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Elle s'est ressaisie, au lieu de devenir souple, son bras se crispe.

— Vite ! gronflé-je silencieusement, tu dois bien piger que l'époque des cadeaux est finie entre nous !

A cet instant, il y a une bousculade. Des cris. Je pige qu'on vient de s'apercevoir de ma fugue. Le remous me fait faire un faux mouvement et la lame bien affûtée s'enfonce dans le corps de la fille. J'ai beau essayer de contenir mon geste forcé, la pression de la foule m'en empêche et je sens pénétrer le sabre dans les chairs palpitantes. Les yeux de Vicky se révulsent.

A ce moment des paluches m'alpaguent. Je sens pleuvoir des coups dans mes reins, sur ma nuque. Le cadavre de Vicky m'entraîne. Je tombe. On m'assaisonne affreusement. La multitude se concentre. Tout le monde veut me piétiner.

Je n'ai qu'une idée. Ouvrir la sacoche, m'emparer du vaporisateur… Je suis étourdi. Endolori. En feu ! J'ai du sang dans la bouche. Je sais que je vais m'évanouir. Périr là, dévoré par ces jambes en furie comme par les dents d'un monstre. Je lutte, une main sur ma nuque, l'autre s'affolant sur le fermoir de la sacoche. Je ne vois même pas ce que je fais. J'ai des cloches plein la tronche. Je n'y vois plus clair. Il n'y a plus que ma main qui tâtonne. Elle est toute seule. Délivrée de moi, autonome ! Des mâchoires d'acier me coupent les chairs. Je perds conscience… Je retrouve conscience. J'entends des cris. Ça et là, un gnon plus douloureux m'est perceptible. Je me vide comme un tube de crème qu'on piétinerait. Je me réunis encore un coup. Un dernier. Je sens du froid, du lisse, du rond dans ma main.

Je me dis : « C'est le tube lance-sommeil ». Et je me dis également : s'il a son convercle je suis marron parce qu'il me sera impossible de le dévisser. Je coule ma main droite sous mon autre bras et j'appuie sur toute la surface du tube dans l'espoir de trouver le bouton. Illico, les coups cessent. Des poids pesants s'abattent mollement sur moi. Je pense : « Ça y est, ça fonctionne ». Je rassemble ce qui demeure en moi de récupérable. Je finis mes propres restes, en somme. Je m'arc-boute. Alentour c'est la panique. Je la décèle à travers un brouillard sanglant. Je vois une traînée de gus inanimés devant moi. D'autres qui fuient en se bousculant sauvagement. Et puis, plus loin, une autre traînée de gus out mais pour ces derniers c'est plus grave. Béru se fraie un passage en moulinant de deux sabres à la fois. Ah ! il fait le détail, pépère ! Tzouim ! Floc ! Ça taille, ça crève, ça perce, ça estoque comme à Bouvine. Il marche droit vers le gibet de sa chère reine, le vaillant bretteur. Quelques téméraires essaient bien de se le payer par-derrière, à la sournoise, façon roquet, mais on dirait qu'il a des yeux dans le dos, Béru. Peut-être que sa bonne vierge a fait un miracle, qu'elle a donné le don de la vue à son dargeot. Il a l'anus en œil de Caïn, le Gros. Ça lui permet de voltefacer opportunément.

Dopé par ce fabuleux spectacle, je me dresse, tout sanguinolent, mon fly-tox braqué. Une giclée à droite, une giclée à gauche. Bouvine, que je vous dis ! Les récalcitrante s'endorment. Les gardes déguerpissent. Ça se vide. On fait place (du Peuple) nette. Y reste plus que le bourreau, les suppliciés en attente et ce bon Anar Chizan, toujours debout sur son baril qui hurle en nous désignant à ses chers absents :

« Emparez-vous de ces hommes ! Je vous ordonne de vous emparer de ces hommes ! »

Je lui cloque un coup de reniflette pour le faire taire. Il choit de son piédestal. Un petit coup au bourreau, lequel passait déjà sa cravate de cérémonie à sir Dezange, et nous voici maîtres de la situation.

Je laisse au bon Bérurier l'honneur et l'ineffable plaisir de délivrer la reine Kelbobaba.

