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Ce disant, j’attrape une grosse mèche dans sa chevelure et je la coupe le plus ras possible.

J’ôte le bâillon de Greta afin de lui permettre de me donner son appréciation.

— Pas ça ! supplie-t-elle. Pas ça !

Sans répondre, je coupe une seconde mèche.

— Non ! non ! Je ne veux pas… Arrête !

— Où est l’ampoule ?

Elle pince les lèvres.

— C’est dommage, dis-je, d’un air navré, en coupant une troisième mèche. Une chevelure comme la tienne, ça ne se voit pas tous les jours. Il va falloir au moins six mois pour que ça repousse un peu. Il paraît que ça fortifie le cuir chevelu, alors t’inquiète pas. Seulement, l’ennui pour toi, c’est que tu vas être privée de ton sex-appeal pendant un bout de temps. Tu n’auras du succès que chez les lopettes parce que tu ressembleras à un garçon…

Je saisis une quatrième mèche.

— Plus ! plus ! Je t’en supplie…

— Où est le B Z 22 ?

— Dans la doublure de mon manteau.

Je saute sur sa fourrure et je palpe fiévreusement. Je sens une protubérance à l’intérieur d’une manche. En vitesse je découds la doublure à cet endroit. Victoire ! l’ampoule s’y trouve.

Voilà donc l’un de mes trois vœux réalisé. Il me reste à délivrer Gisèle et à m’embarquer pour London. Si je suis pas déguisé en poêle à marrons après tout ça, c’est qu’il y a un gars qui s’occupe à fond de mon dossier par là-haut !

Ce vieux Fred !

Il ne faut pas cent trente-trois ans pour arrêter un plan d’action.

— Tu m’excuseras, dis-je à Greta, mais je suis obligé de te laisser seule pour une heure ou deux. Comme je tiens absolument à te retrouver à mon retour, je te laisse attachée. Et puis je vais te remettre ton bâillon, pour le cas où tu serais tentée d’ameuter les paisibles locataires de cet hôtel. Mais ce sont des précautions superflues car si tu n’étais pas sage, j’enverrais aussitôt à l’ami Karl ce que tu sais.

Ceci mis au point, je lave ma blessure, je me panse tant bien que mal et je descends. Avant de quitter l’hôtel, j’interpelle le garçon d’étage :

— Vous avez fait ma course ?

— Depuis un moment déjà, oui, monsieur.

— O.K. Dites donc, la petite dame qui m’a rendu visite pique un somme. (Je lui fais un clin d’œil.) Donc laissez-la se reposer tranquillement.

— Certainement, monsieur.

Je prends le large.

Dix minutes plus tard je débarque rue des Saussaies et je demande à parler à Berliet. Il me reçoit dans son vaste bureau presque ministériel. Il est en train de caresser un gros lézard vert, car Berliet a la passion de ce genre de bestioles.

— Je n’y comprends rien, me dit-il, avant que j’aie eu le temps d’ouvrir la bouche. Théodore ne s’est pas endormi cette année. Habituellement il hiverne début novembre…

— Mon grand, lui dis-je, si ça ne te tracasse pas trop, remise ta ménagerie et écoute-moi.

Je lui raconte par le menu toute l’affaire. Il m’écoute sans m’interrompre ; sans cesser non plus de me fixer.

Quand j’ai terminé :

— En somme, dit-il, tu es déjà dans la poêle avec un morceau de beurre et tu attends que ces messieurs te fassent cuire ?

J’en conviens :

— Y a de ça, oui… Alors j’ai envie de jouer mes cartes dans l’ordre. Pour cela, j’ai besoin d’un coup de main.

— Je ferais l’impossible, mais j’ai peur que ce ne soit pas grand-chose…

— J’ai à te demander deux choses très précises : primo, peux-tu faire parvenir d’urgence cette ampoule à sir Montlew de l’Intelligence Service, avec un mot que je vais faire, et deuxio, connais-tu une combine pour passer en Angleterre ?

Berliet prend l’ampoule et la glisse dans un tiroir. Puis il me tend un bloc de correspondance et une enveloppe.

