Valentine prétend alors qu’elle a aperçu O’Brien en train de quitter sa loge précipitamment pendant la représentation. Les poulagas fouillent le vestiaire de mon petit compagnon et, t’as deviné ? Ils dénichent la foutue minaudière dans la poche de son imper… Ils veulent embastiller O’Brien, mais le directeur du théâtre intervient. Il raconte aux flics la haine de la vedette pour le contrôleur, et leur démontre qu’elle n’a pu voir le vieux quitter sa loge au moment où elle le prétend, car elle n’avait pas le temps matériel de venir jusqu’au couloir pendant sa brève sortie de scène. Cet homme juste est si convaincant que les archers rendent sèchement sa minaudière à Valentine et s’esbignent.
Furieusement, l’autre pécore se met à crier au charron.
Elle fait un tel foin que le dirluche décide de suspendre les représentations, lesquelles touchaient d’ailleurs à leur fin.
Cet épisode est resté sur la patate du vieux bonhomme.
Il est allé jusqu’à Lourdes prier pour que Valentine crève vilainement, ou soit au moins défigurée Mais la Sainte Vierge est trop indulgente et s’est contentée d’une demi-mesure. Curieusement, à partir de là, la carrière de la Gleenon est partie en couille. Elle a ramassé plusieurs fours, et puis elle s’est mise à picoler, elle a cessé de travailler par la force des choses.
Elle est devenue grosse et plus baisable. Maintenant, elle vit dans une petite maison de Malahide, à quelques miles de Dublin ; O’Brien l’a rencontrée, l’an dernier dans Grafton Street. Il a failli ne pas la reconnaître.
— Elle est devenue plus ronde que la Terre, mon cher Belge. On dirait qu’elle roule au lieu de marcher. Sa tête, c’est celle d’une sorcière. Elle m’a aperçu et m’a crié : « Eh ! Patk, tu m’offres un verre ? » Bien que j’aie toujours été d’une grande correction avec les dames, je lui ai tiré un bras d’honneur. Alors elle s’est mise à me traiter de voleur, de sale nain, de pot à merde et je ne sais quoi encore. Comme quoi, on a beau croire, mais la vie ne change jamais les gens. Elle les rend seulement plus moches et plus mauvais. Vous pensez aller à Malahide lui porter le salut de votre père ? Franchement, elle n’en vaut pas le dérangement. Toutefois, Belge, si vous vous décidez, il vous faudra prendre l’autobus 42.
Je le remercie et lui déclare que, décidément non, après ce qu’il vient de me raconter, je n’ai plus le cœur à rencontrer cette dame.
Il paraît satisfait, hoche la tête et me sourit.
— Eh bien, je vous remercie, monsieur O’Brien, fais-je. Toutefois, avant de vous quitter, j’aimerais vous redire encore que je ne suis pas belge ; mais alors pas belge du tout !
Le vieux mec a dû voir jouer Some like it hot car il murmure, le nez déjà plongé dans son vase de bière :
— Et alors, Sir ? A l’impossible nul n’est tenu !
POURQUOI PAS ?
Au Shelbourne, une lettre exprès m’attend.
Six pages signées Bérurier, et qui commencent par : Salut, mec, j’vais t’êt’ bref le…
Je réserve son poulet pour mon après-douche.
Brusquement, je me sens un peu beaucoup déconcerté. Tant de choses… Tant de gens… Celles et ceux que j’ai laissés à Pantruche : l’affaire Lesbrouf, maman, Marie-Marie, Pinuche, le Gros… Et puis, ici, le mystère Larry Golhade. Enfin, ma mission. J’ai déjà deux tuyaux précieux la concernant : Valentine Gleenon vit toujours ; elle demeure à Malahide… Mais à quel saint me vouer ? A quoi donner la priorité ?
L’affaire du président puisque je suis sur place. A tout seigneur… Seulement, c’est du réchauffé, elle date de quarante ans. Si elle marque une résurgence, on ne peut pas prétendre toutefois qu’il y ait le feu au lac, comme on dit à Genève.
Pour l’histoire Lesbrouf, je compte sur mes chers équipiers. Reste le mystère Larry. Alors, là, oui, tu vois, si je m’écoutais, je m’y consacrerais séance tenante… Parce que là-dedans, y a du gras ! Ça renifle le gros patacaisse. J’ai l’intime conviction que Sac à Bière, s’est laissé fourguer des billets pour une sacrée croisière cacateuse.
