Inutile d’insister.
Je continue de faire les trois cent quarante-six pas devant la boutique.
Mistress Pump ne revient pas.
J’ai les cannes en flanelle. Pour un pneu, je virerais le vieux broc de son fauteuil afin de lui piquer sa place.
Tu veux m’expliquer la signifiance de ce cirque, ta pomme ? Je sais bien que tu as du fromage râpé à la place du cerveau, mais tu pourrais avoir trouvé une idée dans un paquet de Bonux ! Non ? Dommage.
Je patouille dans l’abracadabrant. Ce couple qui me suit dans Malahide, qui bombine ma tire, et puis la dame prend le bus with me et, une fois à Dublin (se prononce Dobline) me rabat en vitesse dans le capharnaum d’un brocanteur aveugle pour m’extrapoler le Nestor. Et ensuite, la voilà qui s’esbigne sans dire un mot, il est vrai qu’elle disposait pas d’une grande faculté d’élocution à cet instant.
Bon, il est temps d’aller me louer une nouvelle bagnole.
ALORS ÇA, ÇA VAUT DIX !
C’est beau comme la Nuit de Valpurgis, dans Faust, que Bérurier appelle « la Nuit de Va-te-purger ». Des étoiles à en dégueuler la Voie lactée (je supporte mal les laitages), une brise suave venue d’ailleurs. La mer à marée basse. Tu vois les barlus au mouillage, tout de guingois, attendant la quille. Le Grand Hôtel de Malahide a développé le tapis rouge car il héberge quatre mariages à la fois. C’est plein de gus en smoking qu’ils portent gauchement. Ils éclusent des pintes de bière brune, très mousseuse, en parlant fort. Des petits enfants de fête courent de pièce en pièce. Les demoiselles d’honneur jacassent comme de belles perruches multicolores.
Et mézigue, décidé à jouer mon va-tout, de prendre la tangente pour aller combattre la grosse Valentine Gleenon. Il est temps. Je vais lui sortir le grand jeu, faire l’impossible pour lui faire cracher son mystérieux document.
L’Audi jaune de ma belle écrémeuse est toujours au parking, par contre, je n’ai pas aperçu ses propriétaires depuis mon voyage à Dublin.
Je grimpe dans la nouvelle voiture que j’ai louée, une Fuego grise, et mets le cap sur Connivance Street.
Comme en cette saison, le jour ne cesse que pour faire place à l’aube, je roule dans une clarté rasante, un peu mélanco.
Le duo de l’Escarpolette m’accueille. Ils sont deux à « pousser, pousser ». Des voix du genre Turabras, d’un autre âge. On ne brame plus commak de nos jours. En tout cas, plus en anglais.
La Baleine répond à mon coup de sonnette. La bouche huileuse, moins que les cheveux toutefois, l’œil trouble comme si on lui avait passé de la glycérine sur les rétines. Elle se trimballe dans un kimono noir et rouge à lotus d’or et flamants rose-bleu. Son ventre pend sans retenue, elle marche comme le joueur de grosse caisse pendant le défilé de la fanfare.
— Ah ! voilà le Frenchman de mon cœur ! elle s’écrie d’une voix qui dominerait le brouhaha de la corbeille à la Bourse, un jour de dévaluation du franc.
Il lui reste un morceau de saucisse entre ses dents écartées. Depuis son salon, un électrophone continue de balancer l’Escarpolette, qu’elle en touche le plafond !
— Vous m’entendez ? elle me demande, la mine soudain recueillie. Moi, en 38, avec O’Skileshian, dans le duo de Véronique. Tiens ! ça c’était une voix ! Et une queue, donc ! On les faisait longues et fines dans ce temps-là ; c’était la mode. De la queue très nerveuse, qui cinglait les miches avant de se mettre au travail.
Ensuite, est venue la bonne bite têtue, courtaude, paysanne, dirais-je. La bite forceuse, quoi. Qui a la tête dans les épaules si je me fais bien comprendre. De nos jours, on en est à la belle bite savante, qui s’avance en souplesse, comme un tigre, mais quand elle bondit, celle-là, je vous jure…
Sa main démangée a un élan dans ma direction. Je la court-circuite en pressant le pas.
