Выбрать главу

Ils renversent les meubles (en malotrusien : li meubles), ouvrent les tiroirs, s'emparent de leur contenu, crachent sur le portrait du feu roi qui fut offert à celui-ci par Pierre Lazareff et, sur lequel, en reconnaissance, le défunt monarque a tracé d'une écriture ferme : « J'élis toujou François ».

— C'est une indignité ! Une forfaiture ! Une infamie ! annonce sévèrement Kelbobaba. Vous serez tous pendus par les pieds sur la place, jusqu'à ce que les mouches laissent vos carcasses aussi blanches que si on les avait lavées avec OMO.[30]

En guise de réponse, les révolutionnaires se déculottent, ce qui est une façon sommaire, mais efficace d'exprimer à une personne le peu de cas que l'on fait de ses paroles.

Après avoir tout mis à sac et à sec et labouré comme des socs pour récupérer le suc (sic) ces malotrus de Malotrusiens s'emparent de nos personnes de la façon la plus déplaisante qui soit : en les saisissant par les pieds, et ils les traînent dans la salle du trône où l'atmosphère a bien changé. On a brisé le monumental fauteuil de la reine à coups de masse et les éléphants-accoudoirs, complètement détrompés, absolument sans défense, ne ressemblent pas plus à des pachydermes que la Vénus de Milo à Bouddha. Sur le dossier, ou plus exactement, sur ce qu'il en subsiste, on a placé le pavillon révolutionnaire, lequel est entièrement rouge, avec, écrit en travers, cette farouche devise : « Vive la raie biblique » !

Une table rudimentaire : simple planche de sycomore placée sur deux tréteaux de palissandre, a été dressée au beau mitan de l'immense local. Une flopée de gus bien farouches, qui se sont mis des lunettes pour faire intellectuels, mais qui en ont ôté les verres afin que leur vue ne soit pas perturbée, siègent derrière cette redou-table table. Il y a là l'ancien ministre des P.T.T.T. (postes et tam-tam-téléphones), l’ex-garde des Sceaux (à ordures), le ci-devant chef de la saison militaire (y'a pas d'armée pendant la saison des pluies), le secrétaire général du syndicat des sorciers, l’érecteur de la Faculté des grigris et totems et, dirigeant l'aréopage, Anar Chizan, le leader révolutionnaire proscrit, lequel depuis son exil à Levallois-Perret, dirigeait le groupement malotrusien libéré.

Derrière Anar, j'aperçois, se faisant toute petite, la môme Vicky.

Un mec qui se croit obligé de faire du foin, c'est le devin Nikola ! Il traite les révolutionnaires de félons et leur promet d'imminentes catastrophes. Une beigne dans la barbe l'oblige à stopper ses prédictions vengeresses. Alors, le calme s'étant rétabli, Anar Chizan sort sa pochette de soie pour s'en éventer d'un geste de dandy qui impressionne fortement ses compagnons.

Il regarde tous les « prévenus » avec une sombre obstination, achevant son examen par la reine. Puis il attaque d'une voix un peu snob :

— Dans sa première séance historique d'aujourd'hui, le Comité révolutionnaire malotrusien déclare par ma voix, ce qui suit :

Article premier, la monarchie est renversée.

« Article deux, la république est proclamée.

« Article trois, la ci-devant reine Kelbobaba, son âme damnée, le mage Nikola et tous les chiens d'étrangers qui l'aidaient à corrompre le pays seront exécutés sur la place du Peuple, ex-place du Parlement.

Les autres membres du Comité révolutionnaire se lèvent et applaudissent.

C'est impressionnant. Béru se tourne vers moi et murmure :

— Deux condamnations à mort dans la même journée, Gars, tu trouves pas que ça commence à bien faire ?

Le mage Nikola éclate en sanglots, il demande pardon. Il veut participer à la révolution. Il connaît tous les petits secrets de la Cour, il ne demande qu'à en faire profiter les républicains. Il avait lu dans les astres, la chandelle fondue, la peau de banane, les chiures de mouche, les amulettes suédoises consumées, la poudre de capharnaüm, la diarrhée Moréno, la tignasse de chauve, la fiente de chauve-souris, la souris de jouvence, et dans Ici Paris la chute de la royauté. S'il rouscaillait, quelques minutes plus tôt, c'était uniquement pour s'assurer de la sincérité des insurgés. Il va les aider à établir une république de first quality.