Ainsi que je me l’étais promis, je prends une douche à peine tiède, puis je passe le peignoir de bain sans m’être essuyé. Rien de plus relaxant que de se sécher à la chaleur de son propre corps.
Un drink, pour parachever le bien-être ? A quoi bon.
Un verre plein, tu le vides, et ensuite, tu n’es pas plus avancé. Ça me frappe cette promptitude des bons moments, leur fulgurance. Tu les prépares, tu les concoctes, tu les espères. Ils se présentent enfin, et puis tu les vis, le temps d’une goulée de cigare, d’une gorgée de vin, d’un coup de rapière, à une frangine. Vite, vite !
Ça presse. Tu sais ce qu’il a de grandement chiant, le temps ? Il presse ! Le temps presse ! Les hommes ont pas pigé qu’ils tombaient. Tu voudrais t’organiser, toi, pendant une chute ? Le para dont le pébroque se croise les suspentes, tu te figures qu’il organise le temps de sa dégringolade ? Il bédole de frousse dans sa chouette combinaison qui, d’ici peu, sera devenue sac à viande morte. Pour les vivants, c’est du kif, mais eux croient disposer d’un capital durée. Alors ils empruntent ou épargnent (même combat perdu) ; ils construisent des maisons, organisent leurs vacances au Clube… Tout ça en tombant. Cosmos, cosmos ! La ronde des escarbilles.
Nous ne sommes que d’infimes météorites. On ne vit pas : on pleut ! Verbe impersonnel, verbe intransitif, pleuvoir ? Mon nœud, camarade ! A preuve : je pleus, tu pleus, nous pleuvons ! Regarde ! Tu vois ? T’as pigé ?
Tu dis oui pour me faire plaisir. Mais ça ne fait rien, va.
Reste con, c’est ta seule protection. Le con est en position fœtale, c’est-à-dire plus ou moins de parachutiste.
Et c’est sans verre de quelque chose que je déguste la prose béruréenne. Ne vaut-elle pas les alcools les plus subtils ?
Salut, mec, je vais t’êt’ brèfle.
Je viens de tubophoner à ton auberge, mais ces glandeurs d’Irlandoches causent pas français. Cette marotte d’jacter angliche après tout c’que les Rosbifs y ont fait, merde, faut rien n’avoir dans son froc ! C’t’à cause d’à cause qu’je prends la partition d’t’écrire. Là, au moins, j’peux m’expliquer, ce d’autant plus mieux que c’est Berthy qui tient la plume, consécutivement au canari qu’j’ai au doigt, d’à la suite d’une piqûre infectée. Berthe, tu la connais : c’est pas la méchante femme. Quand est-ce qu’elle veut bien et’ serviabe, elle est serviabe…
Suivent quatre pages de ce style, faites visiblement pour amadouer sa secrétaire occasionnelle dont il prône les vertus dans la vie, au lit et à table.
Berthe, tu l’auras noté, maîtrise mieux sa langue que ne le fait généralement son époux. De même, elle dispose d’une orthographe moins défaillante et contracte peu ses mots par rapport à la prose d’Alexandre-Benoît.
Après ce grand moment laudatif, Sa Majesté entre enfin dans le vif du sujet :
Moi et la Pine, on s’est attelés à l’affaire du marchand de fripes. On a z’été enquêter dé-ci, et même dé-là, chez ses fournisseurs, ses relations, son garagisse. Sa gerce t’a monté un barlu, ce qu’est pas rare chez les grognaces, sauf la mienne dont tu peux croire sur parole, car c'qu' elle dit est dit. Berthy, pas b’soin d’te faire un dessin : c’est la femme intégrée, droite comme un « i » grec et tout, que j’me demande des fois ce qu’ j’aurais devenu sans elle ; mais je t’fais pas l’artic vu qu’elle n’est pas à vende.
Donc, en ce dont il concerne Lesbrouf, si ce gus est un peu pincecomé du bulbe côté collectionneur, c’t’un vrai pape question des affaires ! Et croye-moi, mais c’est bel et bien lui qui dirige les commerces. Sa gerce est prête-nom, exaguete, mais elle a qu’l’droit de fermer sa gueule et si é la ferme pas, y lui la ferme biscotte il a la mandale fastoche, dont j’me demande comment on peut comporter ainsi av’c sa femme, j’en causais à Berthe raie-salement ; qu’y faudrait pas qu’ j’avise de la toucher, ma p’tite poulette, sinon tu verrerais ce que je voirais, merde !