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— Dans mon genre seulement, chère madame.

— Si je vous payais pour faire l’enquête, vous la feriez ?

Quelle surprenante propose !

— Mon Dieu, madame, ce n’est guère envisageable puisque d’anciens collègues à moi en seront chargés. Ils ne toléreront pas que je marche sur leurs brisées ; ignorez-vous que l’homme soit un loup pour l’homme ?

— En tout cas, l’homme est un homme pour le loup, philosophe ma visiteuse.

Elle remonte sa jupe de tailleur de vingt centimètres.

Il y a de jolies petites roses brodées sur ses jarretelles.

Chère femme ! Rien que pour ses dessous surannés, elle a droit à ma haute considération.

— L’enquête dont je viens de vous proposer n’a rien à voir avec l’enquête officielle, précise-t-elle.

— C’est-à-dire ?

— Moi, je connais le criminel, ce qui va vous faire gagner du temps. Tout ce dont je vous demande, c’est de prouver sa clubapili… sa culabili… sa publiai…

— Sa culpabilité ? proposé-je à tout hasard, étant un homme d’un naturel serviable.

— Voilà : sa clupulabilité, reprend dame Lesbrouf avec un sourire remercieur.

— Si vous connaissez le meurtrier, que ne le dites-vous à la police !

— Les flics sont trop cons, ils me croiront pas, affirme-t-elle péremptoirement.

Je suis tenté de la détromper et de plaider pour ceux de mon ex-profession, mais cette dépense d’énergie serait, je le sens bien, inefficace.

— Combien vous me prendriez-t-il pour enquêter, m’sieur Antonio ?

— Ma foi, vous me prenez au dépourvu…

Elle sort de la poche de son tailleur une liasse de talbins maintenue par un fort élastique.

— Y a vingt mille balles. Je vous y donne comme acompte. Si vous réussissez, je vous en redonnerai trente z’autres, ça va ?

— Vous m’embarrassez…

— Ecoutez, m’sieur Antonio, faites pas de manières.

On traite ! Peut-être que c’est pas suffisant ; peut-être que c’est trop ; mais on s’en fout. Je vous demande vos services, je les paie. Pourquoi vous y trouveriez-t-il pas correct ?

— En effet, conviens-je, frappé par la justesse de cet argument sommaire, donc sans réplique.

Elle dépose sa liasse sur le couvercle du piano.

— Marché conclu ! dit-elle en me présentant sa dextre.

Je la presse.

— Vous êtes bel homme, juge-t-elle judicieux de placer.

— Je le répéterai à ma mère, elle sera flattée.

Son regard couleur de soupe aux choux trouve des langueurs océanes.

— J’ai eu un amant qui vous ressemblait un peu… Un routier.

Je sens qu’elle apprécierait un compliment.

— Il a été bien inspiré de descendre de son camion, gazouillé-je.

Elle s’esclaffe :

— Vous vous gourez : c’est moi que je montais. Il drivait un vingt tonnes pinardier. On baisait sur sa couchette. Ça sentait le fauve. Ce tendeur ! Si je vous disais qu’il ne posait même pas son bénard !

— Certains hommes se servent en effet de leur slip comme salle de bains, conviens-je. Nous avons tous nos petites manies.

La dame décroise ses jambes pour les écarter abondamment. Tiens, ça me fait penser qu’il y a des travaux dans le tunnel de Saint-Cloud. Son slip est couleur fumée. J’ai connu une jeune fille à qui ça allait bien.

— Vous prétendez connaître l’assassin ? je lui questionne.

— Parfaitement : c’est mon mari.

Dans la pièce voisine, l’organe mâle de Bérurier entonne les Matelassiers. Il doit atteindre son orbite de croisière, Alexandre-Benoît.

— Vous avez une fête de famille ? s’inquiète Mme Lesbrouf.

— Mes fiançailles, réponds-je.

Elle cligne de l’œil.

— J’en sais une qui a de la chance.

Elle referme nostalgiquement son passage à niveau.

— Pourquoi prétendez-vous que votre mari est l’assassin ?

