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— Je crois que je vais acheter un bureau de tabac dans le Loiret, murmure-t-il. J’en connais un qui fait bistrot et qui se trouve à vendre.

Alexandre-Benoît hoche la tête.

— D’en ce dont il me concerne, je pourrais aller reprend’ la ferme à mes vieux qu’ je donne à métayer ; mais Berthe est une personne de la ville qu’aurait du mal à se faire en brousse ; d’autant qu’on veut rester à promiscuité d’ Marie-Marie !

Comme il prononce ce double prénom, le big bourdon me chope. Tout me choit sur la théière, to day : déshonneur, mise à pied, mariage de la Musaraigne, et quoi encore ?

— Bon, ramassons nos fringues, les gars, nos bricoles personnelles, et mettons la clé sous le paillasson. Je vous propose une chose : on se retrouve demain matin chez moi, disons à midi, pour une petite clape ; je vais prévenir Félicie, elle sera toute joyce. On fera le point de la situasse après que la nuit nous ait porté conseil.

Ils opinent.

Malgré leurs airs courageux, je les sens vachement délabrés du mental, les Laurel et Hardy de la maison Pébroque. Tout glandeux, comme des trimardeurs débarqués à coups de latte dans les noix du train dans lequel ils se planquaient.

C’est amer, tout ça… Si brusque. Enfin, on existe encore, faut pas trop en demander.

M’man est avec Conchita, notre soubrette espanche, dans la buanderie, au fond du jardin. C’est jour de lessive. L’essoreuse est en rideau, et le technicien ne passe pas malgré les suppliques.

Je regarde ma Félicie, si active. Pas un geste de trop : tout est calme, précis. Elle a dû sentir ma présence car elle se retourne.

Sourire de bonheur.

— Ah ! mon grand !

A son regard je pige qu’elle est au courant de mes sales embrouilles ; elle a lu les canards. Elle a les yeux bourrés d’inquiétude.

— Ça va, Antoine ?

— Au poil, m’man. Je suis un homme libre !

Deux mots pour lui raconter. Elle a beau compatir, je sens que rien ne peut lui faire davantage plaisir que cette nouvelle. Son grand va enfin raccrocher son flingue à la patère du vestibule, cesser de risquer sa peau dans des aventures sans nom. On s’arrangera toujours pour vivre. Elle a du bien, ma vieille. C’est pas la fortune des Kennedy, mais en drivant l’osier convenablement, ça peut faire la rue Michel, comme on dit dans son bled.

— Tu as de la peine, Antoine ?

— Je suis mortifié, et pourtant soulagé, tu comprends cela ?

— Mortifié ! après tout ce que tu as entrepris et réussi jusqu’à ce jour !

On s’embrasse.

— Tu dînes ici ?

— Non : je sors avec Marie-Marie et son fiancé ; par contre, j’ai invité Pinaud et Béru demain à déjeuner.

Elle est devenue pâle, ma maman.

La nouvelle concernant la Musaraigne l’atteint plus fortement que celle de mon éviction de la police.

— La petite se marie !

— Ben oui, une fille, c’est fait pour ça.

Félicie secoue la tête.

— C’est bête, je m’étais toujours imaginé…

— Oui, je sais. Dans le fond, moi aussi, plus ou moins. Mais je reléguais cette idée dans un futur qui reculait sans cesse. Que veux-tu, ma chérie, en amour, je suis l’homme d’un jour, pas celui d’une vie. La seule femme de mon existence, ça restera toi.

La voilà qui se met à pleurer. Un vrai gros chagrin, avec des sanglots, des hoquets.

Eperdu, je la cramponne contre moi.

— Non, m’man, arrête, chiale pas. Elle n’est pas morte. On continuera de la voir. On deviendra copains avec son mari. Je serai le parrain de son premier. Y a pas que le mariage, merde, pour lier des êtres ; ce serait trop simpliste, trop con. Je l’ai connue petite fille… Tu te souviens comme elle était drôlette, avec ses tresses, ses taches de son, son impertinence ? Elle traitait son oncle de gros con si gentiment qu’il en rigolait le premier, Béru.

