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— Cent mille ?

— Eh bien ! c’est un plaisir de discuter avec vous, my boy ! Vous tapez dans le mille à un chiffre près.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire que vous ajoutez un zéro et on est O.K.

— Quoi ? Un million de dollars ! Vous rendez-vous compte de ce que ça représente en…

— En francs français, je m’en fous, et en livres, je refais le calcul tous les matins en lisant le cours des changes dans le journal.

— Vous êtes gourmande, mistress Gleenon.

— Non, fait-elle : boulimique. L’obésité a ses servitudes !

Elle désigne les assiettes sales.

— C’est pour vous, n’est-ce pas ?

— Bien entendu.

— Moi, c’est l’heure de ma première bière, je vais à mon pub.

Elle s’arrache de la table. Dedieu de Zeus, je me rappelais déjà plus qu’elle était aussi grosse ! Un vrai bombardier géant. Sa robe à pois fait de l’effet dans le coffee-shop, espère, Albert !

Elle me dédicace un merveilleux sourire de trouduc pas torché.

— Et vous, vous allez faire quoi, beau play-boy ?

— Je vais téléphoner à Paris pour communiquer vos conditions en haut lieu.

— C’est ça, faites. Quand tout sera bien au point, venez me voir à la maison : j’ai toujours une part d’apple pie au frigo pour les amis. Sans compter… le reste.

A nouveau elle sort sa langue et me fait « Adieu adieu » avec.

Avant de tubophoner, va falloir que je fonce au refile !

AH ! DIS, CHERI, REJOUE-MOI-Z-EN !

Cette impression d’être observé, tout le monde l’a déjà éprouvée ; mais quand tu es flic, elle te file une secousse comme quand tu répares ton installation électrique avec des pinces en acier.

Lorsque je me dirige vers ma guinde, j’ai la nette impression que des yeux sont collés à ma personne, kif des limaces sur une laitue. Je visionne les alentours.

Tout semble paisible. Des maçons évacuent un monçal (des monceaux) de gravats d’une bicoque en réfection.

Des jeunes (l’Irlande en est pleine) discutent en riant sur un banc public. Deux vieilles dames à cheveux blanc-bleu se promènent en se donnant le bras. Un curé, reconnaissable à son complet noir et à son col romain, déambule en lisant le journal. Images sereines et rassurantes. Mais ce futé chien de chasse qu’est Antonio ne s’y arrête point et continue de fureter. Et, ploff !

Trouve.

Dans la file d’autos en stationnement de part et d’autre de la rue, l’est une Audi jaune. A l’intérieur un couple et un chien.

Faut que je vais te signaler une chose dont j’ai remarqué : en Irlandie, il est très fréquent que les tomobilistes arrêtent leur carrosse, soit dans une street, soit au bord de la mer et qu’ils y séjournent, on ne sait trop pourquoi : devisant ou bouffant, se pelotant aussi, parfois. Il arrive qu’ils soient toute une famille empilée dans la tuture, presque immobile derrière les vitres, à te regarder passer et à attendre la survenance d’autres chalands. Je ne m’explique pas très bien à quoi correspond ce sédentarisme à l’intérieur d’une machine créée pour le déplacement ; je constate simplement que l’Irlandoche habite son auto davantage que les autres peuples puisqu’il s’en sert sans se croire obligé de la faire rouler.

Que donc, je te disais : un couple, un chien.

Dans l’Audi jaune.

Moi, les bagnoles jaunes m’ont toujours fait penser à des boîtes de cirage, et ça non plus je peux pas expliquer à quoi ça correspond. Doit y avoir une boîte de cirage jaune quelque part dans mon enfance, voire une pube en jaune pour une marque célèbre, n’est-ce pas, docteur ?

Le chien est un foxterrier à poil ras, monté sur ressorts et qui bondit à l’arrière de la tire en poussant de brefs jappements. Il a les oreilles et le museau pointus, les yeux en boutons de bottines, un frétillement continu de petit poisson hors de l’eau. La femme est jeune, je suppose, plutôt brune dirait-on car elle a un foulard noué sur la tête. Elle porte de grosses lunettes teintées à monture blanche. L’homme, lui est très brun, frisotté, le teint hâlé. Il est maigre et se paie un pif en forme de bec.

