Выбрать главу

C’qu’a à certain, c’est qu’chez les Lesbrouf, y a du gaz dans l’eau d’leur bidet conjugaux. Les genss qui les connaît disent comme quoi ça finira mal entre eux. Alors, bon, on a décidé, moi et Pinuche, d’un commun accordage, d’aller se faire une planque dans sa boutique d’Lyon. Réfléchille : les quatre magasins de Pantruche a eu son meurt’. Reste çui-là d’Lyon et çui-là d’Marseille (Bouches-du-Rhône).

Note qui s’peuve qu’y va rien se passer en province.

Mais note que p’t’ête que si. Note aussi qu’ça peuve s’passer à Marseille avant Lyon, j’sus d’accord, seul’ment comme on n’a pas l’don du biscuité, moi et César, on commence par commencer et après on verrera bien, non ?

En conformation avec c’qu’a t’été conv’nu, j’tepasserai un p’tit mot tous les jours manière d’te tenir au courant.

La prochaine fois, c’t’à-dire demain, c’sera hélas la Brindille qui tiendra la plume, Berthy hélas pouvant pas nous accompagner vu qu’elle va au baptême de sa petite-nièce d’Alençon et que c’brave Alfred, le coiffeur, a l’estrême délicatesse de bien vouloir l’emmener av’c sa bagnole. C’est nous qu’on offre la gourmette au bébé. Il pesait huit lives à la naissance et y s’appelle…

Mon bigophone se met à grillotter. J’interromps la péroraison des époux Bérurier pour décrocher. Je suis d’autant plus surpris qu’il n’est pas loin d’une heure du matin.

La voix mêlécasseuse de Larry Golhade m’empoigne le tuyau auditif :

— Bite-en-Bronze ?

— Oh ! c’est toi, Gros Sac, et comment se porte cette pauvre Mary ?

— Très très mal ; les médecins anglais désespèrent de la sauver.

— Mais bon Dieu, qu’est-ce qu’elle a ! m’écrié-je avec le ton que j’aurais eu si j’avais été vraiment surpris.

— On lui fait des analyses, des radios, tout un tas de fourbis. Ecoute, Sonny (il lui arrivait de m’appeler Sonny c’est-à-dire « fiston », jadis), je me trouve dans une merde noire et j’ai besoin de secours, je peux compter sur toi ?

— Tu le sais bien, puisque tu m’appelles.

— Merci. T’as de quoi écrire ?

— Je t’écoute.

— Il y a des gens qui doivent absolument me joindre cette nuit à Dublin, si je te dis « absolument », c’est « absolument », tu piges ?

— Et tu veux que je les contacte ?

— C’est ça. J’ai rendez-vous dans Tara Street. Un établissement qui s’appelle « Public Swimming Baths », en briques rouges. T’auras pas de mal à trouver : Tara Street est une artère très courte.

— A quelle heure ?

— Deux heures du matin.

— Drôle d’heure pour une entrevue.

— Je sais, mais je n’avais pas le choix. Eux pouvaient me contacter mais moi pas. Alors, tu y vas ?

Je gamberge un peu, juste pour dire…

— Et c’est qui, ces gens, Larry ?

Un silence.

— Ce serait trop long, Sonny, beaucoup trop long ; plus tard je t’expliquerai, à tête reposée, pour l’instant je suis dans un grand chaudron plein de merde. Alors, c’est O.K., tu y vas ?

— O.K., mon gros. Il va falloir leur dire quoi, à tes gars des bains publics ?

— Que je ne peux pas venir, vraiment pas. Mais que tout se passera comme prévu.

— Tout quoi, Larry ?

— Il est préférable que tu l’ignores.

— Tu sais que t’es pas un cadeau, dans ton genre ? Tu me propulses dans ce que je devine être un royal coup fourré, avec une canne blanche et des lunettes noires.

— Fais ça pour moi, Sonny ; j’ai toujours pensé que tu étais un ami, un vrai. Il y a pas deux mecs à qui j’oserais demander ça.

A cet instant, je suis tenté de lui demander s’il est convenable de chambrer comme il l’a fait un garçon dont il se croit l’ami ; mais ce serait avouer que je suis parfaitement au courant de ce qui est arrivé à sa gerce et je ne peux pas me le permettre.

— Bon, j’irai, sois tranquille. Il y a du danger ?

— Non.

— T’es bien sûr ?

— Certain. Je te rappellerai demain. Tu seras là jusqu’à quelle heure ?

— Dix plombes.

— Encore merci, Antoine !

— Salut. Tous mes vœux pour Marika !

Cynique, mais quelque chose me pousse à agir de la sorte. Chose curieuse, de parler ainsi de la femme assassinée me la garde un peu présente. Il me semble confusément que Mary-Marika vit encore… Qu’est-il advenu de son cadavre, et de celui de la petite Andréa ?

On a dû s’inquiéter de sa disparition, non ? Ne serait-ce que ses employeurs. Demain, j’achèterai les journaux.

PLONGE LE PREMIER, MOI J’ATTENDS QU’IL Y AIT DE L’EAU

Surprise !

Les « Public Swimming Baths » de Tara Street n’existent plus.

Du moins ne sont-ils plus en activité puisqu’il pousse des arbres à l’intérieur des bâtiments. Toutes les ouvertures ont été aveuglées par des panneaux de bois déjà pourris et le toit de verre est partiellement effondré. On a dû tenter, au début, de le ravauder avec des plaques de tôle ondulée, mais on y a renoncé et les maigres branchages d’un arbre le trouent dans un angle de la construction. D’étranges fougères sauvages sortent des encadrements de portes.

Par contre, on lit toujours, en caractères somptueux gravés dans la brique : « Public Swimming Baths ».

De quand date le dernier bain pris entre ces murs délabrés ? Et qu’attend-on pour abattre cette masure située en plein cœur de la ville dans une artère où se dressent des immeubles modernes ? Mystère. Un de more.

Tu connais, je crois, la mère Plexe ?

Eh bien, si tu le permets, je te présente le père Plexe.

C’est Bibi !

Je demeure campé en face de cette vaste bâtisse morte, pris d’une sourde angoisse.

La rue est déserte, si l’on excepte deux chiens qui passent en se suivant, le second ayant le nez dans le cul du premier, comme il se doit.

Drôle de cinoche. J’ai l’impression d’interpréter un vieux Peter Cheney des années cinquante, du genre Sinistres rendez-vous.

Mais, comme l’eût écrit Hugo : « Il y avait de quoi reculer ; il avança ! »

J’avance donc en direction de la vaste bâtisse en haillons. On pouvait, jadis, y pénétrer par deux portes donnant sur le front de la façade principale. Déjà, ces lourdes étaient closes à l’aide de serrures « Yale ».

Je m’approche de la première, curieusement éventrée par l’extrémité d’une chicane en gros tubes rouillés, ce qui donnerait à penser que les gars de Dublin faisaient la queue pour aller se fourbir la couenne. Je tente de pousser cette porte, mais elle est bloquée. Je passe alors à la suivante, qui constitue l’entrée principale. Tout de suite, à la lumière de la rue, je constate que le laiton de la serrure comporte des éraflures récentes, brillantes.

J’appuie contre l’huis, et le panneau cède en grinçant.

Sana, téméraire comme Charles, pénètre dans ce lieu de désolation. Une acre odeur de bois et de plantes en décomposition me saute à la gorge. D’autres remugles suivent, étrange intendance olfactive, stimulée par mon imagination puisque je crois y déceler encore des senteurs de savon et de tuyauteries refoulantes.