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Ma déclaration n'est point suspecte à votre égard, Mesdames, et mes plus acharnés ennemis sont forcés d'avouer que, dans un instant d'humeur où mon dépit contre une belle allait s'épancher trop librement sur toutes les autres, on m'a vu m'arrêter tout court au vingt-cinquième couplet, et, par le plus prompt repentir, faire ainsi, dans le vingt-sixième, amende honorable aux belles irritées:

Sexe charmant,

si je décèle votre coeur en proie au désir,

Souvent à l'amour infidèle,

Mais toujours fidèle au plaisir;

D'un badinage, à mes Déesses!

Ne cherchez point à vous venger:

Tel glose, hélas! sur vos faiblesses

Qui brûle de les partager.

Quant à vous,

Monsieur le Docteur, on sait assez que Molière…

“Au désespoir, dit-il en se levant, de ne pouvoir profiter plus longtemps de vos lumières: mais l'humanité qui gémit ne doit pas souffrir de mes plaisirs. ” Il me laissa, ma foi, la bouche ouverte avec ma phrase en l'air. “ Je ne sais pas, dit la belle malade en riant, si je vous pardonne; mais je vois bien que notre docteur ne vous pardonne pas.

– Le nôtre, Madame? Il ne sera jamais le mien.

– Eh! pourquoi?

– Je ne sais; je craindrais qu'il ne fût au-dessous de son état, puisqu'il n'est jamais au-dessus des plaisanteries qu'on en peut faire. ” Ce docteur n'est pas de mes gens. L'homme assez consommé dans son art pour en avouer de bonne foi l'incertitude, assez spirituel pour rire avec moi de ceux qui le disent infaillible: tel est mon médecin. En me rendant ses soins qu'ils appellent des visites, en me donnant ses conseils qu'ils nomment des ordonnances, il remplit dignement et sans faste la plus noble fonction d'une âme éclairée et sensible. Avec plus d'esprit, il calcule plus de rapports, et c est tout ce qu on peut dans un art aussi utile qu'incertain. Il me raisonne, il me console, il me guide et la nature fait le reste. Aussi, loin de s'offenser de la plaisanterie, est-il le premier à l'opposer au pédantisme. A l'infatué qui lui dit gravement: “ De quatre vingts fluxions de poitrine que j'ai traitées cet automne, un seul malade a péri dans mes mains”, mon docteur répond en souriant: “ Pour moi, j'ai prêté mes secours à plus de cent cet hiver; hélas! je n'en ai pu sauver qu'un seul. ” Tel est mon aimable médecin. “ Je le connais.

– Vous permettez bien que je ne l'échange pas contre le vôtre. Un pédant n'aura pas plus ma confiance en maladie qu'une bégueule n'obtiendrait mon hommage en santé. Mais je ne suis qu'un sot. Au lieu de vous rappeler mon amende honorable au beau sexe, je devais lui chanter le couplet de la bégueule; il est tout fait pour lui.

Pour égayer ma poésie.

Au hasard j'assemble des traits;

J'en fais, peintre de fantaisie,

Des tableaux, jamais des portraits.

La femme d'esprit, qui s'en moque,

Sourit finement à l'auteur;

Pour l'imprudente qui s'en choque,

Sa colère est son délateur.

“A propos de chanson, dit la dame, vous êtes bien honnête d'avoir été donner votre pièce aux Français! Moi qui n'ai de petite loge qu'aux Italiens! Pourquoi n'en avoir pas fait un opéra-comique? Ce fut, dit-on, votre première idée. La pièce est d'un genre à comporter de la musique.

– Je ne sais si elle est propre à la supporter, ou si je m'étais trompé d'abord en le supposant; mais, sans entrer dans les raisons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, Madame, répond à tout. ”

Notre musique dramatique ressemble trop encore à notre musique chansonnière pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaieté franche. Il faudra commencer à l'employer sérieusement au théâtre quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos musiciens se rapprocheront de la nature, et surtout cesseront de s'imposer l'absurde loi de toujours revenir à la première partie d'un air après qu'ils en ont dit la seconde. Est-ce qu'il y a des reprises et des rondeaux dans un drame? Ce cruel radotage est la mort de l'intérêt et dénote un vide insupportable dans les idées.

