Выбрать главу

Il soupire :

— Je vous laisse cinq minutes pour prendre votre décision, en attendant allez me quérir madame votre mère.

Je vais.

— Madame, lui dit le président, permettez-moi de vous dire que je n’ai jamais dégusté des ris de veau pareils ! Vous êtes géniale ! Vous les faites meunière, n’est-ce pas ? Mais, cette sauce dont ils sont nappés ? Au xérès ? Je m’en doutais ! Avec des raisins muscat secs ! Prodigieux ! Et cet arrière-goût enchanteur ? Un peu de jus d’orange ? Je vous aime ! Puis-je vous envoyer mon chef de l’Elysée ? J’aimerais que vous lui enseigniez votre recette ! Qu’il la mette au point, madame, sous votre houlette ! Faites-le pour la France ! Vous imaginez, la mère Thatcher flanquant son museau là-dedans ? Et Sa Majesté Hassan II, si fin gourmet, dont les papilles gustatives sont aussi subtiles que ses cellules grises ! Elle me suppliera de lui prêter mon chef pour son jubilée.

« Madame, j’aimerais vous décorer de l’Ordre du Mérite, car si une personne est méritante c’est bien vous ! Je vais demander à votre fils de me faire tenir votre curriculum vitae. C’est dit : vous serez de la prochaine ! »

Maman se retire, bouleversée, en larmes. Dans la pièce voisine, Béru se déchaîne. Il passe de la petite Amélie à ces Trois orfèvres qui eurent tant à se plaindre du chaton de la maison.

— Il y a de l’ambiance, chez vous ! ironise le président.

Il boit délicatement un demi-verre de vin. Il a des grâces d’académicien d’avant-guerre. D’ailleurs, je l’imagine, plus tard, après sa corvée de septennat, dans son bel habit vert. Par habitude de régnant, il coiffera le bicorne de travers et passera trois doigts de sa main dans le gilet. Cher homme ! Dont je sais si bien tout !

— Vous avez réfléchi, mon cher ?

— Je n’ai pas besoin de réfléchir pour accepter, mon empereur !

Il me pince l’oreille.

— Petit canaillou ! Je ne doutais pas un instant de votre décision. Vous serez rémunéré par la caisse noire, très confortablement, croyez-le.

— Je ne suis pas un homme d’argent, monsieur le président.

— Mais moi, je suis un homme d’honneur !

Il s’esclaffe.

— Donneur, en un seul mot !

— J’avais cru le comprendre, la chose allant de soi et toute confusion paraissant difficile, monsieur le président.

— Bon, cela étant dit, admis, conclu, j’ai une première mission à vous confier.

— A vos ordres !

Il rentre sa tête dans ses épaules, disparaissant ainsi dans la touffeur du cache-nez, comme un naja marocain dans son couffin lorsque son montreur cesse de lui jouer de la flûte.

— Pas ici !

— Que craignez-vous, monsieur le président, des micros cachés ? Nous ne sommes pas dans une ambassade.

— Les portes, tout comme les murs, ont des oreilles, mon bon ! Allons dans le jardin.

Je fais droit à sa demande, comme on dit puis lorsque nous longeons le vestibule, Pinuche sort des gogues en rafougnant ses guenilles. Comme les oignons, il a des couches de pelures superposées, ce qui lui pose toujours des problèmes quand il s’agit de se reloquer car il n’ajuste pas toujours les bons boutons aux bonnes boutonnières.

Pour lors, gêné par son troisième tricot de flanelle, il a fixé le bouton de son caleçon à une boutonnière de sa chemise à longs pans. Agacé, il pose sa veste et me la tend.

— Tu permets, une seconde, Antoine ?

Ensuite il ôte son grand gilet de laine flasque qui ressemble à un agneau crevé et le présente au président.

— Si ça ne vous ennuie pas, cher monsieur…

Ahuri, le Premier des Français (à avoir le téléphone rouge) se saisit de la chose déprimante. Pinuche reprend dès lors sa manœuvre au départ, déboutonne son futal, déploie ses hardes intimes, les plie minutieusement comme un parachutiste plie son parachute avant le grand saut, puis lentement s’hermétise.

Il nous libère progressivement de ses frusques.

— Trop aimables, nous dit-il.

Il n’a même pas jeté un œil à mon hôte et pénètre dans le living, guilleret.

— Vous êtes entouré d’êtres assez pittoresques, note le président.

— Ils ont une âme, objecté-je. Des caleçons longs, mais une âme.

Comme on va passer la porte, les deux gorilles se pointent. L’Illustrissime les calme de la main.

— Non, non, laissez, nous prenons l’air dans le jardin.

Le président m’empare le bras, familièrement. D’instinct, il nous conduit sous la tonnelle. On se dépose sur le petit banc que j’ai acheté il y a mèche au B.H.V. et que, scrupuleusement, je repeins en vert anglais à chaque printemps.

Il pose son coude sur le dossier, approche sa bouche pour secrets diplomatiques de mon oreille pour secrets d’alcôves.

— Attention, je précise une dernière fois, San-Antonio : c’est top-secret !

J’acquiesce sobrement.

Alors il se met à parler. Voix à peine perceptible, mais qui a le souci de parfaitement articuler. J’écoute, immobile, statufié par la discrétion.

Si tu crois que je vais te raconter, tu te goures, mon pote ! On a dit « top-secret », non ?

Le président s’exprime longuement. Peu à peu, j’ai l’impression d’avoir coiffé un casque d’écoute et de capter un message en provenance d’un satellite.

Cela dure, dure, dure.

J’enregistre au fur et à mesure. Il me laisse tout le temps de mémoriser.

Puis il se tait.

Le silence qui suit est mélodieux comme le bombardement de Pearl Harbor.

Que de pensées ! Un bouillonnement qui n’est pas sans ressembler à celui que produit de l’acide chlorhydrique sur de la chaux vive.

— Vous me semblez troublé, San-Antonio ?

— Simple travail mental de mise en place, monsieur le président.

— Quand comptez-vous partir ?

— Par le premier avion.

— Bravo ! Vous y allez seul ?

— Dans un premier temps, oui, monsieur le président, mais une fois au cœur du problème, peut-être ferai-je venir mes deux coéquipiers. En attendant, ils ont du travail ici.

Le Magnanime me tend sa belle main frileuse d’écrivain fourvoyé dans la politique.

— J’apprécie votre esprit de décision, mon cher. A vrai dire, je vous apprécie en bloc. Quelque chose en vous me touche. Vous n’êtes pas un flagorneur, pas même un courtisan. Nous parlons d’homme à homme. Bon, cela dit, jouons un peu ; il vous faudra un nom de code et un mot de passe pour m’atteindre, puisque, officiellement, c’est terminé nous deux. A cause des talents de cordon-bleu de votre chère maman, je vais vous baptiser Henri Deveau (ris de veau, vous saisissez ?). Quant au mot de passe ce sera : « Laissez pousser les asperges ». Maintenant voici le numéro de ma ligne privée. Ouvrez vos méninges !

— Pour un simple numéro de téléphone, il me suffit de les entrebâiller, monsieur le président.

Il rit.

Henri rit.

De veau !

PET SUR LA TERRE

Tu vois, c’est dans des cas comme ça que je me pose des questions sur moi-même.

Et les questions qu’on se pose sur soi-même sont toujours les plus angoissantes ; en tout cas les plus difficiles à éclaircir, j’ai remarqué !

Je te prends Marie-Marie.

La manière fougueuse que je me la suis agglomérée, la môme ! Le côté : « Vire-moi ce con, et par ici la bonne soupe ! ».