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Tamberly en eut les larmes aux yeux. Je suis encore plus contente qu’on ait décidé de l’épargner.

« Bien dit, déclara Everard, toujours impavide. Cette franchise te sera comptée quand viendra le jour du Jugement. »

Lorenzo s’humecta les lèvres. « Mais… mais pourquoi nous… pourquoi moi ? coassa-t-il. Ce genre de chose doit se produire mille fois par jour. Pourquoi le Ciel se soucie-t-il autant de nous ? Serait-elle… serait-elle une sainte ?

— Dieu seul pourrait répondre à cette question, rétorqua Everard. Sache, Lorenzo, que si tu as commis une grave transgression, c’est parce que le Seigneur avait pour toi de grands desseins. La Terre sainte est assaillie par les païens et risque d’être perdue pour la chrétienté, car ceux qui la tiennent au nom du Seigneur se sont écartés du chemin de la foi, tant et si bien que leur seule présence profane les lieux saints. Comment un pécheur pourrait-il sauver ceux-ci ? »

Le chevalier vacilla sur ses jambes. « Vous voulez dire que je…

— Tu es appelé à partir en croisade. Tu aurais pu attendre, et préparer ton âme au sein de la quiétude conjugale, jusqu’à ce que le roi de Germanie se mette en marche. Je t’impose comme pénitence de renoncer à tes épousailles et de le rejoindre sur-le-champ.

— Oh ! non…»

Voilà qui allait bouleverser sa vie, d’autant plus qu’il ne pourrait expliquer sa décision à personne hormis à son confesseur. Pauvre Ilaria, abandonnée le jour de ses noces. Pauvre vieux Cencio. Si seulement nous avions pu procéder différemment ! Tamberly avait imaginé de contacter Lorenzo en amont afin qu’il décline dès le début la proposition de mariage. « Tu n’as donc pas compris à quel point l’équilibre des événements était fragile ? avait répliqué Everard. Ce que tu m’as convaincu de tenter là, c’est le pari le plus audacieux que pouvait accepter ma conscience. »

S’adressant à Lorenzo : « Tu as reçu tes ordres de mission, soldat. Obéis et remercie Dieu de Sa clémence. »

L’homme se figea un instant. Tamberly sentit un frisson glacé la parcourir. Il était certes le produit de son époque, mais c’était un esprit vif, bien moins naïf que le commun des mortels. « A genoux ! lui souffla-t-elle, et elle se redressa, les mains jointes en prière.

— Oui. Oui. » Il se dirigea vers l’ange en titubant. « Que le Seigneur me montre la voie ! Que le Christ arme mon bras et lui donne des forces ! »

Il tomba à genoux devant Everard, lui étreignit les jambes, posa la tête sur le tissu chatoyant de son aube.

« Il suffit, dit Everard, un peu gêné. Va et ne pèche plus. »

Lorenzo le lâcha, leva les bras comme pour implorer le Ciel. Puis il abaissa vivement sa main gauche et frappa Everard à la droite. Le crucifix lui échappa des doigts. Lorenzo se releva d’un bond, comme s’il allait s’envoler. Son épée jaillit du fourreau en sifflant. Le soleil en faisait brûler l’acier.

« Un ange ? cria-t-il. Ou un démon ?

— Que diable ? » Everard voulut ramasser son étourdisseur.

D’un bond, Lorenzo se planta devant lui. « Ne bouge pas d’un pouce, ou je te taille en pièces, gronda-t-il. Déclare… ta vraie nature… et retourne dans ton vrai royaume. »

Everard se ressaisit. « Tu oses défier le messager du Ciel ?

— Non. Ce n’est pas ce que tu es. Que Dieu ait pitié de moi, je dois en avoir le cœur net. »

Quelque chose lui a mis la puce à l’oreille, se dit Tamberly, le cœur battant. Mais quoi donc ? Attends, je me rappelle : si j’en crois ce que m’a dit Manse, on raconte que le diable se déguise souvent en ange pour tromper les mortels, en ange et parfois même en Seigneur Jésus. Si Lorenzo se doute de quelque chose…

« Il te suffit de me voir, déclara Everard.

— Je t’ai touché », répondit Lorenzo.

Uh-oh. Un ange n’a pas de sexe, n’est-ce pas ? Oui, nous avons vraiment affaire à un type brillant, et qui n’a peur de rien pardessus le marché. Pas étonnant que l’avenir dépende de lui.