Il a des lunettes aussi, mais de vue. Ces dernières corrigent mal un strabisme convergent qui lui permet de s’inscrire en faux contre cette sotte affirmation que des parallèles ne se rejoignent jamais.

Leur tire est stationnée devant la mienne ; donc, je marche à leur rencontre pour regagner ma formule 1.

De toute évidence, ces gens ne sont pas irlandais. Lui, il fait professeur de physique dans un établissement du Bronx. Mon imagination jouant, je lui bâtis tout un pedigree minute : fils d’émigrés, parents juifs égyptiens, son métier d’enseignant est une couverture, en réalité il dirige un réseau de quelque chose au profit de quelqu’un. N’importe. Dans l’espionnage, c’est le principe qui compte. Que tu sois du K.G.B. ou de la CI.A., les méthodes, les hommes, les buts sont identiques. A preuve : les agents secrets sont interchangeables. Tu peux même les retourner plusieurs fois, comme on retournait les costumes pendant la guerre, s’en refaire des neufs quand ils tombaient en brioche.

Et moi, juste de mater ce mec dont je suis sûr certain qu’il m’observe, je lui compose une vie de selon moi. Et pas qu’il barguigne, surtout ! Tel est le bon plaisir de ma gamberge. Sa nana ? Une auxiliaire. Il se la fait parce que dans l’espionnage on baise à tout va, tort et travers, par-devant, par-derrière, on baise les équipières, les celles qu’on veut leur infiltrer le réseau. Tiens, en attendant, je t’infiltre mon gros zigomar baveur ! On a tellement de temps morts à réanimer. Une bonne tringlée ça donne des couleurs !

Je dépasse l’Audi jaune, mine de rien. Rendant mon regard le plus innocent possible, le plus distrait. Numéro de leur plaque écrite en chiffres noirs sur fond rouge 191 NZI. Presque toutes les tires ont un Z entre deux autres.

Faudrait demander à quoi cela correspond. Faudrait, si je m’en tartinais pas à ce point. Mais je m’en torche. Toi aussi, pas vrai ? Alors on va pouvoir passer à l’ordre du jour.

Je récupère ma calèche. Avec cette conduite inversée, on a toujours, au début, un peu d’embrouille pour les manœuvres de chasteté. Se dégager ou se garer t’estropie les vertèbres ; mais je m’arrache impec.

Nach Grand Hôtel. Je n’ai pas menti à la grosse vache : faut que je communique ses conditions à qui tu sais.

Je monte tourner au sommet de la rue, là que l’agglomération cesse d’être agglomérée pour devenir cambreusse.

Une voie marquée « Cul-de-Sac », en français, s’offre sur ma droite pour que je fasse demi-tour. Je vais pour m’y engager, et c’est alors qu’un camion, surgi de j’ai pas vu d’où, fonce sur moi. Noir, vieux, énorme, une sorte de monstre en ferraille comme celui qui a eu le prix d’interprétation masculine au festival de Cannes pour son rôle dans Duel.

D’ordinaire, ces vieux camions font un boucan de merde. Lui, pas du tout. Il est silencieux comme un squale. J’aperçois sa masse sombre, les reflets du ciel gris dans son pare-brise. Je songe à m’man, à Marie-Marie. Raide, votre Antoine, mes belles chéries !

Repassé comme un napperon !

Mon pied droit file une seringuée forcenée à l’accélérateur. Ces chignoles automatiques, quand tu leur mets le pied à fond, elles se découvrent brusquement des sursauts inconnus. La mienne bondit à l’arraché. Je prends un bigntz au cul. Ma tire fait une embardée, valdingue jusqu’au bout du cul-de-sac et stoppe au pied d’un perron. La porte adorable (les portes les plus choucardes du monde, c’est en Irlande) s’ouvre, une gentille grand-maman couperosée, avec encore des cheveux queue de vache paraît et me sourit.