par la manipulation des imprimés. Ma surprise est grande de le trouver fermé. Des quotidiens attachés avec des ficelles forment une pyramide devant la petite construction.

Le clebs se dirige, la truffe à ras de terre, vers la porte du kiosque, située à l'arrière. En réalité, il ne s'agit pas d'une lourde traditionnelle, mais d'un étroit rideau de fer identique à celui de la devanture. Le basset gratte la tôle ondulée.

De plus en plus surpris, je saisis la poignée métallique placée au bas du volet et tire dessus. Infermé à clé, le volet s'enroule extrêmement volontiers. Une forte odeur d'encre me caresse les naseaux. J'aime ce parfum de papier noirci.

Je veux entrer dans la guitoune, mais bute sur les jambes de la mère Auculuis allongée sur le sol. Je me souviens alors qu'il arrive à la digne personne de roupiller parfois dans son estanco car elle habite loin d'ici, du côté de La Courneuve, et a tendance à se flasher au Ricard pur. Fectivement, l'est étendue sur un matelas baveux, une couvrante en tas à côté d'elle.

— Madame Auculuis ! la hélé-je.

Je comprends qu'elle ne répondra pas en apercevant le formide coup de lingue qui la jugule d'une oreille à l'autre. La brave femme est déjà raide comme le membre béruréen en état de grâce.

Un rapide examen de ce réduit me permet de constater l'effraction de son tiroir-caisse et la présence de menues monnaies éparses dans la cambuse. Simulacre, bien sûr, je t'en foutrais mes cheveux à couper !