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Tu sais quoi ?

La petite vendeuse aux cheveux violets et verts est allongée derrière un porte-fringues à roulettes, un poinçon planté dans sa nuque.

Savon blanc, savon noir. Savon de Marseille. Savon en poudre, savon liquide… Tout ça n’est rien, comparé à celui que je reçois !

Le gonzier dépêché par l’Elysée est jeune, sévère, implacable.

Il a pris appui des deux poings sur le bord de mon bureau. Son beau regard fumelard me darde à s’en faire éclater la cornée. Il porte un blazer noir, une chemise blanche, une cravate grise. Il fait énarque.

Il articule bien, rien laisser dans le doute :

— M. le président de la République est ul-cé-ré. Votre comportement est in-qua-lifiable. Vous déshonorez toute la police française ! Il exige votre démission immédiate, ainsi que celle de vos deux collaborateurs.

Ce, sans préjudice des poursuites qui s’ensuivront. Me fais-je bien comprendre ?

— Parfaitement bien, réponds-je, vous avez dû suivre des cours de diction.

Il bondit.

— De l’esprit ? aboie-t-il.

— A revendre ! admets-je.

Son masque se fait cireux. Dans ses yeux, la mort passe lentement, en sifflotant. J’y lis les vœux néfastes qu’il forme pour moi. Crois-moi ou va te commander un godemiché à ressort, chérie, mais ça me flanque la rifouille. Je lui joue le Pays du fou rire avec tant de parfaite tranquillité qu’il me fuit, impressionné.

— Vous devrez avoir vidé les lieux dès ce soir ! annonce-t-il.

— D’ici quinze minutes, ce sera chose faite, je lui assure.

Il s’en va. Le bigophone sonne. J’hésite à décrocher.

Puis, je.

Une source s’écoule alors dans mes feuilles.

La voix de Marie-Marie !

Des mois sans l’entendre.

Emoi.

Tombe à pic.

A cœur !

Allégresse.

Toute contrariété bannie.

— C’est toi, ma poule ! j'écris. C’est toi !

Elle soupire.

— Ta poule vient t’annoncer son prochain mariage.

Douche glacée !

Le parachute ne s’ouvre pas.

Mon ventral ?

Oublié au vestiaire.

Dégringolade de l’âme.

Mon cœur porc-épique.

Salope !

— Tu vas te marier ?

— Fallait bien que ça arrive un jour, non ? Je suis pour la pérennité de l’espèce, moi.

— Et il ressemble à quoi, le géniteur de tes futurs enfants ?

— Justement, je voudrais te le montrer.

— Pour quoi faire ? Je ne suis pas acheteur.

— J’aimerais ton avis.

— Quel avis pourrais-je te donner, petite garce ?

— Tu es jaloux ?

— J’en crève.

— Tant mieux. Oh ! mon Dieu, merci de ta franchise. Tu pourrais crever en silence, me laisser à la perplexité de mon bonheur. Mais non : tu le veux complet. T’es grand, Antoine. T’es beau, t’es généreux.

— Je sais, Jean Paul Il parle d’ailleurs de ma prochaine canonisation. Cela dit, donne-moi des détails : il ressemble à quoi, il fait quoi, il pense quoi, le con étrange venu d’ailleurs qui se propose d’assumer ta descendance ?

— Devine.

— Un collègue à toi, of course ?

— Gagné.

— Prof de français au lycée où tu exerces ?

— De maths !

— Je savais bien que c’était un con ! Il est grand ?

— Non.

— Même pas ! Gauchuni, c’est certain ?

— Naturellement.

— Tu penses, il allait pas rater ça ! Et au niveau de l’amour ?

— Eh bien ?

— Ceinture noire ou ceinture de flanelle ?

— On verra, mais j’ai bon espoir.

— Parce qu’il n’y a encore rien de fait ?

— C’est en cours.

— Ah, bon ! Il baise à tempérament, comme il paie les traites de son aspirateur ? Alors, c’est qu’il n’a pas de tempérament.

