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Les faces luisantes où les regards brillent sauvagement guériraient le hoquet d'un marteau-piqueur. Que faire ? Rien !

C'est pourquoi nous nous arrêtons.

— Bonjour, Messieurs, salue Béru d'un ton courtois.

Au lieu de répondre, les « messieurs » poussentun cri pareil à une exclamation de surprise. Quelque chose dans le genre de « Tiens » et, en chœur, descendent deux marches, puis s'arrêtent.

— Quels sont tes projets, mec ? s'informe Béru sans me regarder. Après tout, c'est toi le boss, je te laisse responsabiliser.

Une idée me vient. Elle ne vaut que par l'espoir que je mets en elle.

— Carre-toi la paluche dans le clapoir, Mec, débloque ta salle à manger deux pièces et virgule-la-leur, s'ils n'ont jamais entendu causer de la prothèse dentaire, ça les épatera !

— T'as pas déjà fait ce coup-là dans « Y'a bon, San-Antonio » ? s'inquiète le Consciencieux.

— C'était avec un œil de verre, Gars. Et, de toute façon, si nos lecteurs s'y trouvaient, ces guerriers, eux, ne s'y trouvaient pas !

Vaincu, le cher Béru passe à l'action. Il pousse un grognement, s'introduit le pouce et l'index dans la bouche et d'un coup sec, dégage son matériel à pique-niquer. Lors, il le brandit au-dessus de sa tête en roulant des yeux féroces.

L'effet dépasse mes espérances. A cela près, du moins, que là où j'escomptais l'effroi, je récolte la tempête.

De rires !

Faut dire que Béru sans ses dominos, c'est quelque chose de pas soutenable. Sa figure devient flasque et ses joues lui pendent des mâchoires. Il a la bouille du cador qui fait de la pub pour une marque de godasses.

Les guerriers du premier rang commencent à se cintrer, puis ça gagne le second rang, le troisième… Ils se claquent les cuisseaux comme des frénétiques, les redoutables Matuvu. Ils en laissent quimper leurs lances ! Ile se montrent Béru du doigt. Ils s'étranglent. Ça les désopile.

— Eh bien ! eh bien, les gars, proteste mon ami, est-ce que ce serait que vous vous payez ma fiole, ou quoi donc ?

Le fou rire, comme le président de la repu, blique française, est général. Il a la vertu de survolter Béru, lequel planque son râtelier dans sa fouille.

— On va voir, déclare le Bestial, on va voir, mes gamins…

Il cramponne le premier qui se trouve à sa portée par la jugulaire de son cache-sexe et le déséquilibre violemment.

Le gars bat l'air de ses deux bras et me choit sur les endosses. Je file un petit coup d'épaule au moment propice, si bien que le rieur va éternuer sa marrade sur l'angle de la dernière marche.

Les autres hurlent de joie. Ils trouvent poilant l'exploit de Béru, Alors, le Gros devient fou. Le voici sanglier forçant la meute ! La colère lui fait pousser des défenses à la place de ses crocs empochés.

Terrifie, je vous dis ! Tornade humaine ! Cyclone à quatre membres dont les inférieurs sont supérieurs aux supérieurs. Hélas, les gardes réagissent. Lorsque le quatrième se pète la coupole et qu'il y en a un tas au pied de l'escalier, saupoudré de ratiches et arrosés de sang, les crépus de la touffe commencent à moins rigoler.

Ils récupèrent leurs hallebardes. Et, contrairement aux gardes suisses, ils ne vont pas pontifiquer. Y'en a un, particulièrement féroce qui s'apprête à embrocher le Gravos. Il est accroupi, ce méchant lancier. Entre les cannes de ses potes qu'il mijote son assaut. Je me sers de mes tenailles comme d'un projectile et il les chope sur le museau. Bloinggg ! Il part en avant, glisse sur les marches humides. Je cramponne sa lance au passage et le laisse poursuivre sa coulée.

— En avant ! je hurle.

Une charge, retenez bien ça, mes frères, doit toujours s'accompagner de cris pour être efficace. L'oreille, c'est la faiblesse du combattant. C'est à cause d'elle qu'il s'écoute ! Donc, il convient d'user et d'abuser du bruit pour dérouter l'adversaire.

