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Maud essaie les fringues, prend des attitudes devant le miroir. Comme c’est gracieux. Tu dirais une colombe sur un toit, en train de lisser ses plumes.

Mais voici d’autres clientes.

La « patronne » rousse largue à regret son poste de délectation pour assister la vendeuse en technicolor.

Trois femmes. Des Françaises. Des potesses. Un peu pompettes : les trois éméchées (je l’avais jamais faite au féminin). Elles viennent de claper ensemble. Un porto au départ, une boutanche de blanc, un Cointreau pour finir, manière de marquer le dégagement, ça suffit pour qu’elles en aient un petit coup dans l’aileron.

Elles montent en ligne sur les guenilles. Elles, la quarantaine les oriente vers le rayon du 44–46. Tu dirais des perruches. Chacune veut « découvrir » mieux que les deux autres. Elles commentent à haute voix. Ça radine des grandes banlieues, y a de l’accordéon dans leurs replis.

Elles sont d’une aimable vulgarité ; se traitent de « voyouses », causent de leurs Jules qui harderont pis que des cerfs en les découvrant dans ces atours fendus de partout. Elles oublient leurs jambons, leur bide en voie de développement, la cellulite qui les gaufre.

— Me permettez-t-il de vous aider, mes très belles ? s’inquiète la Grosse Béni, minaudière en diable. Un p’tit conseil, c’est à l’œil.

Et le voilà qui oublie son travesti pour chambrer les princesses périphériques à tout berzingue. Il leur fait tout un papier sur les guenilles à Lesbrouf, comme quoi elles sont suggestives et font chanter les miches et les loloches. Les matous raclent les murs de leurs ongles quand ils voient débouler des nanas fringuées par lui.

C’est la grosse émeute dans le quartier. Il emballe sec ; leur charge les brandillons de robes et de tailleurs : qu’elles essayassent donc, ces chéries. Juste pour dire.

Pour se rendre compte du jus qu’elles jetteront dans ces loques canailles.

Elles pâment. Se laissent faire. Occupent les trois cabines disponibles. Sur l’écran, ça devient le tout grand festival ! Son et lumière sur l’Acropole ! Tu sais plus où balader tes châsses. Y a du nichemard à en remplir des lessiveuses, du dargif pour troussées soudardes.

Pinaud mate en salivant. Son mégot trembille au bord de ses lèvres craquelées. Quant à Béru, lui (je devrais dire « elle »), il s’en paie comme un follingue. Le côté : « Je pourrais-je-t-il vous aider, ma p’tite dame ? Si vous permettrez que j’agrafasse ces babioles av’c mes doigts de fée dont j’ai l’espérience… »

Et il y va à la pelote, cézigue-pâte.

— Ça vous serrerait-il pas un chouïa, icigo, ma poule ? Vers l’bassin ? Et laguche, dans les régions des roploplos ?

Sa paluche gourmande arpente la géographie de la plus dodue.

— Hé, dites, escusez ! V’s’êtes carrossée comm’ une déesse, des seins pareils, essepté ma crémière et la princesse Margaret, j’ai jamais vu les mêmes ! Dites, av’c des flotteurs comme ça, vous craindez pas d’vous noyer ! Dieu d’Dieu, vous permettassez qu’j’palpe, juste pour m’assurer qu’c’est pas du fractice. Charogne ! et les bouts, dites ! Plus larges qu’l’starter d’ma bagnole ! Y vous allume aux loloches, vot’ mec ? Y vous fait les bisous mouillés su’ les fraises de printemps ? Non ? Le con ! Moi qui n’suis qu’une faib’ dame, j’t’ vous gloutonnerais la laitance comme un goulu, ma chérie, que vous n’saureriez plus si c’est du lard ou du cochon… C’chemisier est trop juste. Enlevez-le que j’m’assure d’la taille qu’y va falloir.

Subjuguée, la personne accorte se dénude le bustier.

L’Alexandre-Benoît pousse un hennissement. Sa main s’avance. Il caresse.

— Moui, moui, j’voye ! balbutie-t-il. Du temps qu’on y est, faudrait qu’on vérifiasse la jupe aussi, elle coince au niveau d’la malle arrière. Vous risquez d’éclater comme une châtaigne en vous s’assoirant.

Dès lors, l’intéressée n’est plus vêtue que de son slip et de son impudeur. Béru gémit des naseaux.

