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— Moi aussi, mes amis, j’avais mon idée, à propos de cette mignonne. Je croyais, dur comme fer, qu’Antoine l’épouserait un jour. Ça me faisait penser à ces mariages princiers de jadis, prévus dès la naissance des intéressés…

Béru branle son chef à deux mains.

— Ecoutez-moi c’vieux nœud ! Y croive qui vient d’découvrir l’Amérique, comme Francisque Colomb ! T’t’imagines, l’Emplâtre, que c’tait pas ma façon de voir aussi, à moi ?

Là-dessus, Marie-Marie entre, toute fraîche parce que sortant du bain, les cheveux noués par un foulard, marrante comme tout dans une robe de chambre à moi.

Un silence chargé comme le casier judiciaire du docteur Petiot s’abat sur la tablée.

Marie-Marie vient faire la bisouille à Pinuche, ensuite à tonton Alexandre-Benoît. Puis elle s’assied sur l’accoudoir de mon fauteuil et boit une gorgée dans mon verre.

— Alors, les chômeurs, ça boume ? elle questionne.

Le Mastar se ramone la gargane, que tu croirais un lion en rut rugissant dans la cathédrale de Chartres.

Il murmure :

— Si on s’résumerait, ça veut dire quoi t’est-ce que ?

Je souris :

— Il aurait été prof de français, ou d’histoire-géo, voire même d’anglais à la rigueur, j’aurais laissé faire, Gros. Mais de maths, j’ai pas pu accepter. Alors Marie-Marie vit avec ma pomme, désormais. Et l’jour où ça nous dira d’procréer un brin, je l’épouserai, histoire de fonder une dynastie. T’es d’ac, le Tuteur ?

Sa Majesté se remet lentement de sa stupeur.

— C’est ben pour dire comme quoi c’est toujours moi le con, déclare-t-elle. Toujours l’dernier à savoir, kif les cocus. D’alieurs, j’serais cocu, c’s’rait pas plus pire. J’sus là, gentil, l’palpitant su’ la pogne, toujours agréab’ aux aut’, un service et me v’là ! Et on manigance dans mon dos !

— Allons, ne rouscaille pas, Tonton, tout s’est fait très vite, calme la Musaraigne.

Elle lui narre son coup de force sentimental d’hier. Le Magistral n’en revient pas.

— Ell’ est aussi garce que sa tante ! conclut-il. Tu peux t’gaffer, Antoine, av’c un p’tit sujet commak, t’es pas encore sorti d’l’albergo !

Cet épisode ayant pris sa place dans nos destins respectifs, nous tentons, mes sbires et moi-même, d’échafauder des projets qui nous permettraient d’exister convenablement en mettant à profit ces dons incomparables que la providence nous a si largement dispensés. Un instant, nous caressons l’idée d’ouvrir une agence de police privée, une vraie, mais nous sommes bien obligés de convenir qu’une telle entreprise débouche sur pas grand-chose car, hormis des époux trompés, masos au point de vouloir la preuve de leur infortune, et excepté quelques patrons doutant de l’honnêteté de leurs employés, la Rousse artisanale manque de débouchés et de panache. Je me vois mal filochant une petite bourgeoise dévergondée jusqu’à l’hôtel du Hanneton Frivole et poireautant au troquet d’en face en attendant que la dame ait pris son panard joli. Il est de basses besognes qu’on se refuse à accomplir lorsqu’on a été un héros de la Maison Pouleman.

On a beau se presser le cigare, on ne trouve rien.

Pinuche envisage de plus en plus l’acquisition de son bureau de tabac, quant au Gros, l’appel de la terre prend des accents impératifs. Il se voit très bien labourant et pâturant à Saint-Locdu-le-Vieux dont il deviendrait très vite maire, tandis que Berthy prendrait un commerce à la ville voisine.

Notre curriculum vitré (comme dit le Mastar) se met à fleurer la soupe aux choux. Pour ma part, je pense que je devrais m’orienter vers le journalisme.

On stagne dans une indécision béate lorsque la sonnette de notre pavillon se met à carillonner.

Conchita va aux nouvelles en trémoussant du fion, comme une Andalouse soucieuse de flamencoter en toute circonstance.