Elle a dû maigrir d'une vingtaine de kilogrammes, la brave souveraine, pendant ces dernières heures. Vu son embonpoint, ça ne se remarque pas, mais ça se lit à la langueur de son regard. Un sacré coup de sauna qu'elle vient de se torchonner, Poupette.

Elle s'abat en sanglotant sur la poitrine de son Bayard.

— Allons, allons, ma gosse, essaie de la calmer Béru, faut pas vous détraquer les glandes lacrymogènes. Voua deviez bien vous douter que tant que nous fussions vivants, mon camarade San-A. et moi, personne ne pourrait toucher à un seul poil de votre barbe !

CHAPITRE CINQ bis[32]

Pendant que les ivoiriers dela Cour retapent le trône, et tandis que la foule se rassemble sur la place du Parlement (ex-place du Peuple) que l'on a débarrassée de ses gibets (les à fruits et les pas mûrs) aux cris de : « Vive la reine, vive la monarchie » ; je discute le bout de gras avec sir Harry Dezange, le miraculé du nœud coulant.

Nous sommes assis chacun snr une borne-tabouret. La mienne indique « Marlow 4 miles » et la sienne « Ouinville 2 km », c'est vous dire si nous faisons assaut de politesse. Celle-ci ne se limite pas au choix de nos sièges, mais elle fait de notre conversation, un pur joyau du XVIIe siècle.

Mon cher[33], déclare Dezange, je ne souhaite qu'une chose : toujours rencontrer sur mon route des adversaires de votre trempe. Je vous dois la vie, comment pourrais-je vous revaloir cela ?

— Vous m'abonnerez à Life, plaisanté-je non sans finesse.

Il me présente la main.

— Et sorry pour ma conduite de midi. J'aurais pu intercéder en votre faveur, après vous avoir confondu…

— Bast, clémenté-je, les affaires étrangères sont les affaires étrangères. L'essentiel est que tout cela finisse bien pour nos os, n'est-ce pas ?

— Il ne nous reste plus qu'un point litigieux à trancher, fait Dezange de sa belle voix paresseuse en lissant les phalanges de sa main gauche.

Je le vois radiner, le sir, avec sa nonchalance et sa vue basse.

— Croyez-vous ? demandé-je.

— Voyons, my friend, l'affaire du Traité n'a toujours pas été réglée.

Il allume un cigare et poursuit :

— Malgré la dette de reconnaissance que j'ai envers vous, il me faut vous prévenir que je vais tout mettre en œuvre pour faire prévaloir la thèse britannique.

— … ?

Et d'ajouter, en riant à travers la fumaga bleue de son havane :

— Vous l'avez dit : « Les affaires étrangères sont les affaires étrangères ».

— Vous venez de perdre un solide atout en la personne du devin Nikola que voua aviez soudoyé…

— Bast, il m'en reste d'autres.

— On peut savoir ?

— La reine Kelbobaba n'est qu'une souveraine d'opérette. Si Sa Majesté Elisabeth II l'invite à lui rendre une visite officielle et qu'elle la lui promette triomphale, pensez-vous que Kelbobaba résistera à un tel argument ?

Je fais la grimace car, effectivement, le coup est rude.

— Reste à savoir, si votre reine…

— Mais je sais, sourit Dezange, et je suis autorisé à formuler l'invitation en dernier argument.

Ça me plaît pas, ce machin-là, mes frères. Mais alors, pas du tout.

— Après cette révolution avortée, continue le Talleyrand d'Outre-Manche, la monarchie malotrusienne va avoir besoin d'être consolidée. L'opération prestige, my dear, croyez-moi, il n'y a rien de tel. Kelbobaba cédera, d'abord parce que ça lui fera plaisir, ensuite parce qu'il y va de son trône !

— Je pourrais la faire inviter par notre Président, objecté-je.

— Hmmm, murmure le Diable goitreux, sans vouloir diminuer le prestige de votre grand homme, permettez-moi de vous faire remarquer qu'une Citroën ne vaut pas un carrosse et qu'il a reçu déjà tellement de dignitaires noirs que la chose manquerait de panache.

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32

La brièveté de ce dernier chapitre fait que j'ai des scrupules à l'intituler chapitre six, comme pourtant ce serait mon droit le plus absolu. J'ose espérer que mes lecteurs sauront apprécier cette nouvelle preuve de ma conscience professionnelle.

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33

Moi, je lui dis « my dear »