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— Oui, oui. Il est reparti ce matin.

Elle me regarde, incrédule.

— Mais je n’ai pas bougé de ma caisse, je l’aurais vu passer…

— Il a dû filer en douce : c’est sa grande astuce. Que voulez-vous, avec son infirmité, il faut bien qu’il se distraie un peu…

— Bien sûr, reconnaît-elle en torchant une larme.

« Vous conservez votre chambre ?

— Mais évidemment.

Je me taille en vitesse. Où vais-je bien pouvoir déposer mon colibard ? Je peux pourtant pas faire de la représentation avec ce que contient ma valise…

D’autre part, je ne veux pas m’en débarrasser tout de suite, car il peut m’être utile.

Le mieux est que je cherche un autre hôtel où je déposerais ma valise. J’ai dit à la vieille-morue-pensionnée-de-l’État que je conservais ma piaule, mais c’est du flan ! Si j’ai agi de la sorte c’est pour dépister les recherches que ne manqueront pas d’entreprendre les autres kangourous en ne voyant pas revenir leur lilliputien.

Je prends le métro et dans le quartier de la Bourse, je trouve une crèche convenable et y laisse mon corbillard portatif après l’avoir soigneusement fermé à clef.

Je m’inquiète de l’heure : il n’est pas loin de midi. Va falloir que je me remue le panier si je veux mettre au point mon petit numéro. Cette fois il s’agit de travailler avec tact et méthode.

Je me regarde dans la vitrine d’un chapelier et je fais une grimace qui pourrait servir pour l’annonce des pilules contre la constipation. Ma pommette est enflée et luisante comme une aubergine et mon nez ressemble à celui de Joe Louis. Qu’est-ce que le nabot m’a collé dans la physionomie !.. C’est maintenant, au froid, que ça commence à prendre des proportions inquiétantes. Faut pas que je compte faire virer le dôme des grognasses aujourd’hui car elles auront un drôle d’argument pour m’envoyer peigner la girafe… Ça me tarabuste parce que j’ai le ranque avec cette enfant de garce de Greta et qu’elle va se gondoler en voyant que mon renifleur ressemble à celui d’un hippopotame.

Mais tant pis, un amphibie dans mon genre, a, Dieu merci, d’autres arguments que son physique pour charmer.

Je passe un coup de tube à Bravard. Bravard est un pote à moi à qui j’ai rendu un vache de service autrefois et qui se déguiserait en échelle de pompiers si ça pouvait me faire plaisir.

— Mince ! s’exclame-t-il. C’est vous, monsieur le commissaire. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

Avant que je vous fasse assister à notre conversation, faut que je vous apprenne que Bravard travaille à la radio comme ingénieur du son.

— Ma petite tête de hareng fumé, je lui fais. J’ai besoin, pour tantôt d’un appareil à enregistrer le son, ni plus ni moins. Ce machin-là, j’aimerais qu’il soit un peu moins gros qu’une locomotive parce que c’est dans ma chambre que je voudrais l’installer. Est-ce que tu pourrais me trouver ça dans tes tiroirs ?

Il me répond « parfaitement, bien sûr ». Il va prendre un des appareils qui lui servent pour les interviews à domicile et il va amener ses os et son matériel.

Je lui refile l’adresse de mon hôtel et je demande confidentiellement au garçon d’étage si, moyennant une honnête rétribution, il pourrait me dégauchir une bouteille de Martini acceptable.

Il secoue la tête d’un air douloureux et s’éclipse.

Je le vois revenir avec un litre de Cinzano. C’est tout ce qu’il a pu trouver. Ce zigoto a dû être baptisé au sécateur car il s’y connaît question commerce. Je paie la bouteille de Cinzano le prix d’un vélo de course et je commence illico à lui dire deux mots. On s’entend si bien, elle et moi, que je l’ai à moitié tuée lorsque Bravard arrive.

Il trimbale une valtouse aussi grande que la mienne. Seulement il y charrie avec elle du fret d’une autre nature. C’est un dégourdi. On carre la valise sous mon plume et on installe le micro dans un vase de fleurs. Le fil est habilement camouflé.