Elle se mit à quatre pattes. Le crucifix se trouvait à trois mètres de là. Si Everard parvenait à capter l’attention de Lorenzo pendant qu’elle le récupérait en douce, peut-être pouvaient-ils encore sauver la situation.

« Pourquoi Satan voudrait-il te voir partir aux croisades ? argua le Patrouilleur.

— Pour m’empêcher de mieux servir ici ? Et si Roger décidait de conquérir d’autres terres que la Sicile ? » Lorenzo se tourna vers le ciel. « Ô Seigneur, suis-je dans l’erreur ? Envoyez-moi un signe. »

Et Manse qui n’a même pas le pouvoir de battre des ailes.

Everard fonça vers son scooter. Une fois en selle, il reprendrait le contrôle des événements. Poussant un cri, Lorenzo bondit sur lui et frappa de taille. Everard n’esquiva le coup que partiellement. Atteint à la poitrine et à l’épaule droite, il se mit à saigner et son aube se colora d’écarlate.

« Voilà mon signe ! glapit Lorenzo. Tu n’es ni ange ni démon. Meurs, sorcier ! »

Pris de court, Everard s’éloigna encore du scooter, sans même avoir le temps d’activer son communicateur pour appeler à l’aide. Tamberly se précipita sur l’étourdisseur. Elle l’empoigna, se leva d’un bond et constata qu’elle ignorait tout de son fonctionnement.

« Toi aussi ? hurla Lorenzo. Sorcière ! »

Il bondit sur elle. Son épée s’éleva. Un masque de rage lui déformait les traits.

Everard attaqua. Blessé à l’épaule droite, il n’eut que le temps de frapper du poing gauche. Lorsqu’il atteignit le chevalier à la gorge, ses muscles étaient animés par l’énergie du désespoir. On entendit un horrible craquement.

L’épée s’envola, aussi éclatante que l’eau de la cascade. Lorenzo fit quelques pas d’une démarche de désossé, puis s’effondra.

« Wanda, tu n’as rien ? demanda Everard d’une voix éraillée.

— Non, ça va, mais… mais lui ? »

Ils s’approchèrent de Lorenzo. Il gisait immobile, comme recroquevillé sur lui-même, les yeux tournés vers le ciel. Sa bouche béante était horrible à voir, sa langue pendait mollement sur son menton disloqué. Sa tête faisait avec son cou un angle sinistre.

Everard se pencha, l’examina, se redressa. « Mort, lui dit-il d’une voix douce. Le cou brisé. Je n’ai pas voulu cela. Mais il t’aurait tuée.

— Et il t’aurait tué. Oh ! Manse ! » Elle posa la tête sur son torse ensanglanté. Il lui passa le bras gauche autour des épaules.

Au bout d’un temps, il dit : « Il faut que je retourne à la base pour qu’on me soigne avant que je tombe dans les pommes.

— Peux-tu… peux-tu l’emmener avec toi ?

— Pour qu’on le ressuscite et le remette sur pied ? Non. Ce serait trop dangereux. Le coup qu’il nous a fait… ça n’aurait jamais dû se passer comme ça. C’est totalement insensé. Mais… il était porté par la vague… il cherchait à préserver son avenir détourné… Espérons que nous avons enfin rompu le charme. »

Il se dirigea vers le scooter d’un pas hésitant. Sa voix se faisait de plus en plus ténue, ses lèvres de plus en plus livides. « Si ça peut te consoler, Wanda… je ne te l’avais pas dit, mais dans… dans le monde de Frédéric… quand il est parti en croisade, il est mort de maladie. C’était… sans doute… son destin. La fièvre, les vomissements, les diarrhées, l’impotence… Il méritait mieux, non ? »

Elle l’aida à enfourcher la selle. Sa voix avait repris un peu de force. « Tu dois jouer le jeu jusqu’au bout. Retourne auprès des domestiques en criant tout ton soûl. Dis-leur que vous avez été attaqués par des malandrins. Mon sang… il en aura blessé un ou deux avant de succomber. En voyant que tu t’enfuyais, ils ont décidé d’en faire autant. Les habitants d’Anagni honoreront sa mémoire. Il est mort comme un chevalier, en défendant l’honneur d’une dame.