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FIGARO. il demandait ce que c'est que La Précaution inutile!

LE COMTE lit vivement. “ Votre empressement excite ma curiosité: sitôt que mon tuteur sera sorti, chantez indifféremment, sur l'air connu de ces couplets, quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de celui qui paraît s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine. ”

FIGARO, contrefaisant la voix de Rosine. Ma chanson, ma chanson est tombée; courez, courez donc; (Il rit.) ah, ah, ah! Oh! ces femmes! voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue? enfermez-la.

LE COMTE. Ma chère Rosine!

FIGARO. Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective.

LE COMTE. Te Voilà instruit; mais si tu jases…

FIGARO. Moi, jaser! Je n'emploierai point pour Vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévouement dont on abuse à la journée; je n'ai qu'un mot: mon intérêt vous répond de moi; pesez tout à cette balance, et…

LE COMTE. Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté…! Tu viens de la voir. Je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline, et mariée à un vieux médecin de cette ville, nommé Bartholo.

FIGARO. Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était femme du docteur?

LE COMTE. Tout le monde.

FIGARO. C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid, pour donner le change aux galants et les écarter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientôt…

LE COMTE, vivement. Jamais!… Ah! quelle nouvelle! J'étais résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment à perdre; il faut m'en faire aimer, et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connais donc ce tuteur?

FIGARO. Comme ma mère.

LE COMTE. Quel homme est-ce?

FIGARO, vivement. C'est un beau gros, court, jeune vieillard, gris, pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette, et furette, et gronde, et geint tout à la fois.

LE COMTE, impatienté. Eh! je l'ai Vu. Son caractère?

FIGARO. Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort.

LE COMTE. Ainsi, ses moyens de plaire sont…

FIGARO. Nuls.

LE COMTE. Tant mieux. Sa probité?

FIGARO. Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point pendu.

LE COMTE. Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux…

FIGARO. C'est faire à la fois le bien public et particulier, chef d'oeuvre de morale, en vérité, Monseigneur!

LE COMTE. Tu dis que la crainte des galants lui fait fermer sa porte?

FIGARO. A tout le monde: s'il pouvait la calfeutrer…

LE COMTE. Ah! diable, tant pis. Aurais-tu de l'accès chez lui?

FIGARO. Si j'en ai! Primo, la maison que j'occupe appartient au docteur, qui m'y loge gratis.

LE COMTE. Ah! ah!

FIGARO. Oui. Et moi, en reconnaissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi.

LE COMTE, impatienté. Tu es son locataire?

FIGARO. De plus, son barbier, son chirurgien, son apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur.

LE COMTE l'embrasse. Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon dieu tutélaire.

FIGARO. Peste! comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances! Parlez-moi des gens passionnés!

LE COMTE. Heureux Figaro, tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois-tu ton bonheur?

FIGARO. C'est bien là un propos d'amant! Est-ce que je l'adore, moi? Puissiez-vous prendre ma place!

LE COMTE. Ah! si l'on pouvait écarter tous les surveillants!

FIGARO. C'est à quoi je rêvais.

LE COMTE. Pour douze heures seulement!

FIGARO. En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l'intérêt d'autrui.

LE COMTE. Sans doute. Eh bien?

FIGARO, rêvant. Je cherche dans ma tête si la pharmacie ne fournirait pas quelques petits moyens innocents…

LE COMTE. Scélérat!

FIGARO. Est-ce que je veux leur nuire? ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s'agit que de les traiter ensemble.

LE COMTE. Mais ce médecin peut prendre un soupçon.

FIGARO. il faut marcher si vite, que le soupçon n'ait pas le temps de naître. Il me vient une idée: le régiment de Royal Infant arrive en cette ville.

LE COMTE. Le colonel est de mes amis.

FIGARO. Bon. Présentez-vous chez le docteur en habit de cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge; et moi, je me charge du reste.

LE COMTE. Excellent!

FIGARO. il ne serait même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins…

LE COMTE. A quoi bon?

FIGARO. Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable.

LE COMTE. A quoi bon?

FIGARO. Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui.

LE COMTE. Supérieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi?

FIGARO. Ah! oui, moi! Nous serons bien heureux s'il ne vous reconnaît pas, vous qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire après?

LE COMTE. Tu as raison.

FIGARO. C'est que vous ne pourrez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier… pris de vin…

LE COMTE. Tu te moques de moi. (Prenant un ton ivre.) N'est-ce point ici la maison du docteur Bartholo, mon ami?

FIGARO. Pas mal, en vérité; vos jambes seulement un peu plus avinées. (D'un ton plus ivre.) N'est-ce pas ici la maison…?

LE COMTE. Fi donc! tu as l'ivresse du peuple.

FIGARO. C'est la bonne; c'est celle du plaisir.

LE COMTE. La porte s'ouvre.

FIGARO. C'est notre homme: éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti.

Scène V

LE COMTE et FIGARO, cachés; BARTHOLO

BARTHOLO sort en parlant à la maison. Je reviens à l'instant; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d'être descendu! Dès qu'elle m'en priait, je devais bien m'en douter… Et Bazile qui ne vient pas! Il devait tout arranger pour que mon mariage se fit secrètement demain: et point de nouvelles! Allons voir ce qui peut l'arrêter.

Scène VI

LE COMTE, FIGARO

LE COMTE. Qu'ai-je entendu? Demain il épouse Rosine en secret!

FIGARO. Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre.

LE COMTE. Quel est donc ce Bazile qui se mêle de son mariage?

FIGARO. Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau, besogneux, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur…

(Regardant à la jalousie.) La v'là, la v'là.

LE COMTE. Oui donc?

FIGARO. Derrière sa jalousie, la Voilà, la Voilà. Ne regardez pas, ne regardez donc pas!