Le salon, comme chaque pièce de la petite maison, est minuscule : un canapé deux places face à une cheminée pas plus vaste qu’une boîte aux lettres de retraités du gaz, une table basse, un poste de télé, deux chaises de paille. Je fais la moue (pas le guet) en constatant la présence d’un type sur le canapé. Un homme entre deux âges, avec une perruque rousse, ridicule, une barbe pour jouer dans un western spaghetti, des lunettes cerclées de fer. Il a l’avant-bras droit dans le plâtre, main comprise, et porte une tenue de yachtman fatigué qui aurait vendu son yacht pour payer ses dettes de jeu.
Cette présence d’un tiers m’ennuie car je comptais avoir un entretien franc et massif avec la grosse, au besoin la convaincre à la manière bérurière, par des arguments contondants. Brutal, moi ? Jamais. Sauf lorsque le service de la République l’exige.
Valentine fait les présentations à sa manière, qui n’est pas celle de la cour d’Angleterre.
— C’est lui ! dit-elle au faux rouquin vraiment barbu.
Puis à moi :
— Voici Ted Hacklack, mon homme d’affaires.
De quelles affaires s’agit-il ? Ça, ministères et sécrétions !
L’individu me dit « Hello ! »
A lui, je réponds pas qu’elle chauffe, vu que cette connerie est intraduisible en anglais, mais je balance un autre « Hello ! » conforme à nos positions d’attente.
L’ogresse se pointe avec une tarte aux pommes plus grande que la piste du cirque Barnum.
Ensuite elle déballe des bières.
De la tourbe brûle dans l’âtre, sans bruit, comme se consume une cigarette.
— J’espère que vous m’apportez de bonnes nouvelles ? demande la mère Gleenon en découpant sa tarte.
Je ne réponds rien.
— Vous pouvez parler devant Ted, assure-t-elle, je n’ai rien de caché pour lui !
Je me laisser haler. Carte blanche à l’instinct dans les cas biscornus.
— Je pense que nous allons vers la solution que vous souhaitez, miss Gleenon.
Elle mord dans une tranche de tarte. Ses yeux salingues ont une sauvage lueur de contentement.
Jusqu’alors, à part son « hello ! » d’accueil, Ted Hacklack n’en a pas cassé une. Il ne me regarde même pas. Tu dirais un clown qu’a pas fini de se démaquiller, avec sa perruque rousse et ses besicles.
— La France casque ? demande la Baleine à travers sa bouillie d’apple-pie.
— Comme toujours, soupiré-je ; c’est devenu une vocation.
— Quand ?
— On pourrait traiter demain.
— Vous aurez le million de dollars ?
— Je l’aurai.
— A quelle heure ?
— On doit m’appeler dans la matinée. Je vous préviendrai aussitôt après.
— O.K.
Elle continue de bouffer. Son homme d’affaires lâche un rot et ne s’excuse pas.
— J’allais le dire, lui fais-je.
Il demeure de marbre.
— La transaction va se passer de la manière suivante, fait Valentine.
Elle déglutit, crache un pépin de pomme fourvoyé sur ce qui reste de tarte.
— On se donnera rendez-vous dans une banque de Dublin où j’ai loué un coffre. Vous descendrez avec moi et le magot à la chambre forte. Je vérifierai l’argent, aidée de Ted qui sera aussi de la fête. Puis je le mettrai dans le coffre. Une fois la porte refermée, je serai la seule personne qui pourra l’ouvrir.
Elle biche à l’avance, masse ses roploploches avec volupté et, tout de suite après, son énorme ventre.
— Une fois que ces jolies images vertes seront à l’abri, nous irons dans une seconde banque où, là encore, je possède un coffre. Vos putains de papiers s’y trouvent. Je vous les remettrai.
Là-dessus, elle se coupe une nouvelle part de gâteau.
— Plaisant programme, dis-je, mais y a comme un défaut, chère grande artiste…
— Non ! riposte-t-elle, péremptoire. J’y ai gambergé sec, fiston, et je sais que tout ça est en bronze.