Bravard m’explique comment il faut s’y prendre pour déclencher ce bastringue. C’est aussi facile que de faire des ronds dans l’eau. Je lui fais finir le litron et lui dis qu’il pourra repasser prendre l’appareil dans la soirée.

On se sépare et je me dirige vers le plus proche restaurant car, on a beau dire, mais midi est une heure qu’il faut respecter comme son vieux grand-père.

Greta la trouve mauvaise

Viendra-t-elle ?

C’est la question qui se tortille dans mon cerveau comme un ver coupé en deux.

Cette gosse Greta, malgré sa nature sadique — ou peut-être à cause d’elle — me charme. C’est une sirène de première à laquelle je ne me lasserais jamais de faire le grand jeu.

Je suis la rue du Quatre-Septembre jusqu’à l’Opéra et je rentre au Pam-Pam. J’ai un vertige : ma souris y est déjà, et comment qu’elle est fringuée la donzelle ! Afin de ne pas me gêner, elle a laissé de côté son uniforme gris et elle porte un manteau de fourrure éblouissant. Si c’est pas du vison, alors c’est de la peau de toutou !

Je lui fais un baise-main qui sent sa vieille noblesse bretonne de loin et je m’assieds à ses côtés.

— Dites donc, Greta, c’est rudement chic à vous d’être venue.

— Sans blague, elle me fait, vous ne me croyiez pas de parole ?

— Sait-on jamais avec les jolies femmes…

Le compliment est facile, mais ça n’empêche pas qu’il lui fait monter le rose aux joues. Avec les gonzesses, c’est pas la peine de se mettre en frais… Les grands trucs à la Valéry elles s’en balancent, seulement tous les madrigaux à la godille les font se pâmer d’aise.

Puisque ça à l’air de lui plaire, je mets une rallonge et je lui débite un chapelet de couenneries. Elle aurait pour deux ronds de jugeote, elle hausserait les épaules et courrait acheter du sparadrap pour me le coller sur le bec ; mais pensez-vous ! elle déguste mes boniments comme elle dégusterait de la crème de cassis.

— Vous ne trouvez pas qu’il fait un froid de canard ?

— Tiens, fait-elle, ironique, vous vous intéressez à la météorologie à cette heure ?

Je prends la mine du collégien assis pour la première fois sur les genoux d’une rombière.

— C’était pour amener une petite proposition, dis-je de mon air le plus piteux.

— Dites toujours…

— J’aimerais vous montrer ma collection d’estampes japonaises…

Elle se met à rigoler et à tortiller du contre-poids d’une telle façon que si on lui carrait une cuillère de bois dans le prose on pourrait battre une mayonnaise.

Je demande :

— Alors, bien-aimée, c’est oui ?

Elle ne répond pas tout de suite et j’ai un pincement au cœur. Si elle refuse, je vais avoir la plus grosse déception de ma vie. Pas une déception d’ordre physique… Enfin, vous pigerez un peu plus tard.

— Vous n’avez pas beaucoup de suites dans les idées, murmure Greta. Je croyais que vous aviez donné votre petit cœur à cette jeune fille qui vous accompagnait…

Je soupire. Du moment qu’il s’agit d’une simple question de jalousie, on va pouvoir régler cette question en moins de deux.

— Gisèle ? lui dis-je, c’est tout à fait à part. C’est une amie. Ne riez pas. Elle m’a soigné, m’a aidé… Bref, je me jetterais au feu pour elle, je crois vous l’avoir prouvé, mais sur le terrain amoureux, c’est une autre paire de manches. Si je vous dis que j’en pince ferme pour vous, c’est que c’est la vraie vérité du Bon Dieu… Parole d’homme. Pour Gisèle je ferais n’importe quel sacrifice, mais pour vous je ferais toutes les folies… Vous saisissez le distinguo, belle Andalouse aux seins brunis ?

Elle secoue la tête. Elle boit du petit-lait. Je sens que mes actions sont en hausse.