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C'est la panique dans la volière. Les vierges d'apparat, les valets de bains de pied de la reine, ses torche-miches, ses éventeurs, ses éventreurs, ses épousseteurs, ses dépisteurs, ses porte-bannières, ses mastiqueurs, ses taste-poisons, ses goûte-plats, ses gâte-sauces, ses biographes, ses gratteurs de luth, ses gratteurs de c…, ses lécheurs d'élite, ses bêcheurs spécialiés, sa brigade des rieurs serviles, ses lanceurs de pétales de rose, ses minimiseurs, ses bourreurs de mou, ses arrangeurs de faits divers, ses inventeurs de gloire, ses tisseurs d'auréoles, et ses sorciers-sourciers se débinent par tous les trous, comme rats affolés. Ils se ruent hors du palais. Pas un mot, la grande peur est muette ! Seulement un piétinement nombreux, un froufrou d'étoffe…

Nous ne sommes plus que quatre personnes lucides dans la salle du trône : la reine, le devin, Béru et votre serviteur. Grâce à la belle et mystérieuse Vicky, je contrôle la situation.

Vachement pâlichonne, la souveraine ; sa graisse devient verdâtre sous la peau bistre. Ça la faisande sacrement, la frousse.

Je m'empresse de la rassurer.

— N'ayez pas peur, Majesté, nous ne vous voulons aucun mal, à vous ni à vos sujets, pas même à ce vieux brigand qui prétend vous conseiller et qui trafique dans votre dos, ajoute-je en désignant le barbouzard. Car il va vous l’avouer lui-même qu'il négocie des pots de vin avec les Anglais. N'est-ce pas, cher devin ?

Il craquerait des dents s'il en avait encore, Nikola. Il va sûrement faire de la gingivite en tout cas.

Il regarde les bonshommes inanimés, les prend pour morts et bredouille :

— C'est vrai, c'est vrai, j'en demande très humblement pardon à sa gracieuse et puissante Majesté, que le Dieu Félakète la protège, que la déesse Onkonsemé étende sur son auguste tête…

— Auguste toi-même, hé, sac à poux, éclate Béru. Va te faire raser, vilain ! Alors môssieur chambrait ma belle jesté, en loucedé ? Môssieur Quinze-pour-moi se remplissait les fouilles en profitant de ce que sa gentille patronne qu'est le bon cœur incarné, n'y mordait que tchi ! Ah ! je me retiendrais pas, un presse-varices qu'a tort[28] de ce t'acabit, j'y morflerais la gogne jusqu'à ce qu'il existe plus !

Un rire argentin (bien qu'elle soit nordique) retentit et, comme ma parenthèse l'aura déjà fait comprendre aux moins ballots d'entre vous, Vicky paraît.

Elle est radieuse. Ses belles camarades l'escortent.

— Ce que votre ami est amusant dans sa colère, me dit-elle.

— Comprendriez-vous le français, par hasard ? sourcillé-je.

— Je parle couramment sept langues, mon cher ami, rétorque la belle donzelle. Quand quelqu'un parle sept langues, le français est fatalement inclus dans celles-ci !

Elle arrive à moi.

— Que pensez-vous de mon gadget ?

— Merveilleux, vous devriez le faire breveter.

Je m'arrête de plaisanter car un groupe de types viennent de faire irruption dans le palais. Ils sont armés de lances et de couteaux et ne portent pas d'uniformes. Ce sont des gars du peuple venus à la rescousse, je suppose. Je m'apprête à les vaporiser, mais Vicky intervient.

— Non ! Pas eux ! dit-elle, ce sont des amis à nous !

— Des amis ! sursauté-je.

— Je vous promets de vous raconter tout cela par le menu, déclare Vicky en tendant la main vers son ustensile. Vous permettez ?

Elle m'ôte d'un geste déterminé le tube magique des doigts.

— Excusez-moi, ajoute la fille, on continuera cette conversation plus tard. En attendant, je vous remercie d'avoir fait le plus gros du travail.

Elle braque son appareil contre inoi. J'ai juste le temps de voir son pouce délicat presser le bouton rouge. Tout cesse immédiatement.