« Et puis elle a grandi. Et ç’a été intimidant. On a plaisanté. Nos relations sont devenues ambiguës. J’ai failli l’épouser, je lui ai même promis de le faire à plusieurs reprises. Mais je n’allais pas plus loin. Et maintenant, elle a décidé de ne plus attendre. Je me suis laissé forclore. Ne me reste plus qu’à prendre la chose du bon côté. Ne pas pleurer, à quoi bon ? C’est vivant, la vie. Ça va de l’avant. Malheur aux glandeurs, aux traînards. Bon, je vais aller m’attifer en prince charmant, histoire de lui donner des regrets. »

Je ris triste.

Félicie me saisit le bras à deux mains avec une force qu’elle ne m’avait jamais fait éprouver jusque-là.

— Mais, Antoine, voyons ! tu ne sais donc pas qu’elle t’aime ! Elle t’aime comme jamais une autre femme ne pourra t’aimer. Et elle t’aimera toujours. Tu représentes tout ce qu’elle a rêvé.

Cet amour immérité m’effraie. Rien de plus sinistres que de ne pas être digne des grâces qui pleuvent sur soi.

Je me sens tout rabougri, tout moche, tout mesquin, infiniment minable.

Bast. Un mauvais moment à passer. Et puis le temps reprendra le dessus : on peut lui faire confiance, à ce salaud !

FAIS PAS DE VAGUES, J’EN AI JUSQUE-LA !

Drôle d’instant.

Elle est déjà là, la môme, avec son mironton. Je le voyais pas commak ! Il est presque bedonnant, avec un crâne qui se déplume sur l’arrière. Le teint rose, l’air sûr de soi et dominateur. Des lunettes à monture dorée. Le regard pâle, un peu inquisiteur, façon K.G.B.

Présentations. Ravi-enchanté.

Mister Gaspard écluse une menthe à l’eau.

— Marie-Marie m’a beaucoup parlé de vous, assure-t-il.

Le ton un peu maussade. Poli, sans plus.

La Musaraigne est carrément très jolie. Fardée délicat, dans les roses pâles. Je lis un je ne sais quoi de désespéré mais aussi de déterminé dans sa prunelle.

— A quand la noce ? je questionne.

Le poseur d’équations a un sourire suffisant.

— Tout de suite après notre période probatoire.

— Qu’entendez-vous par là ?

La môme intervient quickly.

— Dès ce soir, nous allons vivre ensemble, ma valise est dans le coffre de ma voiture. Aux grandes vacances, nous verrons si la vie nous donne le feu vert.

Mon guignol joue à pincemi et pincemoi. Ce porcelet matheux qui chique les Don Juan ! Y a de quoi se la sectionner, se l’empaqueter et courir l’offrir à l’Association des Veuves des Marins perdus en mer.

Je questionne le couple en formation sur son boulot.

Et comment ça marche dans l’enseignement : ils ont des surdoués au lycée ? De la drogue ? La masturbation régresse-t-elle ? Tout ça… Passionnant.

Le gros paquet s’anime. Sentencieux. Il a ses idées sur tout. Bravo ! Moi j’en ai sur rien. Juste sur les cons et les salauds, ça me permet de faire le tour complet du problème. Qu’est-ce qui lui a pris d’organiser cette rencontre, la Pie-Borgne ? Un truc de gonzesse !

Je la visionne en essayant de l’imaginer, attelée avec ce gros fourbi. Les chiares, le quatre-pièces, la chaîne hi-fi. Joyeux Noël ! Lancé, le disciple de Pythagore en déroule à tout berzingue. Plus mèche de le stopper.

J’espère qu’elle le fera cocu sans trop tarder, Marie-Marie.

Dès qu’il s’arrête pour reprendre souffle, je me dresse.

— Mille pardons ! Un coup de fil à donner, j’ai failli oublier.

Je m’esbigne jusqu’au sous-sol. Dame Pipi consent à me fournir du papier à écrire (elle en a également). Je ponds alors le poulet suivant :

Petite Conne,