Je fonce. En me voyant et en m'entendant charger avec brusquerie, moi qui, jusqu'alors, occupais une position inférieure, ils ont un brusque mouvement de recul. Nous abusons de ce repli. Le flux les apporta, le reflux les emporte ! Ça réveille les ardeurs béruréennes un moment calfeutrées. Il reprend sa hache de guerre, Béru. On dirait le Grand Ferré, tel que le popularisait mon livre d'histoire cours élémentaire première année. Le Grand Ferré, célèbre anglophobe… Mort en 1358 ; mais vous vous en foutez, et lui aussi maintenant. Nous bousculons l'adversaire, le taillons en pièces. Vlan ! Plouf ! Boinggg ! Ouille ! Faut que ça passe ou que ça dise pourquoi !

Ça passe !

Nous voici dans une vaste pièce qui sert de resserre. Nos adversaires, refoulés, s'y réorganisent, l'espace leur redonnant de l'audace. Ils demi-cerclent pour nous cerner mais nous usons de subterfuges. Des barils de je ne sais quoi (mais pleins) étant empilés dans un angle du local, nous nous mettons à les dépiler afin qu'ils roulent et se propagent.

Ce flot roulant oblige les guerriers à s'écarter. Alors nous prenons la porte en vitesse. Manque de bol, elle ne comporte pas de verrous. Nous traversons les cuisines du palais où des femmes vêtues seulement de gants de caoutchouc (la reine est très à cheval sur l'hygiène) préparent déjà le repas du soir en mâchant du manioc pour en faire une soupe de tapioca.

Sans ralentir notre allure forcenée, nous faisons tomber tout ce qui se trouve sur notre passage, manière de freiner le rush de nos poursuivants. Les tabourets, les ustensiles de cuisine, les sacs de victuailles, tout un incroyable fourbi jonche le sol.

Le plus efficace, c'est le tonneau d'olives… Les frénétiques Matuvu dérapent dessus et se ramassent des bûches Denoël.

La cuisine passée, nous revoilà dans la salle à manger, déserte à cette heure, si l'on veut bien compter pour du beurre noir les trois paumés occupés à fourbir la vaisselle d'or en crachant dessus et en la frottant avec la peau de leurs vestibules (ce sont les fameux orchitiers-laveurs des Malotrus). Ils nous regardent passer d'un œil surpris, puis se tournent vers la horde salopante qui débouche à son tour.

Notre affaire ressemble à ces films muets basés sur des poursuites farfelues. II n'importe. Une poursuite continue de faire bien dans une histoire. Y'a des recettes éprouvées qui ne seront jamais réprouvées.

La salle à orgies est traversée. Nouvelle porte ! Maintenant c'est la salle du trône. Nous débouchons dans un tableau magnifiquement composé, style Sacre of Napoléon, le brandy de l'estomac.

La reine Kelbobaba sur son plantureux trône. Des esclaves l'éventent car elle a des digestions laborieuses.

Elle est entourée de sir Dezange, en jaquette et pantalon rayé, ayant à son cou l'ordre de la jarretelle et à sa droite, le général Mac Seynett de l'amirauté. De William, le secrétaire et du général Latumefey-Shier des services compris britannouilles. La converse doit être vachement serious, car ils arborent tous des mines un tant soit peu sinistres.

— Mes respects, Majesté ! crié-je, en traversant la salle au triple galop.

— Mon cœur ne bat que pour vous, ma beauté ! renchérit Béru.

Nous n'avons pas le temps de déguster la stupeur de ces messieurs-dames. Déjà une nouvelle porte. Tchao, tchao, bambino ! Heureusement, les guerriers stoppent devant leur reine. Ils ont trop de respect pour continuer de courir en sa présence. De plus, elle les interroge pour savoir ce qui se passe. Nous jouissons donc d'un certain répit.

Cette fois, nous v'là dans un couloir… Les lourdes s'y multiplient. Nous dubitativons de conserve, Béru et moi, ce qui nous permet de reprendre notre souffle.