CHAPITRE CINQ

Un train rapide passe en sifflant et en tambourinant des traverses dans ma tête. Je suis sous un tunnel. Et puis, instantanément, c'est le jour et le train s'éloigne. Je rouvre les yeux, aussitôt lucide. Tout est très net. J'ai l'impression de voir le pouce manucure de la môme Vicky sur le bouton rouge, mais non. Je suis allongé sur une peau de tigre. Je n'ai pas du tout mal au crâne. Au contraire, je me sens éminemment dispos.

Mon cerveau émet la prétention de me lever, mais mes membres ne peuvent lui obéir du fait qu'ils sont entravés avec du gros fil de nylon. Je tourne la tête et j'aperçois Béru, encore endormi à mon côté. Au-delà de Béru, il y a un immense tas de couleurs : la reine Kelbobaba, envapée idem, et pareillement garrottée, et puis le devin Nikola. Je me trémousse dans le sens contraire, et c'est pour apercevoir sir Dezange sur ma droite, pleinement réveillé. Il n'est pas seul puisque ses collaborateurs gisent aussi surles peaux jonchant la pièce où l'on nous a saucissonnés et qui doit être la chambre à coucher de Sa Majesté.

En remuant encore la tête, j'achève de considérer les lieux. Je vois un grand diable quasiment nu, au crâne bas, au nez complètement aplati, qui affûte un sabre, adossé à la porte.

Deux autres gus peu amènes sont assis sur le lit de Sa Majesté et y dégustent chacun un gigot de porc-épic en nous filant des regards sanguinolents.

— Well, il semblerait que les choses n'aient pas évolué comme vous le souhaitiez, depuis votre intervention ? remarque très calmement Harry Dezange.

— En effet, reconnais-je, il y a eu comme un défaut.

— C'est-à-dire ?

— Le personnel amoureux que vous avez recruté pour l'agrément de Sa Majesté, s'il fait montre d'une superbe conscience professionnelle, ne me paraît pas des plus dignes de confiance.

Et je lui relate ce qui s'est passé avec Vicky, comment la jeune fille nous a sauvé la mise, la manière dont elle m'a confié son lance-sommeil, et pour conclure celle dont elle l'a utilisé contre moi.

Sir Dezange, pour lequel j'ai moins de ressentiment depuis que nous sommes devenus compagnons d'infortune, hoche la tête autant que le lui permettent ses liens.

— Ces filles ont été recrutées dans une officine de Stockholm, dit-il, mais je crains, en effet, que nous ayons été joués par un troisième larron, my dear[29].

— Qui serait ?

— On ne peut que faire des suppositions…

Béru fait entendre un vagissement.

— Pour moi ça sera un petit Brouilly-framboise, articule le Savonneux, ça décrasse.

Puis il refait surface et gronde :

— Mais qu'est-ce qu'on fout là !

— On se repose, Gros. Tous allongés à la même enseigne !

— Il s'est passé quoi t'est-ce ?

— Une révolution de palais, les demoiselles de petite vertu se sont rendues maîtresses de la situation après s'être servies de nous comme de détonateurs.

Il tète sa langue desséchée et grogne :

— T'es en plein délirium, mon pote, qu'est-ce que ces souris ont à fiche du château !

— C'est ce que j'aimerais savoir !

Voilà que la reine reprend conscience à son tour. Elle s'offusque drôlement, la mère Kelbobaba. Ligoter une souveraine, elle trouve qu'il faut on certain toupet. C'est faire montre d'une témérité forcenée. Les auteurs d'un pareil forfait seront châtiés.

Bérurier, philosophe, tente de la calmer :

— Ma petite reine, dites-vous que c'est rien comparé à ce qui est arrivé à Louis XVI. Ce pauv' monarque, lui, il a éternué dans les sciures de souches…

Sur ces paroles évocatrices d’un sanglant passé, la porte s'ouvre violemment pour permettre à une horde d'investir la chambre royale. Ces goujats ne respectent rien : pas plus les belles jardinières constituées par des pneus peints en blanc que la coiffeuse en provenance de la galerie des glaces Lafayette.

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28

Après quarante-huit heures d'étude approfondie de la dialectique béruréenne, le conseil de rédaction a décidé que cette expression signifiait prévaricateur.

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29

Toujours pour créer l'atmosphère britanouille. Tout le monde sait ce que cela signifie, et ça anglicise mon texte.