Moi qui ai toujours chéri la musique sans inconstance et même sans infidélité, souvent, aux pièces qui m'attachent le plus, je me surprends à pousser de l'épaule, à dire tout bas avec humeur: Eh! va donc, musique! pourquoi toujours répéter? N'es-tu pas assez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabâches! Au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots! Le poète se tue à serrer l'événement, et toi tu le délayes! Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons. Avec ta stérile abondance, reste, reste aux chansons pour toute nourriture, jusqu'à ce que tu connaisses le langage sublime et tumultueux des passions.

En effet, si la déclamation est déjà un abus de la narration au théâtre, le chant, qui est un abus de la déclamation, n'est donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la répétition des phrases, et voyez ce que devient l'intérêt. Pendant que le vice ici va toujours en croissant, l'intérêt marche à sens contraire; l'action s'alanguit; quelque chose me manque; je deviens distrait; l'ennui me gagne; et si je cherche alors à deviner ce que je voudrais, il m'arrive souvent de trouver que je voudrais la fin du spectacle.

Il est un autre art d'imitation, en général beaucoup moins avancé que la musique, mais qui semble en ce point lui servir de leçon. Pour la variété seulement, la danse élevée est déjà le modèle du chant.

Voyez le superbe Vestris ou le fier d'Auberval engager un pas de caractère. Il ne danse pas encore; mais d'aussi loin qu'il paraît, son port libre et dégagé fait déjà lever la tête aux spectateurs. Il inspire autant de fierté qu'il promet de plaisirs.

Il est parti. Pendant que le musicien redit vingt fois ses phrases et monotone ses mouvements, le danseur varie les siens à l'infini.

Le voyez-vous s'avancer légèrement à petits bonds, reculer à grands pas et faire oublier le comble de l'art par la plus ingénieuse négligence? Tantôt sur un pied, gardant le plus savant équilibre, et suspendu sans mouvement pendant plusieurs mesures, il étonne, il surprend par l'immobilité de son aplomb… Et soudain, comme s'il regrettait le temps de repos, il part comme un trait, vole au fond du théâtre, et revient, en pirouettant, avec une rapidité que l'oeil peut suivre à peine.

L'air a beau recommencer, rigaudonner, se répéter, se radoter, il ne se répète point, lui! tout en déployant les mâles beautés d'un corps souple et puissant, il peint les mouvements violents dont son âme est agitée; il vous lance un regard passionné que ses bras mollement ouverts rendent plus expressif; et, comme s'il se lassait bientôt de vous plaire, il se relève avec dédain, se dérobe à l'oeil qui le suit, et la passion la plus fougueuse semble alors naître et sortir de la plus douce ivresse.

Impétueux, turbulent, il exprime une colère si bouillante et si vraie qu'il m'arrache à mon siège et me fait froncer le sourcil.

Mais, reprenant soudain le geste et l'accent d'une volupté paisible, il erre nonchalamment avec une grâce, une mollesse et des mouvements si délicats, qu'il enlève autant de suffrages qu'il y a de regards attachés sur sa danse enchanteresse.

Compositeurs, chantez comme il danse, et nous aurons, au lieu d'opéras, des mélodrames! Mais j'entends mon éternel censeur (je ne sais plus s'il est d'ailleurs ou de Bouillon), qui me dit: “ Que prétend-on par ce tableau? Je vois un talent supérieur, et non la danse en général. C'est dans sa marche ordinaire qu'il faut saisir un art pour le comparer, et non dans ses efforts les plus sublimes. N'avons-nous pas… ” Je l'arrête à mon tour. Eh! quoi! si je veux peindre un coursier et me former une juste idée de ce noble animal, irai-je le chercher hongre et vieux, gémissant au timon du fiacre, ou trottinant sous le plâtrier qui siffle? Je le prends au haras, fier étalon, vigoureux, découplé, l'oeil ardent, frappant la terre et soufflant le feu par les naseaux, bondissant de désirs et d'impatience, ou fendant l'air, qu'il électrise, et dont le brusque hennissement réjouit l'homme et fait tressaillir toutes les cavales de la contrée. Tel est mon danseur.