Elle revient au bout d’un temps pour m’apprendre « qu’ouné moukère, elle veut me parler ».

Allons bon ! J’espère qu’il ne s’agit pas d’une personne dont je me suis défait après lui avoir prodigué quelques-unes de ces manœuvres capiteuses qui ont fait de moi une tête de liste de la tête de nœud ! Pas le moment ! Il arrive parfois qu’une trop bien baisée, qui souhaite l’être encore, me relance avec opiniâtreté jusqu’à mon domicile. Certaines risquent même de désagréables pressions sur moi, le cul et le chantage faisant d’aventure bon ménage. L’état de célibataire allume les convoitises et donne à rêver. Bien des femelles soucieuses de se placer sont venues m’annoncer que nos étreintes avaient des conséquences qu’il me fallait réparer.

— Faites-la rentrer au petit salon, dis-je à mon Ibérique ancillaire.

Nous appelons « petit salon », une pièce grande comme deux cabines téléphoniques, où achève de se désaccorder le modeste piano droit sur lequel j’ai, plusieurs années durant, tenté de jouer la Lettre à Elise.

Chère Elise ! Que de courrier elle doit recevoir avec les milliers et les milliers de jeunes cons que leurs parents prennent pour Mozart !

Deux fauteuils crapauds, un peu déglingués, complètent le mobilier de cette pièce qui ne sert que dans des circonstances extrêmes, comme aujourd’hui par exemple, quand le living est occupé.

Je me pointe dans la pénombre du « petit salon » lequel est chichement éclairé par un fenestron pour chiottes ou salle de bains. La Conchita de mes deux n’a pas eu l’idée d’actionner l’électricité. Je répare cette omission d’un petit coup bref sur le commutateur. La vasque d’opaline jaune me propose alors une personne dans la force de l’âge, grande, dodue, mal épilée, loquée d’un tailleur imitation Chanel et qui se trimbale deux ou trois kilogrammes de bijoux en provenance du Creusot.

La visiteuse est extrêmement brune, extrêmement fardée, extrêmement vulgaire. Sa voix de mêle-casse lui sied parfaitement.

Elle me tend une main de boxeuse, me flanque au visage une haleine alliacée et plante dans mes yeux les siens qui sont vert pastis. Il y a un certain cloaque dans ce regard.

J’attends qu’elle se nomme et m’explique l’objet de sa visite. Si elle coltinait une quelconque valise, je la situerais placière en livres érotiques, si elle avait une serviette, j’en ferais une démarcheuse d’assurances, mais compte tenu de ce qu’elle ne possède même pas de sac à main, je la répute emmerdeuse tout-terrain.

— C’est vous le fameux commissaire San-Antonio ? me demande-t-elle.

J’acquiesce.

— Je suis Mme Lesbrouf, me révèle alors cette étrange jument.

L’Antonio tressaute.

Pas possible ! Dame Lesbrouf ! Ici ! Qu’est-ce à dire ?

— Vous êtes en rapport avec M. Lesbrouf, n’est-ce pas ? enchaîne-t-elle.

— J’étais, car, peut-être l’ignorez-vous, mais on m’a dessaisi de l’affaire.

— Je suis t’au courant.

— Si vous êtes t’au courant, je m’explique mal votre visite, lui avoué-je.

Elle écarte sa belle bouche en forme de coquelicot réalisé avec de la matière plastique.

— Les journaux de ce matin causent comme ça que vous avez démissionné, des suites du meurtre arrivé à notre vendeuse des anciennes Halles.

— Ils disent vrai.

— Donc, vous z’appartenez plus à la police ?

— Plus du tout.

— Bon !

Dès lors, elle s’assied avec un ahanement d’intense satisfaction, croise ses jambes galbées comme des chapiteaux corinthiens me révélant un porte-jarretelles de rêve, un slip follement suggestif et une paire de jambons bleuâtres qu’il fallait consommer à temps, mais à présent, il est trop tard, le délai de conservation est expiré.

— J’ai lu des tas de choses sur vos prouesses, me dit-elle. Y semblerait que vous êtes un crack dans votre genre ?