Bref, il tient à sa vieille carcasse. Anar Chizan le fait taire d'un geste et annonce qu'il sera pendu le premier.

On nous coltine au-dehors.

La place est noire de monde (ce qui n'est pas une image !).

On a dressé huit potences eu couronne (ultime rappel du régime renversé). La populace, contenue par un sévice d'ordre, est frénétique. Lorsque notre lamentable cortège paraît, elle qui, le matin même, criait : vive l'Angleterre, vive la bombe anatomique, vocifère, soit : vive la Republique, soit vive l'arrêt oblique, soit vive la raie biblique selon son degré d'instruction.

Des voix lancent même des : à mort la reine, ou des bourre la reine, selon leur degré de salacité. Le chahut est inouï.

Je cherche des yeux la môme Vicky. Je la trouve à mon côté, souriante. Elle m'escorte a l'échafaud fort discrètement.

Elle sait organiser les événements et les accompagner modestement. Elle se veut résolument rouage.

Je l'interpelle :

— Ohé, Vicky, alors, ma poule, ces explications ? C'est peut-être le moment de me les fournir.

Elle se rapproche de moi.

— La France et l’Angleterre n'étaient pas les seuls pays à avoir besoin des Malotrus comme champ d'expérience. La Chine a trouvé que l'archipel constituait une base idéale pour embêter l'Amérique.

— Et vous travaillez pour les rizmen, ma toute belle ?

— Exactement, mon cher ami. Tandis que vous vous faisiez une guerre secrète entre alliés, nous autres, tout bonnement, nous nous occupions à renverser le régime. C'était simple mais il fallait y penser.

— C'est vous qui avez liquidé le ministre des Affaires étrangères, à Orly ?

Elle acquiesce.

— Ça n'est pas moi personnellement, mais quelqu'un de ma section. Nous tenions à l'empêcher de s'engager au nom des Malotrus afin d'éviter des incidents diplomatiques par la suite.

— Et quand vous nous avez vus débarquer sur le bateau du Léman ?

— Nous avons compris, sachant — et pour cause — que votre ami n'était pas Tabobo-Hobibi et même ayant découvert qu'il n'était pas noir ; nous avons compris que vous étiez en train de pigeonner les Britanniques.

« La chose ne nous a pas déplu. Vous constituiez des auxiliaires possibles pour l'opération d'aujourd'hui…

Nouveau petit rire.

— Et la preuve en a été, mon bel idiot ! Lorsque le monde apprendra le coup d'Etat, notre rôle passera inaperçu. Officiellement, le peuple se sera soulevé contre l'ingérence des Occidentaux. Les errements de cette grosse reine grotesque, ballottée entre Londres et Paris, auront été fatals à la monarchie.

Le cortège s'arrête au pied des potences. Le bourreau (ce n'est pas le même que celui du torturorium), un gros ventru dont le nombril ressemble à une photographie aérienne de l'Etna s'avance, superbement et seulement vêtu d'un polo rouge et de bottes d'égoutier. Il s'empare du vieux barbu et le coltine sur ses épaules jusqu'au premier gibet.

— Comme à Mautfaucon, murmuré-je. Sacré Villon, va !

Vicky est encore près de moi.

— C'est maintenant qu'il faudrait utiliser votre merveilleux petit extincteur à consciences, lui dis-je.

— Mille regrets, riposte la jeune femme en tapotant la sacoche qui lui bat les flancs. Il a rempli sa mission. Je vous dis donc adieu, avec une pointe de nostalgie, car vous m'étiez plutôt sympathique…

вернуться

30

Simple conscience professionnelle de la reine, laquelle avait signé avec la maison OMO un contrat par lequel elle s'engageait à faire graver au fronton de son palais le slogan suivant ; « Un jour, grâce à OMO, le peuple malotrusien sera blanc comme neige ».