— Puis-je t’objecter que ce n’est pas ton problème, Antoine ?

— Tu peux. D’où vient que ton tonton ne m’ait rien dit ?

— Il a une bonne raison à cela : il n’est pas encore au courant.

— Chic : j’ai la primeur de la nouvelle.

— Normal.

— Pourquoi ?

— Peut-être parce que je suis honnête.

Un silence.

Vertige.

Amertume.

Houx squelette amer ?

H, i, dans un coin.

Dix « i », caisse des pêches.

Le tremblement de terre en Italie vient de faire trois morts.

On « fait » des morts.

Marie-Marie vient de me faire malheureux.

On « fait » des malheureux.

Ma faute.

J’avais qu’à.

Les filles, tu ne peux pas les foutre au congélateur en attendant ton bon vouloir.

La vie, tu sais ? T’es au courant ?

La vie !

Oh ! merde !

Dans le cul, la balayette, Antonio de mes chères deux.

Marie-Marie se marie et te voilà marri.

— Ne me reste plus qu’à te complimenter, ma poule.

Et à formuler une chiée de vœux. Bonne bourre !

— Bonnes vacances au clube ! Torche bien tes mouflets ; et, dans les premiers temps, t’inquiète pas s’ils font de la température, les chiares ont de la fièvre pour des riens.

— Antoine, je veux te le présenter, tu ne peux pas me refuser ça ! déclare la Musaraigne très calmement.

— Mais on va se dire quoi ? J’ai toujours été nul en maths !

— Ne t’inquiète pas, j’assumerai la conversation.

— Tu veux prendre ton pied, ma mignonne, en confrontant tes deux soupirants. Démontrer à l’un ce qu’il perd et à l’autre ce qu’il gagne ? Ou bien escomptes-tu un sursaut de ma part ? Le côté : plutôt t’épouser séance tenante que de te laisser entre les pattounes crayeuses de cet aligneur d’équations !

Elle ricane.

— Tu ne te prends pas pour la queue d’une poire, Antoine.

Je lui répondrais bien un truc d’à ma façon, mais je considère qu’elle est encore une jeune fille supposée et je réfrène.

— Bon, soupiré-je, quand ?

— Quand es-tu libre, Antoine ?

— Je le suis totalement depuis cinq minutes, ainsi que ton admirable oncle et le père Pinuche. Nous venons d’être démissionnés à la suite d’un coup fourré signé Bérurier.

Elle récrie :

— Pas possible ?

— Tout est possible dans la carrière d’un fonctionnaire, petite fiancée de mon cœur.

— Qu’allez-vous faire ?

— Peut-être nous soûler un peu pour fêter ça. Mes deux zigotos l’ignorent encore.

— Tu veux qu’on dîne ensemble, Gaspard, toi et moi ?

— Parce qu’il se prénomme Gaspard ?

— Oui.

— Pauvre Gaspard ! D’accord : on dîne. C’est moi qui invite.

Mes chers coéquipiers apprennent notre limogeage avec philosophie. Tout a tellement changé dans la Poule qu’ils en ont plein les galoches, à force d’à force.

— Fallait que ça arrivasse, décrète Béru. Flanquer des archers comm’ nous aut’ à la lourde pour un pauv’ coup de bitounette, ça t’dénote un état d’esprit.

— Y a pas que le coup de rapière, Gros. Mais le fait que, conjointement, on trucidait la petite vendeuse en notre présence, j’admets que ça la fout mal. Nous sommes la risée de toute la France. T’as lu les titres des baveux, ce morninge ?

Il hausse ses redoutables mécaniques.

— Les baveux, tout l’monde s’en torche ! T’attends un seul jour et c’est ton trou du cul qui les lit !

Pinuche bâille et, pour marquer l’importance de l’instant, décide d’allumer une cigarette. Il jette son mégot vieux de six mois, fouille dans son gilet de corps d’où il extrait un paquet de Gauloises tellement froissé qu’on pourrait le croire vide. Pourtant, une sèche y subsiste, qu’il déroule et lisse longuement.