— De toute beauté, murmure-t-il. Avec un cul pareil, vous pouvez circuler la tête haute ! Pisqu’on cause en camarades, v’voudriez-t-il pas m’enl’ver c’te culotte qui rime à rien ? Juste avoir l’idée d’l’ensemb’.

La dame hésite, très peu, puis enjambe son ultime rempart.

Mon pote ne parle plus. Il hoche la tête. Des larmes lui viennent jusqu’au bord des cils inférieurs.

De ses deux mains expressives, il fait signe à la personne de se mettre à profit. Elle adopte passivement l’attitude d’un gymnaste se préparant à toucher alternativement l’extrémité de ses pieds. Sa Majesté n’y tient plus.

— Ecoutez, chuchote-t-il, faut que je vais vous faire une confidence : j’sus pas moi, j’sus mon frère. Je remplace ma sœur jumeaude qui s’est tirée av’c un prince arabe. Mais motus vivendi, hein ? Le taulier qu’est un vieux birbe, comme v’s’avez pu le contester, s’est aperçu de rien. Tout ça pour v’s’espliquer pourquoi j’m’en ressens pour vous, ma gosse. Si c’tait un effectif d’vot’ bonté, vérifiez d’touchu l’émoi du bonhomme.

Il ramasse d’autor la dextre de sa cliente pour la piloter jusqu’à ses intimités. L’aimable banlieusarde n’en croit pas ses phalanges. Elle se dit qu’il s’agit d’un moignon ; qu’impossible autrement. Pendant ce temps, de nouvelles clientes se pointent ; ça jaspine le néerlandais, et puis y a des Japonaises, et encore un couple de la Lozère. C’est le big rush sur les chiffons. Les cabines sont toujours occupées par ma jolie Maud et par les viragos de la Grande Ceinture. Les potesses s’interpellent (à gâteaux) d’une cabine l’autre : « Tu trouves ton bonheur, Ginette ? »

La Ginette, entreprise par le Mastar déchaîné, le trouve, en effet. Béru lui a dégagé sa féroce rapière et lui pratique une séance épique dans le style L’Attaque de Fort Apache. Il a la perruque de traviole, la jupaille parapluie retroussé. Le rideau assurant l’isolement bouge comme un sac empli de serpents. La dadame clame sans retenue.

— T’as coincé la fermeture Eclair ? s’inquiètent ses copines.

Comme elle répond que par des « Ah ! Aeeee ! Arrrrh ! Aouiiii », l’une des aminches va aux nouvelles !

Sa sidérance, mon vieux Ernest, quand elle visionne le tableautin ! Elle doute de ses sens. Cette espèce de centaure burlesque la terrifie. Elle en oublie de rabattre le rideau. Pour lors, les Japonouilles se rincent l’œil, malgré qu’il soit bridé. Y a attroupement. Commentaires dans la langue du petit Mikado qui entretient l’amitié. Elles croivent que ça fait partie du prêt-à-porter parisien, cette méthode, les Fleurs de Lotus.

Chez elles, on fait jaune et abstinence. La Ginette, elle, rompt les amarres et part en Chantilly. Les Hollandaises applaudissent. Le gonzier de la Lozère veut coucher Bobonne dans le muguet, pour lors, son système neurovégétatif instantanément perturbé. La grosse confusion. Finaud dégouline des labiales comme une vieille limace. On vit dans l’exceptionnel, le sidérant.

Toujours, avec Bérurier ! T’as remarqué ?

Celui-ci met fin à ses fantasmes d’une secousse arrière. Le rideau de sa robe tombe sur la fin du spectacle alors que Popaul, la vedette, était en train de saluer.

— Circulez, y a pu rien à voir ! dit-il. C’te p’tite maâme a eu des vapeurs. J’y ai fait un peu d’respirance articielle et l’tour est joué. Qu’est-ce ces dames ont-elles choisi ? L’p’tit imprimé dans les verts ? Non ? L’ ch’misier en véritable polyester imitation, alors ?

Il a rajusté sa perruque, ses atours. Repris la situation en main. L’épisode est en cours d’oubli. Le Gros ne s’attarde jamais sur ses coups de reins.

C’est à cet instant qu’un grand cri retentit : aigu, japonais. Poussé par une Tokyote au corps modelé comme un poste de télévision.