— Parce que je le sais, monsieur Antonio. Je le connais à fond, Paul-Adrien. Je ne dis pas qu’il a tué de sa main, mais j’affirme qu’il a tout organisé.

— Ce faisant, il porterait atteinte à son commerce.

— Non, monsieur Antonio, parce que SON commerce est A MOI ! Il veut me ruiner, pour, ensuite me tuer à mon tour. Ecoutez bien ce que je vous dis aujourd’hui : si on ne l’arrête pas, il me fera assassiner aussi, une fois que je serai dans la dèche.

— Pourtant, quand je l’ai rencontré, il m’a vanté votre énergie : il m’a parlé de l’époque où, vous et votre sœur, cousiez des nuits entières, pendant qu’il créait les modèles…

— Exact. Seulement, il y a eu l’après-vache enragée.

— C’est-à-dire ?

— Bon, l’affaire se développe, prend une extension formidable. Elle est à mon nom, car mon époux a fait faillite auparavant et je lui ai servi de femme de paille. Il se croyait pourtant le maître jusqu’au jour où j’ai annoncé la couleur.

« Il claquait un blé terrible à des riens ! Il lui manque une case, pour parler franc. Il a des lubies, de nos jours on appelle ça des hobbies. Il fait des collections tellement saugrenues… »

— Je sais : de poignées de mains, entre autres ?

— Bon, je vois qu’il vous l’a montrée. Mais si je vous disais… Tenez, il a fait un disque de la Cinquième Symphonie uniquement avec des trous du cul en guise d’instruments. Vous m’entendez, m’sieur Antonio ? La Cinquième tout en pets. Dirigée par Karajan, s’il vous plaît ! Et vous savez combien il prend, Karajan, pour diriger un orgestre de pétomanes ? J’ose pas vous le dire ! Au noir, bien sûr ! S’il autorisait au moins qu’on mette son nom sur la pochette on pourrait amortir, mais ouchtre ! Pendant un mois, on a eu cent vingt exécutants dans notre château. Des clodos, souvent ; qu’on gavait de cassoulet, de laitages, de féculents. L’orchestrateur les faisait répéter pendant des heures ! Ma machine à laver ne désemplissait pas ! Dame, y avait des fausses notes ! Mettez-vous à leur place. La basse noble, surtout ! Ce qu’elle a pu me faire comme dégâts !

« Après, il a entrepris une collection de nains ! Pas des nains peints ou statufiés, c’aurait z’été trop simple.

Non, non : des vrais nains, bien vivants. Vous savez ce que ça coûte, un vrai nain, vous ? Je dis des vrais, parce qu’il y en a des faux, des qui font semblant et qu’on lui refilait comme authentiques, ce con ! Vingt-neuf nains chez nous, m’sieur Antonio ! Bon, ils ont beau être petits, ils bouffent, ils boivent. Certains ont de la famille qu’ils veulent pas se séparer. Vous imaginez un peu ? Je lui ai fait une telle vie qu’il a revendu toute sa collection à un cirque pour une bouchée de pain. Les nains, c’est comme les tableaux : à l’achat, on vous réclame des sommes gastronomiques, mais à la revente, vous êtes niqué. Le patron du cirque a pris le lot, mais comme certains mesuraient plus d’un mètre soixante, il a donné un prix de misère.

« A la fin, moi, j’ai coupé les vannes. Tout à mon nom, ce con ! Il a ses dix mille balles d’argent de poche par mois et basta ! »

— Pourquoi continue-t-il, en ce cas, de gérer des boutiques qui ne sont pas à lui et ne lui rapportent rien ?

La dame en ouvre tellement large ses jambes pour s’aider à crier que je me cramponne aux accoudoirs de mon fauteuil, pas être engouffré par l’appel d’air.

— Gérer ! Vous rigolez ! Il a nibe d’activités depuis longtemps. Il boyscouterait plutôt l’affaire si moi et ma sœur on ne veillait pas au grain. Tout ce qu’il sait, c’est aller plonger dans les tiroirs-caisses aux heures d’influence. Lui, chaque fois qu’il vous serre la main, vous pouvez recompter vos doigts après.