— Écris ta lettre, mon petit père. C’est d’accord. Quant à ton coucou, il te le faut pour quand ?

Je réfléchis.

— Pourrais-tu m’indiquer un terrain clandestin où un avion se poserait toutes les nuits à partir de demain soir ? Je ne sais comment je vais sortir Gisèle de ce merdier ; je ne suis même pas sûr que la chose soit possible… En tout cas cela peut se faire très vite comme cela peut traîner en longueur…

— Je comprends… Eh bien je vais demander des instructions à Londres. Où puis-je te toucher ?

— Je préfère t’appeler d’un Taxiphone…

— Entendu.

Pendant que j’écris ma lettre à sir Montlew, mon ami fouille dans ses tiroirs. Il empile sur son fauteuil un tas d’objets auxquels je ne prête pas attention. Il en fait un paquet et me le met sous le bras avant que je parte.

— Je te dis merde ! murmure-t-il en me serrant la pogne. À bientôt.

Greta n’a pas bougé.

— Tu ne t’es pas trop fait tartir ? demandé-je en la détachant. Tu vois que je suis fidèle à mes promesses : je n’ai pas mis plus d’une heure. Tu as tiré des plans sur la comète ?

Elle frotte ses poignets meurtris.

— Fils de chien ! grommelle-t-elle.

Je la prends par la taille et lui colle un gros baiser vorace dans le cou.

Elle me repousse comme si j’étais un crapaud.

— Ben quoi ! lui dis-je, tu es fâchée ?

Elle secoue la tête et porte son index à sa tempe.

— Ma parole, tu dois être jojo ! Tu me brûles la plante des pieds, tu m’attaches pendant des heures à des barreaux de lit et tu voudrais que je te presse contre ma poitrine en t’appelant mon cher amour !

— Les affaires n’empêchent pas les sentiments… Revenons donc à nos moutons : le B Z 22 est en route pour Londres. J’espère qu’il ne fait que nous précéder, Gisèle et moi…

— L’espoir fait vivre…

— T’as raison : l’espoir fait vivre. Si tu tiens à ta peau on va p’t-être pouvoir collaborer.

Elle hausse les sourcils.

— Parfaitement ! c’est un mot qui te choque ?

— Allez, accouche !

— Eh bien je te propose le fameux enregistrement et… une grosse prime en argent liquide en échange de la liberté de Gisèle.

Elle éclate de rire.

— Tu me prends pour une petite fille ?

— Pas du tout. Je te répète que le B Z 22 est en sûreté. Ni toi, ni moi, ni Karl ne pouvons espérer lui remettre la main dessus. Donc, je suis dans une impasse. C’est une évasion qu’il faut mettre sur pied pour libérer Gisèle, il n’est plus question de transactions quelconques — lesquelles d’ailleurs se seraient terminées de la même façon pour la petite et pour moi, tu l’as dit tout à l’heure. Si je sors la petite du trou, je file de l’autre côté de la Manche. J’aurai la possibilité, grâce à l’ampoule, d’avoir tout le fric que je voudrai. Je te propose un million de francs contre ton aide. De cette façon, tu n’auras pas tout perdu…

— Quelle garantie puis-je avoir que tu m’enverras l’argent ?

— Aucune garantie, dis-je, très loyalement, aucune garantie, mon oiseau des îles. Tu devras te contenter de ma parole. Si tu ne marchais pas et qu’il arrive malheur à Gisèle, Karl recevrait aussitôt les disques. Ce qui fait que tu passerais un sale quart d’heure. Si tu fuis, tu seras traquée par une police extrêmement habile, tu le sais mieux que quiconque, et qui aura l’avantage de te connaître à fond. Tu n’auras pas de pognon, ce sera très triste et ça finira très mal.

— C’est bon, je marche, soupire-t-elle.

Elle paraît soudain très lasse…

— À la bonne heure… Tu vas me donner des renseignements sur la boîte. D’abord, où Gisèle est-elle enfermée ?

— Dans un des cachots du sous-sol.